Les papes d’Avignon
– Jean XXII
Nous avions dans un
précèdent article laissé Avignon sans pape après la mort de Clément V en avril
1314. (en médaillon Jean XXII 1244-1316-1334)
Nous voici en 1316, deux
ans se sont écoulés et toujours pas de souverain pontife. Le conclave qui doit
élire un pape se tient au palais épiscopal de Carpentras. Les réunions du Sacré
Collège sont loin d’une sage réflexion ecclésiastique. Insultes, menaces,
sous-entendus, intimidations…. Vingt-quatre votants : les plus nombreux
les Français au nombre de dix plus ou moins désignés par le défunt Clément V,
sept Italiens, avec pour chef de file le vieux Napoléon Orsini, six indécis
dont trois Languedociens, un Quercinois, deux Normands plutôt du côté de
l’Inquisition. Aucune majorité ne se dégage.
A l’extérieur, ce ne sont
que batailles rangées des serviteurs, rixes entre Italiens et Gascons qui
laissent des morts sur le carreau… Et le 24 juillet 1314 le conclave est
attaqué. Les neveux du défunt Clément V, Bertrand de Got seigneur de Monteux du
parti gascon et Raymond Guilhem de Budos recteur du Comtat Venaissin décident
de prendre les choses en mains. La ville de Carpentras est mise à sac. Des
quartiers sont incendiés, des maisons pillées, on égorge des Italiens, des Juifs…
On viole les femmes des banquiers lombards. On crie « Mort aux cardinaux
italiens ! Mort aux Italiens ! Vive un pape français !.. » Mais
surtout les neveux récupèrent le trésor de guerre de leur oncle, un million de
florins destinés à la croisade.
Les conclavistes italiens
s’échappent par un étroit passage qui sert à l’arrivée des subsistances. Les
électeurs gascons préfèrent se réfugier à Avignon qu’ils rejoignent escortés
par les hommes de Guilhem de Burgos.
Armoiries Jean XXII |
Le schisme n’est pas
loin. Les mêmes discussions stériles recommencent. Un certain « mauvais
vouloir ». Chaque parti menace de nommer un pape. Le 25 juin 1316, les
cardinaux se retrouvent à Lyon. Le roi Louis le Hutin est décédé, et son frère Philippe
de Poitiers sous prétexte de service funèbre pour le défunt, rassemble les
cardinaux en l’église des Dominicains. Le comte de Poitiers futur roi Philippe
V, pour l’instant régent du royaume, les y attend de pied ferme. Le 28 au matin
toutes les issues sont murées, les maçons lyonnais ont travaillé toute la nuit.
« Vous sortirez d’ici lorsqu’un nouveau pape sera désigné ». Et
l’église et le couvent pour faire bonne
mesure sont cernés par la troupe. Un mois s’écoule..
Le mois d’août est
orageux, lourd, très chaud. Le 7 août les cardinaux toujours prisonniers du roi
de France, transpirent sur leur litière, complètement nus selon la légende. Italiens
et Gascons se regardent en chien de faïence ; qui fera le premier geste de
concorde ? Vitalo qui s’occupe de l’intendance et du service du conclave
croit savoir que le vieil Napoléon Orsini serait le mieux placé. En fait
celui-ci, avec Francesco Caetani et Arnand de Pellegrue proposent un candidat,
celui de Philippe de Poitiers et de Robert d’Anjou le nouveau comte de Provence
et roi de Naples. Pourquoi pas Jacques Duèze (ou Duise) ancien évêque d’Avignon
et cardinal de Porto ? Il est originaire de Cahors, il a 72 ans, et
jusqu’à présent il n’a pas fait trop parler de lui. D’aspect chétif, de petite
taille, une voix fluette cachaient en fait une robuste santé acquise par une
hygiène de vie exemplaire. Pour certains auteurs il est d’origine modeste, un
père cordonnier, pour d’autres il est le fils d’un riche bourgeois de Cahors,
ses sœurs ont fait de beaux mariages dans la noblesse du secteur, ce qui laisse
penser que la deuxième hypothèse est la bonne.
Alors vite fait, on
rappelle les maçons sur ordre de Philippe V, le conclave a désigné un nouveau
souverain pontife. Qui ? Un Espagnol, un Italien, un Suisse (du Valais),
un Français ? La foule avertie par la rumeur est accourue, impatiente de
voir. Pourvu que les cardinaux ne changent pas d’avis !!
Apparait enfin par une
brèche du mur, une petite silhouette fragile, sourire angélique aux lèvres, le
cardinal de Porto…. Les autres cardinaux semblent sereins, réconciliés. Le
nouvel élu se rend à pied au milieu du peuple, soldats, mendiants, abbés…
jusqu’à l’abbaye d’Ainay. Sans incident, contrairement à ce qui était arrivé à
son prédécesseur. Il y reçoit l’hommage des cardinaux et prête serment assis
sur un simple fauteuil en bois et non sur un trône. Une chaine en or qui
retient un Christ en ivoire, une simple robe blanche, le décorum est très
dépouillé. « Nous nous nommerons Jean XXII et notre
résidence sera Avignon. »
Pour les cardinaux, c’est
un pape de transition. Son âge laisse présager peu d’avenir semble-t-il.
Pourtant son pontificat durera près de 19 ans.
Dessin d'après gravure BNF |
C’est un
théologien brillant, un réformateur et un bâtisseur. Il a fait ses études chez
les dominicains de Cahors. Toute sa vie il sera fidèle à cet ordre religieux. C’est
aussi un juriste. Il a fréquenté la faculté de droit de Montpellier et celle de
théologie de Paris. Il a enseigné à Toulouse. Une carrière chargée et une
ascension relativement rapide : archiprêtre à Cahors, chanoine à Périgueux,
archiprêtre à Sarlat, doyen du Puy. Il est dans l’entourage de Charles II
d’Anjou, de Saint Louis d’Anjou à Toulouse. Puis évêque de Fréjus en 1300,
nommé chancelier de Provence en 1308 par Charles d’Anjou roi de Naples. En 1310
il est nommé par Clément V, évêque d’Avignon, puis élevé au rang de cardinal de
Porto en 1313. Toujours dans les coulisses du pouvoir.
Il rejoint Avignon le 2 octobre 1316, par le Rhône. Il
débarque au pied du pont Saint-Bénezet qu’il bénit. A pied il gravit les
escaliers du rocher des Doms, pour rejoindre le petit couvent et palais
épiscopal habité alors par son neveu et évêque Jacques de Via. Celui-ci libère
les lieux et devient cardinal.
Ce sera un pape au
caractère complexe, intransigeant, parfois injuste, mais d’une grande
intelligence. Il va beaucoup excommunier. Le franciscain Bernard Delicieux que
son prédécesseur avait plus ou moins pardonné pour son refus des pratiques de
l’Inquisition, sera sur son ordre à nouveau poursuivi et finira sa vie en
prison. L’empereur Louis IV de Bavière qui nomme un autre pape en 1328,
l’antipape Nicolas V, sera excommunié et l’antipape prisonnier
meurt dans les prisons d’Avignon en 1333… (Jean
XXII Son Chapitre –Fréjus )
Jean XXII pratique
l’alchimie et la cabbale et serait maitre dans les arts occultes, peut-être en
profitant de l’expérience d’anciens Templiers. Pourtant il assimile dans une
bulle la sorcellerie à l’hérésie et des Templiers seront encore exécutés sous
son règne pontifical.
(Bernard
Délicieux 1887L’Agitateur du Languedoc Musée des Augustins Toulouse –JP Laurens
)
Mais c’est un
autre aspect du caractère du souverain pontife qui va nous intéresser ici. Le
palais épiscopal est une ancienne maison-forte. Il va l’embellir, l’agrandir en
achetant les maisons autour. Elle était située à l’emplacement de l’actuel
Palais-Vieux. Il rénove les demeures comtadines des souverains pontifes, se
fait construire une résidence somptueuse au bord de la rivière, la Sorgue, une
« forteresse d’agrément ».
(Carlin Jean XXII- atelier monétaire de Sorgue- photo Saiko 2011 wikimedia communs). Il accroit le trésor des papes par une
réforme fiscale un peu controversée. Il fait venir des artisans de Florence
pour battre monnaie dans les ateliers de Sorgue. Jean XXII déclara déchus de la
légitime possession de leurs bénéfices, ou inhabiles à en recevoir, les clercs
qui se livreraient à l'altération des
monnaies.
Avignon qui vit une
surpopulation et un manque de logements se voit appliquer une règlementation
très stricte. Chaque habitant devait se restreindre à un nombre de pièces
rigoureusement indispensables à sa famille. Des assignatores, fonctionnaires
pontificaux attribuaient les autres pièces à d’autres citoyens et les taxatores
donorum, collecteurs de loyer encaissaient le montant des redevances en tenant
compte de la situation financière de chacun. Le nouveau venu dans l’appartement
ou la maison avait un droit d’usage de la cuisine et des latrines
communautaires. Des subventions prises sur les fonds publics sont accordées aux
nécessiteux et aux lépreux. Une forme de socialisme ? Pourtant il condamne
toute la théorie de la pauvreté évangélique prônée par des Franciscains en
s’appuyant sur l’hypothèse que Jésus et les apôtres auraient possédés des biens
temporels. Umberto Eco dans son roman Le Nom de la Rose nous en donne un
aperçu.
Il fonde des universités,
Cahors, Cambridge, pousse l’évangélisation en Asie et encourage les missions.
Il est à l’origine de la bibliothèque pontificale de Rome… On lui doit le
château de Châteauneuf-du-Pape, (3 000 florins nous disent les archives). Pour sa
construction (une quinzaine d’années), on fait venir du bois de Seyssel, par
les radeliers du Rhône. Jean XXII plante de la vigne, achète des vignobles
(Valréas, Saint-Saturnin,…). D’autres châteaux verront le jour :
Bédarrides, Barbentane, Noves, Saint-Laurent des Arbres, Châteauneuf de
Gadagne.. Résidences d’été mais surtout maîtrise des routes menant à Avignon. Cette
ville a de nombreux avantages : un port fluvial, un pont qui amène des
taxes sur les marchandises, une vaste zone agricole qui nourrit la population…..
Le pape n’avait vraiment pas envie de retour à Rome, ville toujours minée par
des complots, et une guerre civile sans fin.: Pour ses travaux
le souverain pontife privilégie l’artisanat local, apportant ainsi richesse,
travail et allégeance.
Par contre il fustige les
innovations du compositeur et théoricien Philippe de Vitry en matière musicale.
Innovations dans la notation musicale, le langage musical… Jean XXII par sa
décrétale de 1324-25 Docta Sanctorum Patrum s’insurge : « ils mettent toute leur attention à mesurer les temps,
s'appliquent à faire les notes de façon nouvelle, préfèrent composer leurs
propres chants que chanter les anciens, divisent les pièces ecclésiastiques en
semi-brèves et minimes ; ils hachent le chant avec les notes de courte
durée, tronçonnent les mélodies par des hoquets, polluent les mélodies avec des
déchants et vont jusqu'à les farcir de « triples » et de motets en
langue vulgaire ». Mais ce sera sans suite, et le
compositeur sera même invité à la cour pontificale et comblé de bénéfices.
Juifs sur le bûcher - anonyme 15ème siècle photo2011 JPS68 wikimedia |
Suivant l’exemple du roi
de France, il s’en prend aux Juifs d’Avignon et du Comtat en les expulsant et
en confisquant leurs biens. Ils emportent leurs savoir-faire (médecine entre
autres) en Dauphiné et en Savoie. En même temps Jean XXII fait détruire les
synagogues de Bédarrides, Bollène, Carpentras, Le Thor, Malaucène, Monteux et
Pernes, privant ainsi les historiens d’archives.
Il aimait un certain
faste, les plaisirs de la table. Il parait qu’il ne dédaignait pas les jolies
provençales, mais c’était dans l’air du temps.
On danse, on festoie sur
le pont d’Avignon. Un soir il s’agit de célébrer les noces de sa petite-nièce
Jeanne, fille du maréchal de justice Arnaud de Trian avec Guichard de Poitiers.
Sur le pont, on a dressé de longues tables couvertes de soie orientale et de
vaisselle d’or fin. Jean XXII a invité mille convives qui vont se
régaler : 4012 pains, 1100 litres de vin, 8 bœufs plus 3 quartiers ;
555 moutons, 108 porcs, 40 sangliers, 80 kg de poissons blancs, et 300 carpes,
200 livres de baleine, 200 chapons, 690 poules, 580 perdrix, 270 lapins, 40
pluviers, 37 canards, 50 colombes, 4 grues, 2 faisans, 292 alouettes, 352
quintaux de fromages, 3000 œufs, 20 000 pommes…. Ce sont les Juifs
d’Avignon qui paient la note. La cour pontificale offre les manteaux, les robes
et les fourrures nécessaires. Dante et Pétrarque nous ont laissé des
descriptions admiratives ou agacées des fêtes avignonnaises.
Jean XXII avait l’esprit
de famille. Deux neveux deviennent évêques puis cardinaux. Son neveu Arnaud de
Trian maréchal de justice rackettait à l’insu de son oncle, les juifs, les
commerçants, les bourgeois. La Curie était fortement corrompue, les plus
proches collaborateurs du pape se remplissaient les poches. Le pouvoir attire
toujours l’avidité !..
Les trois dernières
années de sa vie, le pape semble sortir de l’orthodoxie chrétienne. Il affirme
ou bien il s’interroge ? Angoisse de la mort toute proche ? Il frôle
l’hérésie en déclarant que les damnés ne sont pas en enfer et qu’ils subiront leur
supplice qu’après la Fin des Temps…que les âmes ne possèdent pas la vie
éternelle en attendant la
Résurrection, etc… Emoi chez les fidèles et dans les Cours européennes. Jean
XXII semble se rétracter à la veille de sa mort dans un texte ambigu, aride. Il
décède le 4 décembre 1334 à 90 ans. Ses obsèques se dérouleront à Avignon dans
la chapelle qu’il avait fait construire. On enterre un homme de son temps,
malaisé à cerner. Sympathique par sa complexité, ses contradictions et une
certaine fragilité…Il sera intervenu dans pratiquement toutes les affaires
politico-successorales européennes et il laisse une Eglise réorganisée, des
diocèses restructurés.
Tombeau de Jean XXII Cathédrale Notre-Dame des Doms photo2007 JLouis Zimmermann-wikimédia |
Le tombeau sera mutilé et
profané en 1792 lors du rattachement d’Avignon à la France.
Le conclave qui suit se
tiendra à Avignon. Pour les cardinaux le prochain pape devra être « assez
médiocre pour ne déplaire à personne et pour être récupérer par tous ».
Ce sera fait en sept
jours. Est élu l’évêque de Pamiers Jacques Fournier, sous le nom de Benoît XII,
qui fut si étonné de son élection qu’il dira « vous venez d’élire un
âne… ». C’est un fidèle à Jean XXII.
(Palais des
papes sur la Sorgue gravure- anonyme 1670 Album Laincel Musée Calvet Avignon)
Châteauneuf du Pape au 17ème siècle dessin
plume et lavis Musée Calvet Albu Laincet construit par Jean XXII au 14ème
siècle
Sources :
Claude Mossé Les Histoires de l’Histoire 1981 ISBN
2-7144-1437-0 H60-2094-5 - B. Guillemain, Les papes d’Avignon (1309 – 1376),
Paris, 1998. - Jean Favier, Les papes d’Avignon, Fayard,
Paris, 2006, - Decima L. DOUIE, « JEAN XXII, JACQUES DUÈSE ou D'EUZE (1245-1334) - pape
(1316-1334) », Encyclopædia
Universalis [en ligne). URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/jacques-jean-xxii/ - Jacques DUBOIS, « BERNARD DÉLICIEUX (mort en 1320) », Encyclopædia
Universalis [en ligne],. URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/bernard-delicieux/ -
Ars Nova Roger Blanchard - G Mollat
Revue d’Histoire de l’Eglise de France 1910 Persée vI n°2
persée.fr/doc/rhel - Quercy.netJean Dueze – wikipédia et
wikimédia - Maurice Faucon Les arts à
la cour d'Avignon sous Clément V et Jean XXII (d'après les registres caméraux de L'Archivio segreto Vaticano). Seconde
partie (1320-1334) Mélanges d’archéologie
et d’histoire 1884 V4 N°1 Persée -
A lire ou relire Umberto Eco Le Nom de la Rose ; Maurice Druon Les
Rois Maudits – Cette période fertile en rebondissements a fortement inspiré
peintres, cinéastes, écrivains, souvent avec bonheur –
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