lundi 9 octobre 2017

La Marquise à Vichy


La Marquise à Vichy

Les stations thermales et les cures ont beaucoup évolué depuis le 17ème siècle. Marie de Sévigné (1626-1696) nous raconte son expérience et les pratiques thérapeutiques de l’époque. Elle nous vante les vertus des eaux de Vichy qui prennent naissance aux pieds des volcans d’Auvergne. Elle salue cette eau qui guérit ses rhumatismes « Il est certain que les eaux ici sont miraculeuses » et qui prend soin de sa beauté « Cette eau rend la peau douce et unie. »
Janvier 1676 Madame de Sévigné souffre d’un torticolis qu’elle soigne aux frictions à l’eau de la reine de Hongrie. La douleur se fait de plus en plus lancinante, gagne l’épaule droite, les mains, tout le côté du corps jusqu’aux orteils. Elle s’offre une fabuleuse crise de rhumatismes, toutes les articulations gonflées, déformées, parcourues d’élancements brûlants. A l’époque pas d’anti-inflammatoires, seulement diète, purges, tisanes de reine-des-prés. Il faut prier un retour spontané à la normale en se disant que les douleurs diminuent d’autant le purgatoire si l’on offre à Dieu ses misères. Le rhumatisme n’a jamais tué personne, c’est même un gage de longue vie, parait-il. La marquise est une malade pénible, exigeante pour son entourage : il faut la faire manger, l’aider à se bouger, écrire à sa place…. Elle supporte très mal la douleur. Son fils Charles l’aide de son mieux, sa fille Françoise est loin, enceinte.
Le 19 février la convalescence est enfin là. Elle écrit à sa fille : »la fin infinie d’un rhumatisme est une chose incroyable. On ressent des douleurs qui font ressouvenir du commencement ; l’on meurt de peur. Une main se renfle traîtreusement, un torticolis vous trouble ; enfin mon enfant, c’est une affaire que de se remettre en parfaite santé et comme je l’entreprends, j’en suis fort occupée… ».

Elle a eu très peur, une rechute toujours possible l’angoisse.  Mais amincie, rajeunie de silhouette, elle ne veut pas que ses relations la voient avec une main droite tordue, aux articulations déformées. Elle est du genre indépendante depuis son veuvage à l‘âge de 27 ans. Encore coquette à 50 ans. Après un essai peu efficace de lotion pour frictionner les mains, elle pense à une cure. Les stations thermales sont à la mode. Le docteur Delorme lui recommande Bourbon-l’Archambault station réputée depuis l’Antiquité surtout pour traiter des problèmes liés à la ménopause, qui lui paraissent la cause de tous les soucis de sa patiente. Madame de Montespan, les femmes du Monde fréquentent cette station. Mais Marie de Sévigné qui a son petit caractère, préfère Vichy. Début mai elle prend la route, solitaire, de méchante humeur.
Elle appréhende ce qui l’attend, l’isolement, le cafard. Elle part avec ses deux femmes de chambre, donc pas si seule que cela.

Quand elle arrive à Vichy, ses craintes de s’ennuyer se dissipent. La station accueille des curistes de qualité. Dès le premier jour, elle se retrouve invitée à souper chez une lointaine cousine Brissac. Où loge-t-elle ? L’auberge du Cheval Blanc, ou le futur pavillon Sévigné propriété de la famille Gravier ? Plus vraisemblablement dans la Maison Badoche face à l’église Saint-Blaise.
Après une journée de repos, la cure commence. Le 20 mai dès 6 h du matin, il faut être aux sources pour prendre les eaux. Là selon ses capacités on boit au moins une douzaine de verres d’eau. Puis messe et le reste de la matinée se passe à digérer ces litres d’eau. Cette absorption massive de liquide de Vichy génère des coliques abominables. C’est un sujet de conversation pour les curistes. Après la purge, on se retrouve pour dîner, puis on joue aux cartes. Les paysans viennent danser pour divertir les patients. Souper vers 7 heures et au lit à 10.

Maison Badoche dessin H Clerget  Gallica BNF–
Elle boit en faisant la grimace : « ah ! qu’elles sont méchantes ! Elles sont bouillantes et d’un goût de salpêtre ! ». Ses amis lui proposent une expérience qui va la rassurer : on jette une rose fraîche dans la source. La fleur ressortira intacte. La même rose dans une casserole d’eau chaude ordinaire et la fleur meurt.

Lettre à sa fille du 20 mai 1676 : « J’ai donc pris des eaux ce matin ; ah, qu’elles sont méchantes ! On va à six heures à la fontaine : tout le monde s’y trouve, on boit, et l’on fait une fort vilaine mine ; car imaginez-vous qu’elles sont bouillantes, et d’un goût de salpêtre fort désagréable. On tourne, on va, on vient, on se promène, on entend la messe, on rend les eaux, on parle confidemment de la manière qu’on les rend ;il n’est question que de cela jusqu’à midi. Enfin, on dîne ; après dîner, on va chez quelqu’un ; c’était aujourd’hui chez moi. Il est venu des demoiselles du pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection. C’est ici où les bohémiennes poussent leurs agréments ; elles font des dégognades (danses plutôt relâchées) où les curés trouvent un peu à redire. Mais enfin, à cinq heures, on va se promener dans des pays délicieux ; à sept heures, on soupe légèrement ; on se couche à dix…. Je me suis assez bien trouvée de mes eaux ; j’en ai bu douze verres, elles m’ont un peu purgée, c’est tout ce qu’on désire. Je prendrai la douche dans quelques jours…. »

Après la cure intérieure (verres d’eau) pendant deux semaines, elle passe au traitement par douche pendant dix jours. Dans une pièce en sous-sol elle supporte un jet très chaud qu’une fille de bain lui promène sur le corps. La marquise est à peu près nue. Puis elle doit rester une heure ou deux allongée dans une chaleur d’étuve à suer. C’est une épreuve assez fatigante. Pour elle c’est surtout une humiliation d’être aux mains d’une inconnue suivi d’un long moment de désœuvrement et d’ennui intellectuel. « un avant-goût du purgatoire ». Parfois un médecin de la ville surveille les curistes et s’installe de l’autre côté d’un rideau et tente de faire la conversation ou accepte de faire la lecture.
La marquise va de mieux en mieux, elle ne peut pas encore fermer ses mains, mais ses jambes, ses genoux répondent à nouveau à ses ordres.

 Lettre du 28 mai 1676 à sa fille Madame de Grignan
"J'ai commencé aujourd'hui la douche. C'est une assez bonne répétition du purgatoire. On est toute nue dans un petit lieu sous terre, où l'on trouve un tuyau de cette eau chaude, qu'une femme vous fait aller où vous voulez. Cet état, où l'on conserve à peine une feuille de figuier pour tout habillement, est une chose assez humiliante. J'avais voulu mes deux femmes de chambre, pour voir encore quelqu'un de connaissance. Derrière le rideau se met quelqu'un qui vous soutient le courage pendant une demi-heure ; c'était pour moi un médecin de Ganat. […] Il me parlait pendant que j'étais au supplice. Représentez-vous un jet d'eau contre quelqu'une de vos pauvres parties, toute la plus bouillante que vous puissiez vous imaginer. On met d'abord l'alarme partout, pour mettre en mouvement tous les esprits ; et puis on s'attache aux jointures qui ont été affligées ; mais quand on vient à la nuque du cou, c'est une sorte de feu et de surprise qui ne se peut comprendre ; cependant c'est là le nœud de l'affaire. Il faut tout souffrir, et l'on souffre tout, et l'on n'est point brûlée, et on se met ensuite dans un lit chaud, où l'on sue abondamment, et voilà ce qui guérit." 
Lettre du 1ier juin 1676
"J'en suis à la quatrième douche ; j'irai jusqu'à huit, et mes sueurs sont si extrêmes que je perce jusqu'à mes matelas; je pense que c'est toute l'eau que j'ai bue depuis que je suis au monde. Quand on entre dans le lit, il est vrai qu'on n'en peut plus: la tête et tout le corps sont en mouvement, tous les esprits en campagne, des battements partout. Je suis une heure sans ouvrir la bouche, pendant laquelle la sueur commence, et je continue pendant deux heures."
lettre du 4 juin 1676
"Je crois qu'en huit jours il est sorti de mon pauvre corps plus de vingt pintes d'eau. Je suis persuadée que rien ne me peut faire plus de bien ; je me crois à couvert des rhumatismes pour le reste de ma vie. La douche et la sueur sont assurément des états pénibles ; mais il y a une certaine demie heure où l'on se trouve à sec et fraîchement, et où l'on boit de l'eau de poulet fraîche ; je ne mets point ce temps au rang des plaisirs médiocres. […] Je n’ai plus les mains enflées, mais je ne les ferme pas ; et comme j’ai toujours espéré que le chaud les remettrait, j’avais fondé mon voyage de Vichy sur cette lessive dont je vous ai parlé, et sur les sueurs de la douche, pour m’ôter à jamais les craintes du rhumatisme : voilà ce que je voulais, et ce que j’ai trouvé." ….

La station thermale de Vichy s’est surtout développée au 19ème siècle. Mais Madame de Sévigné vanta tellement cette station à la Cour et auprès de ses amis que la ville de Vichy connut une vogue extraordinaire au 17-18ème siècle. On lisait les lettres de la marquise, on les copiait pour connaitre le traitement mais aussi les potins de la ville thermale. En cure on vivait loin du conformisme et des regards de la Cour dans une certaine liberté, une forme de complicité, mais toujours entre gens du même monde.
Marie de Sévigné fit en 1676 et 1677 deux cures qui l’ont guéri d’une paralysie des mains. Heureusement pour la postérité qui put se régaler de ses lettres.
La Maison du Roy : Premier Etablissement thermal de Vichy  (gravure extraite du livre d'Arlette de Bennetot )

C’est probablement le premier établissement thermal connu après la période romaine, Vichy est déjà connu sous le nom de Vicus Calidus (Bourg chaud). Les stations thermales sont plus ou moins abandonnées jusqu'à la Renaissance au 15ème siècle. Mais les voyageurs continuent à boire aux sources miraculeuses dans le cadre de pèlerinage.  Près de chez nous à Meynes, entre Remoulins et Nîmes, les malades se bousculaient aux sources, y compris Charlemagne et son grand-père Charles Martel.
pavillon et galerie couverte du Parc des Sources, 1899-1903.
Phot. Inv. Périn, Jean-Michel. © Inventaire général, Région Auvergne. 
En 1605 par lettres patentes du roi Henri IV est créée la Surintendance générale des Bains et Fontaines Minérales. Vers 1630 la Maison du Roy est construite ; elle était orientée au midi, avec deux chambres carrées. Deux baignoires profondes avec un petit escalier de huit marches pour y descendre. L’eau coulait dans des fontaines qui se vidaient dans un bassin derrière la Maison pour les commodités des pauvres. Les habitants louaient des lits, des tentes…aux curistes. On soignait par l’absorption d’eau, douches, et régime alimentaire.
Vers 1729 la Maison du Roy s’agrandit : un étage ajouté sur l’avis du médecin intendant Jacques-François Chomel, une nouvelle fontaine qui prend son nom.
Les filles de Louis XV Victoire et Adélaïde séjournent à Vichy en été 1785 mais trouvent le lieu boueux et peu spacieux. Leur neveu Louis XVI va charger l’architecte Janson d’aménager une galerie couverte au-dessus des sources Chomel et Grande-Grille. Un bâtiment supplémentaire regroupe les cabines de bain et de douches, un salon et une salle de fêtes.

La période révolutionnaire freine l’activité de la ville, la clientèle aristocratique a d’autres chats à fouetter et elle déserte la station.
Mme de Sévigné  buste par André Tajana (1913-1999)

Fort heureusement le 19ème siècle verra relancées les cures thermales et les établissements s’embellissent, offrent des distractions aux curistes. Napoléon Ier autorise en 1806 les jeux de hasards dans les stations thermales. Casinos, salles de danse, belles avenues, promenades, tout est fait pour le moral des patients. Des emplois sont créés, dans les stations mêmes, mais aussi dans les hôtels, les pensions de famille. Tous les métiers profitent de l’essor des stations, les métiers de la construction, les paysagistes, commerçants,… Ce sont des lieux de rencontres mondaines où curistes ou non-curistes se retrouvent. Entre autres personnalités, le compositeur Strauss se fait construire une villa à Vichy, l’empereur Napoléon III, y séjournera. Les embellissements de la station continuent à la Belle Epoque. Pont, plan d’eau, gare, église, villas, les architectes s’en donnent à cœur joie. Au 20ème siècle le médical reprendra le dessus. Tourisme et thermalisme sociaux se développent après 1945, donnant un autre élan à la station. 

La Maison du Roy en 1738, d’après une illustration d’A. MALLAT,

Pavillon dit de Sévigné où la marquise n’a probablement pas séjourné – Estampe Jules Simon 1858




Jacques Corrocher








Jacques Corrocher






Sources : Anne Bernet  Madame de Sévigné Mère Passion  édit Perrin 1996  isbn 2-262-01048x -Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Vichy et des environs ( juillet -décembre 1957 )  -  Jacques Corrocher Les eaux thermales de Vichy dans l'Antiquité Revue archéologique du Centre de la France, 1982 V21 n°2 Persée internet - Marie-Reine Jazé-Charvolin Les Stations Thermales de l'abandon à la renaissance In Situ Revue des Patrimoines 2014 internet  -   Paul Léonnec Donneuses d’eau Souvenirs de Vichy  - Georges Steinheil Histoire des eaux minérales de Vichy, éditeur, Paris, 1908 – wikipedia Jacques Cousseau, Palaces et grands hôtels de Vichy : L'hôtellerie triomphante des XIXe et XXe siècles dans la reine des villes d'eaux, éditions de la Montmarie, 2009, 190 p. (ISBN 9782915841558).-  Arlette de Bennetot Madame de Sévigné aux eaux de Vichy  1966  -  photo destinationvichy.com  - office du tourisme de Vichy  -  








Station thermale actuelle Vichy









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.