vendredi 27 octobre 2017

Les Papes d'Avignon : Jean XXII


Les papes d’Avignon – Jean XXII

Nous avions dans un précèdent article laissé Avignon sans pape après la mort de Clément V en avril 1314. (en médaillon Jean XXII 1244-1316-1334)


Nous voici en 1316, deux ans se sont écoulés et toujours pas de souverain pontife. Le conclave qui doit élire un pape se tient au palais épiscopal de Carpentras. Les réunions du Sacré Collège sont loin d’une sage réflexion ecclésiastique. Insultes, menaces, sous-entendus, intimidations…. Vingt-quatre votants : les plus nombreux les Français au nombre de dix plus ou moins désignés par le défunt Clément V, sept Italiens, avec pour chef de file le vieux Napoléon Orsini, six indécis dont trois Languedociens, un Quercinois, deux Normands plutôt du côté de l’Inquisition. Aucune majorité ne se dégage. 
A l’extérieur, ce ne sont que batailles rangées des serviteurs, rixes entre Italiens et Gascons qui laissent des morts sur le carreau… Et le 24 juillet 1314 le conclave est attaqué. Les neveux du défunt Clément V, Bertrand de Got seigneur de Monteux du parti gascon et Raymond Guilhem de Budos recteur du Comtat Venaissin décident de prendre les choses en mains. La ville de Carpentras est mise à sac. Des quartiers sont incendiés, des maisons pillées, on égorge des Italiens, des Juifs… On viole les femmes des banquiers lombards. On crie « Mort aux cardinaux italiens ! Mort aux Italiens ! Vive un pape français !.. » Mais surtout les neveux récupèrent le trésor de guerre de leur oncle, un million de florins destinés à la croisade.
Les conclavistes italiens s’échappent par un étroit passage qui sert à l’arrivée des subsistances. Les électeurs gascons préfèrent se réfugier à Avignon qu’ils rejoignent escortés par les hommes de Guilhem de Burgos.
Armoiries Jean XXII
Le schisme n’est pas loin. Les mêmes discussions stériles recommencent. Un certain « mauvais vouloir ». Chaque parti menace de nommer un pape. Le 25 juin 1316, les cardinaux se retrouvent à Lyon. Le roi Louis le Hutin est décédé, et son frère Philippe de Poitiers sous prétexte de service funèbre pour le défunt, rassemble les cardinaux en l’église des Dominicains. Le comte de Poitiers futur roi Philippe V, pour l’instant régent du royaume, les y attend de pied ferme. Le 28 au matin toutes les issues sont murées, les maçons lyonnais ont travaillé toute la nuit. « Vous sortirez d’ici lorsqu’un nouveau pape sera désigné ». Et l’église et le couvent  pour faire bonne mesure sont cernés par la troupe. Un mois s’écoule..
Le mois d’août est orageux, lourd, très chaud. Le 7 août les cardinaux toujours prisonniers du roi de France, transpirent sur leur litière, complètement nus selon la légende. Italiens et Gascons se regardent en chien de faïence ; qui fera le premier geste de concorde ? Vitalo qui s’occupe de l’intendance et du service du conclave croit savoir que le vieil Napoléon Orsini serait le mieux placé. En fait celui-ci, avec Francesco Caetani et Arnand de Pellegrue proposent un candidat, celui de Philippe de Poitiers et de Robert d’Anjou le nouveau comte de Provence et roi de Naples. Pourquoi pas Jacques Duèze (ou Duise) ancien évêque d’Avignon et cardinal de Porto ? Il est originaire de Cahors, il a 72 ans, et jusqu’à présent il n’a pas fait trop parler de lui. D’aspect chétif, de petite taille, une voix fluette cachaient en fait une robuste santé acquise par une hygiène de vie exemplaire. Pour certains auteurs il est d’origine modeste, un père cordonnier, pour d’autres il est le fils d’un riche bourgeois de Cahors, ses sœurs ont fait de beaux mariages dans la noblesse du secteur, ce qui laisse penser que la deuxième hypothèse est la bonne.
Alors vite fait, on rappelle les maçons sur ordre de Philippe V, le conclave a désigné un nouveau souverain pontife. Qui ? Un Espagnol, un Italien, un Suisse (du Valais), un Français ? La foule avertie par la rumeur est accourue, impatiente de voir. Pourvu que les cardinaux ne changent pas d’avis !!
Apparait enfin par une brèche du mur, une petite silhouette fragile, sourire angélique aux lèvres, le cardinal de Porto…. Les autres cardinaux semblent sereins, réconciliés. Le nouvel élu se rend à pied au milieu du peuple, soldats, mendiants, abbés… jusqu’à l’abbaye d’Ainay. Sans incident, contrairement à ce qui était arrivé à son prédécesseur. Il y reçoit l’hommage des cardinaux et prête serment assis sur un simple fauteuil en bois et non sur un trône. Une chaine en or qui retient un Christ en ivoire, une simple robe blanche, le décorum est très dépouillé. « Nous nous nommerons Jean XXII et notre résidence sera Avignon. »
Pour les cardinaux, c’est un pape de transition. Son âge laisse présager peu d’avenir semble-t-il. Pourtant son pontificat durera près de 19 ans.
Dessin d'après gravure BNF
C’est un théologien brillant, un réformateur et un bâtisseur. Il a fait ses études chez les dominicains de Cahors. Toute sa vie il sera fidèle à cet ordre religieux. C’est aussi un juriste. Il a fréquenté la faculté de droit de Montpellier et celle de théologie de Paris. Il a enseigné à Toulouse. Une carrière chargée et une ascension relativement rapide : archiprêtre à Cahors, chanoine à Périgueux, archiprêtre à Sarlat, doyen du Puy. Il est dans l’entourage de Charles II d’Anjou, de Saint Louis d’Anjou à Toulouse. Puis évêque de Fréjus en 1300, nommé chancelier de Provence en 1308 par Charles d’Anjou roi de Naples. En 1310 il est nommé par Clément V, évêque d’Avignon, puis élevé au rang de cardinal de Porto en 1313. Toujours dans les coulisses du pouvoir.
Il rejoint Avignon le 2 octobre 1316, par le Rhône. Il débarque au pied du pont Saint-Bénezet qu’il bénit. A pied il gravit les escaliers du rocher des Doms, pour rejoindre le petit couvent et palais épiscopal habité alors par son neveu et évêque Jacques de Via. Celui-ci libère les lieux et devient cardinal.

Ce sera un pape au caractère complexe, intransigeant, parfois injuste, mais d’une grande intelligence. Il va beaucoup excommunier. Le franciscain Bernard Delicieux que son prédécesseur avait plus ou moins pardonné pour son refus des pratiques de l’Inquisition, sera sur son ordre à nouveau poursuivi et finira sa vie en prison. L’empereur Louis IV de Bavière qui nomme un autre pape en 1328, l’antipape Nicolas V, sera excommunié et l’antipape prisonnier meurt dans les prisons d’Avignon en 1333… (Jean XXII Son Chapitre –Fréjus )
Jean XXII pratique l’alchimie et la cabbale et serait maitre dans les arts occultes, peut-être en profitant de l’expérience d’anciens Templiers. Pourtant il assimile dans une bulle la sorcellerie à l’hérésie et des Templiers seront encore exécutés sous son règne pontifical.
(Bernard Délicieux 1887L’Agitateur du Languedoc Musée des Augustins Toulouse –JP Laurens )

Mais c’est un autre aspect du caractère du souverain pontife qui va nous intéresser ici. Le palais épiscopal est une ancienne maison-forte. Il va l’embellir, l’agrandir en achetant les maisons autour. Elle était située à l’emplacement de l’actuel Palais-Vieux. Il rénove les demeures comtadines des souverains pontifes, se fait construire une résidence somptueuse au bord de la rivière, la Sorgue, une « forteresse d’agrément ». 
 (Carlin Jean XXII- atelier monétaire de Sorgue- photo Saiko 2011 wikimedia communs). Il accroit le trésor des papes par une réforme fiscale un peu controversée. Il fait venir des artisans de Florence pour battre monnaie dans les ateliers de Sorgue. Jean XXII déclara déchus de la légitime possession de leurs bénéfices, ou inhabiles à en recevoir, les clercs qui se livreraient à l'altération des monnaies.
Avignon qui vit une surpopulation et un manque de logements se voit appliquer une règlementation très stricte. Chaque habitant devait se restreindre à un nombre de pièces rigoureusement indispensables à sa famille. Des assignatores, fonctionnaires pontificaux attribuaient les autres pièces à d’autres citoyens et les taxatores donorum, collecteurs de loyer encaissaient le montant des redevances en tenant compte de la situation financière de chacun. Le nouveau venu dans l’appartement ou la maison avait un droit d’usage de la cuisine et des latrines communautaires. Des subventions prises sur les fonds publics sont accordées aux nécessiteux et aux lépreux. Une forme de socialisme ? Pourtant il condamne toute la théorie de la pauvreté évangélique prônée par des Franciscains en s’appuyant sur l’hypothèse que Jésus et les apôtres auraient possédés des biens temporels. Umberto Eco dans son roman Le Nom de la Rose nous en donne un aperçu.
Il fonde des universités, Cahors, Cambridge, pousse l’évangélisation en Asie et encourage les missions. Il est à l’origine de la bibliothèque pontificale de Rome… On lui doit le château de Châteauneuf-du-Pape, (3 000 florins nous disent les archives). Pour sa construction (une quinzaine d’années), on fait venir du bois de Seyssel, par les radeliers du Rhône. Jean XXII plante de la vigne, achète des vignobles (Valréas, Saint-Saturnin,…). D’autres châteaux verront le jour : Bédarrides, Barbentane, Noves, Saint-Laurent des Arbres, Châteauneuf de Gadagne.. Résidences d’été mais surtout maîtrise des routes menant à Avignon. Cette ville a de nombreux avantages : un port fluvial, un pont qui amène des taxes sur les marchandises, une vaste zone agricole qui nourrit la population….. Le pape n’avait vraiment pas envie de retour à Rome, ville toujours minée par des complots, et une guerre civile sans fin.: Pour ses travaux le souverain pontife privilégie l’artisanat local, apportant ainsi richesse, travail et allégeance.
Par contre il fustige les innovations du compositeur et théoricien Philippe de Vitry en matière musicale. Innovations dans la notation musicale, le langage musical… Jean XXII par sa décrétale de 1324-25 Docta Sanctorum Patrum s’insurge :  « ils mettent toute leur attention à mesurer les temps, s'appliquent à faire les notes de façon nouvelle, préfèrent composer leurs propres chants que chanter les anciens, divisent les pièces ecclésiastiques en semi-brèves et minimes ; ils hachent le chant avec les notes de courte durée, tronçonnent les mélodies par des hoquets, polluent les mélodies avec des déchants et vont jusqu'à les farcir de « triples » et de motets en langue vulgaire ». Mais ce sera sans suite, et le compositeur sera même invité à la cour pontificale et comblé de bénéfices.
Juifs sur le bûcher - anonyme 15ème siècle
photo2011 JPS68 wikimedia































Suivant l’exemple du roi de France, il s’en prend aux Juifs d’Avignon et du Comtat en les expulsant et en confisquant leurs biens. Ils emportent leurs savoir-faire (médecine entre autres) en Dauphiné et en Savoie. En même temps Jean XXII fait détruire les synagogues de Bédarrides, Bollène, Carpentras, Le Thor, Malaucène, Monteux et Pernes, privant ainsi les historiens d’archives.

Il aimait un certain faste, les plaisirs de la table. Il parait qu’il ne dédaignait pas les jolies provençales, mais c’était dans l’air du temps. 
On danse, on festoie sur le pont d’Avignon. Un soir il s’agit de célébrer les noces de sa petite-nièce Jeanne, fille du maréchal de justice Arnaud de Trian avec Guichard de Poitiers. Sur le pont, on a dressé de longues tables couvertes de soie orientale et de vaisselle d’or fin. Jean XXII a invité mille convives qui vont se régaler : 4012 pains, 1100 litres de vin, 8 bœufs plus 3 quartiers ; 555 moutons, 108 porcs, 40 sangliers, 80 kg de poissons blancs, et 300 carpes, 200 livres de baleine, 200 chapons, 690 poules, 580 perdrix, 270 lapins, 40 pluviers, 37 canards, 50 colombes, 4 grues, 2 faisans, 292 alouettes, 352 quintaux de fromages, 3000 œufs, 20 000 pommes…. Ce sont les Juifs d’Avignon qui paient la note. La cour pontificale offre les manteaux, les robes et les fourrures nécessaires. Dante et Pétrarque nous ont laissé des descriptions admiratives ou agacées des fêtes avignonnaises.
Jean XXII avait l’esprit de famille. Deux neveux deviennent évêques puis cardinaux. Son neveu Arnaud de Trian maréchal de justice rackettait à l’insu de son oncle, les juifs, les commerçants, les bourgeois. La Curie était fortement corrompue, les plus proches collaborateurs du pape se remplissaient les poches. Le pouvoir attire toujours l’avidité !..
Les trois dernières années de sa vie, le pape semble sortir de l’orthodoxie chrétienne. Il affirme ou bien il s’interroge ? Angoisse de la mort toute proche ? Il frôle l’hérésie en déclarant que les damnés ne sont pas en enfer et qu’ils subiront leur supplice qu’après la Fin des Temps…que les âmes ne possèdent pas la vie éternelle en attendant la Résurrection, etc… Emoi chez les fidèles et dans les Cours européennes. Jean XXII semble se rétracter à la veille de sa mort dans un texte ambigu, aride. Il décède le 4 décembre 1334 à 90 ans. Ses obsèques se dérouleront à Avignon dans la chapelle qu’il avait fait construire. On enterre un homme de son temps, malaisé à cerner. Sympathique par sa complexité, ses contradictions et une certaine fragilité…Il sera intervenu dans pratiquement toutes les affaires politico-successorales européennes et il laisse une Eglise réorganisée, des diocèses restructurés.
Tombeau de Jean XXII Cathédrale Notre-Dame des Doms
photo2007 JLouis Zimmermann-wikimédia
Le tombeau sera mutilé et profané en 1792 lors du rattachement d’Avignon à la France.
Le conclave qui suit se tiendra à Avignon. Pour les cardinaux le prochain pape devra être « assez médiocre pour ne déplaire à personne et pour être récupérer par tous ».
Ce sera fait en sept jours. Est élu l’évêque de Pamiers Jacques Fournier, sous le nom de Benoît XII, qui fut si étonné de son élection qu’il dira « vous venez d’élire un âne… ». C’est un fidèle à Jean XXII.




(Palais des papes sur la Sorgue gravure- anonyme 1670 Album Laincel Musée Calvet Avignon)


Châteauneuf du Pape au 17ème siècle dessin plume et lavis Musée Calvet Albu Laincet construit par Jean XXII au 14ème siècle



Sources : Claude Mossé  Les Histoires de l’Histoire 1981 ISBN 2-7144-1437-0 H60-2094-5  - B. Guillemain, Les papes d’Avignon (1309 – 1376), Paris, 1998. - Jean Favier, Les papes d’Avignon, Fayard, Paris, 2006,  -  Decima L. DOUIE, « JEAN XXII, JACQUES DUÈSE ou D'EUZE (1245-1334) - pape (1316-1334) », Encyclopædia Universalis [en ligne). URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/jacques-jean-xxii/  - Jacques DUBOIS, « BERNARD DÉLICIEUX (mort en 1320) », Encyclopædia Universalis [en ligne],. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/bernard-delicieux/ -
Ars Nova Roger Blanchard -  G Mollat Revue d’Histoire de l’Eglise de France 1910 Persée vI n°2 persée.fr/doc/rhel  -  Quercy.netJean Dueze – wikipédia et wikimédia  - Maurice Faucon  Les arts à la cour d'Avignon sous Clément V et Jean XXII (d'après les registres caméraux de L'Archivio segreto Vaticano). Seconde partie (1320-1334) Mélanges d’archéologie et d’histoire 1884 V4 N°1 Persée -

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