La Marquise à Vichy
Les
stations thermales et les cures ont beaucoup évolué depuis le 17ème
siècle. Marie de Sévigné (1626-1696) nous raconte son expérience et les
pratiques thérapeutiques de l’époque. Elle nous
vante les vertus des eaux de Vichy qui prennent naissance aux pieds des volcans
d’Auvergne. Elle salue cette eau qui guérit ses rhumatismes « Il est certain que
les eaux ici sont miraculeuses » et qui prend soin de sa beauté « Cette eau rend la peau
douce et unie. »
Janvier 1676 Madame de
Sévigné souffre d’un torticolis qu’elle soigne aux frictions à l’eau de la
reine de Hongrie. La douleur se fait de plus en plus lancinante, gagne l’épaule
droite, les mains, tout le côté du corps jusqu’aux orteils. Elle s’offre une
fabuleuse crise de rhumatismes, toutes les articulations gonflées, déformées,
parcourues d’élancements brûlants. A l’époque pas d’anti-inflammatoires,
seulement diète, purges, tisanes de reine-des-prés. Il faut prier un retour
spontané à la normale en se disant que les douleurs diminuent d’autant le
purgatoire si l’on offre à Dieu ses misères. Le rhumatisme n’a jamais tué
personne, c’est même un gage de longue vie, parait-il. La marquise est une
malade pénible, exigeante pour son entourage : il faut la faire manger,
l’aider à se bouger, écrire à sa place…. Elle supporte très mal la douleur. Son
fils Charles l’aide de son mieux, sa fille Françoise est loin, enceinte.
Le 19 février la
convalescence est enfin là. Elle écrit à sa fille : »la fin infinie d’un
rhumatisme est une chose incroyable. On ressent des douleurs qui font
ressouvenir du commencement ; l’on meurt de peur. Une main se renfle
traîtreusement, un torticolis vous trouble ; enfin mon enfant, c’est une
affaire que de se remettre en parfaite santé et comme je l’entreprends,
j’en suis fort occupée… ».
Elle a eu très peur, une
rechute toujours possible l’angoisse. Mais
amincie, rajeunie de silhouette, elle ne veut pas que ses relations la voient
avec une main droite tordue, aux articulations déformées. Elle est du genre
indépendante depuis son veuvage à l‘âge de 27 ans. Encore coquette à 50 ans. Après
un essai peu efficace de lotion pour frictionner les mains, elle pense à une
cure. Les stations thermales sont à la mode. Le docteur Delorme lui recommande
Bourbon-l’Archambault station réputée depuis l’Antiquité surtout pour traiter
des problèmes liés à la ménopause, qui lui paraissent la cause de tous les
soucis de sa patiente. Madame de Montespan, les femmes du Monde fréquentent
cette station. Mais Marie de Sévigné qui a son petit caractère, préfère Vichy. Début mai elle prend la
route, solitaire, de méchante humeur.
Elle appréhende ce qui l’attend,
l’isolement, le cafard. Elle part avec ses deux femmes de chambre, donc pas si seule que cela.
Quand elle arrive à
Vichy, ses craintes de s’ennuyer se dissipent. La station accueille des
curistes de qualité. Dès le premier jour, elle se retrouve invitée à souper
chez une lointaine cousine Brissac. Où loge-t-elle ? L’auberge du Cheval
Blanc, ou le futur pavillon Sévigné propriété de la famille Gravier ? Plus
vraisemblablement dans la Maison Badoche face à l’église Saint-Blaise.
Après une journée de
repos, la cure commence. Le 20 mai dès 6 h du matin, il faut être aux sources
pour prendre les eaux. Là selon ses capacités on boit au moins une
douzaine de verres d’eau. Puis messe et le reste de la matinée se passe à
digérer ces litres d’eau. Cette absorption massive de liquide de Vichy génère
des coliques abominables. C’est un sujet de conversation pour les curistes.
Après la purge, on se retrouve pour dîner, puis on joue aux cartes. Les paysans
viennent danser pour divertir les patients. Souper vers 7 heures et au lit à
10.
Maison Badoche dessin H
Clerget Gallica BNF–
Elle boit en faisant la
grimace : « ah ! qu’elles sont méchantes ! Elles sont
bouillantes et d’un goût de salpêtre ! ». Ses amis lui proposent une
expérience qui va la rassurer : on jette une rose fraîche dans la source.
La fleur ressortira intacte. La même rose dans une casserole d’eau chaude
ordinaire et la fleur meurt.
Lettre à sa fille du 20 mai 1676 : « J’ai donc pris des eaux ce matin ; ah, qu’elles sont
méchantes ! On va à six heures à la fontaine : tout le monde s’y
trouve, on boit, et l’on fait une fort vilaine mine ; car imaginez-vous
qu’elles sont bouillantes, et d’un goût de salpêtre fort désagréable. On
tourne, on va, on vient, on se promène, on entend la messe, on rend les eaux,
on parle confidemment de la manière qu’on les rend ;il n’est question que
de cela jusqu’à midi. Enfin, on dîne ; après dîner, on va chez
quelqu’un ; c’était aujourd’hui chez moi. Il est venu des demoiselles du
pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection. C’est ici où les
bohémiennes poussent leurs agréments ; elles font des dégognades (danses
plutôt relâchées) où les curés trouvent un peu à redire. Mais enfin, à cinq
heures, on va se promener dans des pays délicieux ; à sept heures, on
soupe légèrement ; on se couche à dix…. Je me suis assez bien trouvée de
mes eaux ; j’en ai bu douze verres, elles m’ont un peu purgée, c’est tout
ce qu’on désire. Je prendrai la douche dans quelques jours…. »
Après la cure intérieure
(verres d’eau) pendant deux semaines, elle passe au traitement par douche
pendant dix jours. Dans une pièce en sous-sol elle supporte un jet très chaud
qu’une fille de bain lui promène sur le corps. La marquise est à peu près nue. Puis
elle doit rester une heure ou deux allongée dans une chaleur d’étuve à suer.
C’est une épreuve assez fatigante. Pour elle c’est surtout une humiliation
d’être aux mains d’une inconnue suivi d’un long moment de désœuvrement et
d’ennui intellectuel. « un avant-goût du purgatoire ». Parfois un
médecin de la ville surveille les curistes et s’installe de l’autre côté d’un
rideau et tente de faire la conversation ou accepte de faire la lecture.
La marquise va de mieux
en mieux, elle ne peut pas encore fermer ses mains, mais ses jambes, ses genoux
répondent à nouveau à ses ordres.
Lettre du 28 mai 1676 à
sa fille Madame de Grignan
"J'ai commencé aujourd'hui
la douche. C'est une assez bonne répétition du purgatoire. On est toute nue
dans un petit lieu sous terre, où l'on trouve un tuyau de cette eau chaude,
qu'une femme vous fait aller où vous voulez. Cet état, où l'on conserve à peine
une feuille de figuier pour tout habillement, est une chose assez humiliante.
J'avais voulu mes deux femmes de chambre, pour voir encore quelqu'un de
connaissance. Derrière le rideau se met quelqu'un qui vous soutient le courage
pendant une demi-heure ; c'était pour moi un médecin de Ganat. […] Il me
parlait pendant que j'étais au supplice. Représentez-vous un jet d'eau contre quelqu'une
de vos pauvres parties, toute la plus bouillante que vous puissiez vous
imaginer. On met d'abord l'alarme partout, pour mettre en mouvement tous les
esprits ; et puis on s'attache aux jointures qui ont été affligées ;
mais quand on vient à la nuque du cou, c'est une sorte de feu et de surprise
qui ne se peut comprendre ; cependant c'est là le nœud de l'affaire. Il
faut tout souffrir, et l'on souffre tout, et l'on n'est point brûlée, et on se
met ensuite dans un lit chaud, où l'on sue abondamment, et voilà ce qui
guérit."
Lettre du 1ier juin 1676
"J'en suis à la
quatrième douche ; j'irai jusqu'à huit, et mes sueurs sont si extrêmes que
je perce jusqu'à mes matelas; je pense que c'est toute l'eau que j'ai bue
depuis que je suis au monde. Quand on entre dans le lit, il est vrai qu'on n'en
peut plus: la tête et tout le corps sont en mouvement, tous les esprits en
campagne, des battements partout. Je suis une heure sans ouvrir la bouche,
pendant laquelle la sueur commence, et je continue pendant deux heures."
lettre du 4 juin 1676
"Je crois qu'en huit jours il est sorti de mon
pauvre corps plus de vingt pintes d'eau. Je suis persuadée que rien ne me peut
faire plus de bien ; je me crois à couvert des rhumatismes pour le reste
de ma vie. La douche et la sueur sont assurément des états pénibles ; mais
il y a une certaine demie heure où l'on se trouve à sec et fraîchement, et où
l'on boit de l'eau de poulet fraîche ; je ne mets point ce temps au rang
des plaisirs médiocres. […] Je n’ai plus les mains enflées, mais je ne les
ferme pas ; et comme j’ai toujours espéré que le chaud les remettrait,
j’avais fondé mon voyage de Vichy sur cette lessive dont je vous ai parlé, et
sur les sueurs de la douche, pour m’ôter à jamais les craintes du rhumatisme :
voilà ce que je voulais, et ce que j’ai trouvé." ….
La
station thermale de Vichy s’est surtout développée au 19ème siècle.
Mais Madame de Sévigné vanta tellement cette station à la Cour et auprès de ses
amis que la ville de Vichy connut une vogue extraordinaire au 17-18ème
siècle. On lisait les lettres de la marquise, on les copiait pour connaitre le
traitement mais aussi les potins de la ville thermale. En cure on vivait loin
du conformisme et des regards de la Cour dans une certaine liberté, une forme
de complicité, mais toujours entre gens du même monde.
Marie
de Sévigné fit en 1676 et 1677 deux cures qui l’ont guéri d’une paralysie des
mains. Heureusement pour la postérité qui put se régaler de ses lettres.
La Maison du Roy : Premier Etablissement thermal de
Vichy (gravure extraite du livre d'Arlette de Bennetot )
C’est probablement
le premier établissement thermal connu après la période romaine, Vichy est déjà
connu sous le nom de Vicus Calidus (Bourg chaud). Les stations thermales sont plus ou moins abandonnées jusqu'à la Renaissance au 15ème siècle. Mais les voyageurs continuent à boire aux sources miraculeuses dans le cadre de pèlerinage. Près de chez nous à Meynes, entre Remoulins et Nîmes, les malades se bousculaient aux sources, y compris Charlemagne et son grand-père Charles Martel.
En 1605 par lettres patentes
du roi Henri IV est créée la Surintendance générale des Bains et Fontaines
Minérales. Vers 1630 la Maison du Roy est construite ; elle était orientée
au midi, avec deux chambres carrées. Deux baignoires profondes avec un petit
escalier de huit marches pour y descendre. L’eau coulait dans des fontaines qui
se vidaient dans un bassin derrière la Maison pour les commodités des pauvres.
Les habitants louaient des lits, des tentes…aux curistes. On soignait par
l’absorption d’eau, douches, et régime alimentaire.
pavillon et galerie couverte du Parc des Sources, 1899-1903.
Phot. Inv. Périn, Jean-Michel. © Inventaire général,
Région Auvergne. |
Vers 1729
la Maison du Roy s’agrandit : un étage ajouté sur l’avis du médecin
intendant Jacques-François Chomel, une nouvelle fontaine qui prend son nom.
Les filles de Louis XV
Victoire et Adélaïde séjournent à Vichy en été 1785 mais trouvent le lieu
boueux et peu spacieux. Leur neveu Louis XVI va charger l’architecte Janson
d’aménager une galerie couverte au-dessus des sources Chomel et Grande-Grille.
Un bâtiment supplémentaire regroupe les cabines de bain et de douches, un salon
et une salle de fêtes.
La période révolutionnaire freine
l’activité de la ville, la clientèle aristocratique a d’autres chats à fouetter
et elle déserte la station.
Mme
de Sévigné buste par André Tajana
(1913-1999)
Fort heureusement le 19ème
siècle verra relancées les cures thermales et les établissements
s’embellissent, offrent des distractions aux curistes. Napoléon Ier autorise en 1806 les jeux de hasards dans les stations
thermales. Casinos, salles de
danse, belles avenues, promenades, tout est fait pour le moral des patients.
Des emplois sont créés, dans les stations mêmes, mais aussi dans les hôtels,
les pensions de famille. Tous les métiers profitent de l’essor des stations,
les métiers de la construction, les paysagistes, commerçants,… Ce sont des
lieux de rencontres mondaines où curistes ou non-curistes se retrouvent. Entre autres personnalités, le compositeur
Strauss se fait construire une villa à Vichy, l’empereur Napoléon III, y
séjournera. Les embellissements de la station continuent à la Belle Epoque.
Pont, plan d’eau, gare, église, villas, les architectes s’en donnent à cœur
joie. Au 20ème siècle le médical reprendra le dessus. Tourisme et thermalisme
sociaux se développent après 1945, donnant un autre élan à la station.
La Maison du Roy
en 1738, d’après une illustration d’A. MALLAT,
Pavillon dit de Sévigné où la marquise n’a probablement
pas séjourné – Estampe Jules Simon 1858
Sources : Anne
Bernet Madame de Sévigné Mère
Passion édit Perrin 1996 isbn 2-262-01048x -Bulletin de la Société
d'Histoire et d'Archéologie de Vichy et des environs ( juillet -décembre 1957
) - Jacques Corrocher Les eaux thermales de Vichy dans l'Antiquité Revue archéologique du Centre de la France, 1982 V21 n°2 Persée internet - Marie-Reine Jazé-Charvolin Les Stations Thermales de l'abandon à la renaissance In Situ Revue des Patrimoines 2014 internet - Paul Léonnec Donneuses d’eau Souvenirs de Vichy - Georges Steinheil Histoire des eaux minérales de Vichy, éditeur, Paris, 1908 – wikipedia Jacques Cousseau, Palaces et grands hôtels de Vichy :
L'hôtellerie triomphante des XIXe et XXe siècles dans la
reine des villes d'eaux, éditions de la Montmarie, 2009, 190 p. (ISBN 9782915841558).- Arlette de Bennetot Madame de Sévigné aux eaux de Vichy 1966
- photo
destinationvichy.com - office du
tourisme de Vichy -
Station thermale actuelle Vichy |
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