dimanche 15 octobre 2017

Pourquoi un pape à Avignon ?





(Avignon Palais des Papes J M Rosier www.rosier.pro wikipedia.org)

Pourquoi un pape à Avignon ?

. (on m’a dit que chez nous, on ne dit pas « en Avignon » cela fait pédant ou touriste, donc acte  !)
Benoît XI
A la mort du politique et impulsif pape Boniface VIII, un mois à peine après les incidents d’Anagni (la gifle de Nogaret et Colonna à Boniface VIII) en 1303, le roi de France Philippe le Bel en conflit récurrent avec la papauté, souhaitait faire élire à Rome un pape français, un pontife pas trop regardant, pas trop intelligent, fatigué par l’âge. Bref quelqu’un qui aurait juste le temps de ramener le calme sans s’occuper d’affaires plus ou moins douteuses. En quatre jours, et quelques tours de scrutin, Nicolas Bocassini est élu sous le nom de Benoît XI. C’est un dominicain, paisible, souffrant d’une maladie pulmonaire qui l’empêche de parler en public, un pape idéal. Il pardonne au roi toutes les offenses faites à la papauté sauf celles de Nogaret, il pardonne les clans italiens et reçoit leurs chefs à Rome, amnistie les Colonna, annule des bulles de son prédécesseur…. Mais garde une dent contre Nogaret qui est le conseiller du roi Philippe le Bel, son garde des sceaux et surtout celui qui met en œuvre la politique du roi (avec Marigny).
Mais le 6 juillet 1304 séjournant à Pérouse où un tribunal devra juger les auteurs des incidents d’Anagni, le pape a faim et déjeune de bon appétit. Au dessert, des figues, un merveilleux plateau de figues fraîches. Odorantes, juteuses. Une, deux, trois,.. le plateau y passe. Qui n’a pas fondu devant ces fruits si appétissants ? Mais le Saint-Père qui a du mal à respirer, s’étrangle, s’étouffe et succombe. Un temps on a cru à un empoisonnement, hypothèse abandonnée maintenant.
A cause de cette indigestion, les papes vont s’installer à Avignon.

Trêve de plaisanterie, d’autres causes vont obliger son successeur à choisir cette ville pour siège officiel de la papauté. Et cela va transformer l’économie, l’architecture, la vie des habitants de ce secteur, le Languedoc voisin y compris.
Avignon compte à ce moment-là, environ 5000 habitants, c’est une ville paisible, riche du commerce, en particulier de la draperie. De multiples marchés et métiers. Derrière une des portes des remparts, la porte Ferruce, se tenait un véritable centre commercial. Les rues de la Triperie, le quartier de l’Herberie (marché aux légumes) le carré aux poissons. Au milieu de ce dernier était plantée la vigne épiscopale, entretenue par les poissonniers à charge de loyer en grappes et d’un impôt en nature sous la forme de poissons frais pour l’évêque.
(siège d’Avignon par Louis VIII le Lion1226- mort du roi à gauche et couronnement de Louis IX à droite de l’enluminure –Jean Fouquet Tours 1455-60 BNF Département des manuscrits 6465f°211v)
Avignon c’était une soixantaine d’hectares à l’intérieur des remparts, une grosse ville bien alimentée en eau potable, agréable à vivre.
Un proche passé compliqué. La ville avait pris fait et cause pour Raymond VII de Toulouse pendant la guerre des Albigeois et elle fut assiégée et prise par le roi Louis VIII en 1226. Les remparts seront partiellement détruits, les fossés comblés. Il faut dire que la ville avait refusé le passage à l’armée royale ! Les Avignonnais construiront de nouveaux remparts de 1234 à 1248 à l’extérieur des anciens. Les remparts actuels sont dus au pape Innocent VI(1355) englobant les nouveaux quartiers.
En 1249 la ville se déclare république à la mort du comte Raymond VII de Toulouse. St Louis encore Louis IX se casse les dents sur ses fortifications. Mais en 1251 elle doit se soumettre aux frères de St Louis, Alphonse de Poitiers et Charles d’Anjou héritiers par les femmes des marquisats et comté de Provence. A la mort d’Alphonse en 1271, sans héritier direct, le roi Philippe III hérite de sa part d’Avignon qu’il transmet en 1285 à son fils Philippe le Bel. Mais celui-ci a tellement besoin d’argent, qu’il cède en 1290 la ville et ses environs à Charles II d’Anjou qui va contribuer à son développement rapide. Charles est roi de Naples et a pour suzerain direct le pape. Ce dernier depuis Grégoire X, possède Carpentras et le comtat du Venaissin, à moins de deux chevauchées d’Avignon, territoires donnés directement par le roi Philippe III le Hardi à la mort d’Alphonse de Poitiers suivant un vieux traité de 1229 signé avec le comte de Toulouse. On peut dire que le pape est chez lui dans le Comtat.

Avignon c’était aussi une position stratégique exceptionnelle pour l’époque : sur la rive gauche du Rhône, face au royaume de France, le pont Saint-Bénézet en direction de l’Espagne, une économie fleurissante, le comtat sera le grenier à grain de la papauté. En aval, le pont de Pont-Saint-Esprit est en construction de 1265 à 1309 et il sera tellement protégé qu’une fois construit les marchandises seront déchargées à l’entrée et véhiculées par barges sur le fleuve, et les chariots rouleront sur le pont sur un tapis de paille pour ne pas l’ébranler. Arles n’a plus son pont romain. Le vieux pont Saint-Bénézet d’Avignon construit de 1177 à 1185 fera la fortune de la ville par les taxes sur les marchandises qu’on doit payer pour le traverser. Avignon et Marseille entretiennent des relations commerciales régulières : les navires après Aigues-Mortes remontent le Rhône par Arles jusqu’au rocher des Doms sous Avignon.

Le conclave pour élire le prochain pape se tient à Pérouse en juillet 1304. Un an d’intrigues, entre Français et Italiens. Philippe le Bel et son confident Guillaume de Nogaret veulent un pape français qui réside du bon côté des Alpes c’est-à-dire sur ses terres provençales. Philippe le Bel veut la couronne du Saint Empire Germanique et pour cela il lui faut un pape à sa botte. Aucune manœuvre, aucune turpitude ne nous seront épargnées. Les chevaucheurs tuent leurs montures pour apporter des nouvelles d’Italie au roi.
L’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got, une cinquantaine d’années, a la faveur du clan français. C’est un homme diplomate, modéré, à la santé fragile, à la bonhomie naturelle. Il est souvent dans l’entourage du roi, il le respecte, lui reconnait des qualités sinon des vertus. Le 20 juin 1305, il est chez des amis à Lusignan, la ville de la fée Mélusine, la fée des bonbons et des nougats… Un messager arrive d’Italie : Bertrand de Got est élu pape !! Il sera Clément V, parce qu’il souhaite à ce moment-là qu’une ère de clémence s’installe. L’Histoire sera moins « clémente », il laissera brûler les Templiers par exemple. Le futur pape rejoint Bordeaux où commencent les ennuis.
(Palais des Papes Maître de Boucicaut début 15ème siècle BNF ms 23279f°81)
  Te Deum dans la cathédrale de Bordeaux, des prélats arrivent d’Italie, d’Espagne, de France. L’ambassade du roi de France est là en la personne de son frère le comte d’Evreux. Le dessus du panier est présent même le duc de Bourgogne. Bertrand confirme son acceptation et il propose pour son intronisation Vienne ou Carpentras, ville pontificale. Mais Vienne est terre d’Empire, et Philippe le Bel n’apprécie pas du tout. Une ambassade royale arrive à Bordeaux fin août dirigée par le frère aîné du roi, Charles de Valois et accompagnée par une escorte fortement armée. Lyon est proposé pour la cérémonie, un oncle du nouveau pape y a été archevêque. Menaces, pressions, chantage… les chevaux de l’escorte passent souvent sous les fenêtres du nouveau pape. Finalement il y aura deux intronisations, l’une privée à Vienne, et l’autre en grand apparat à Lyon, le roi se déplaçant à cette occasion. La cérémonie lyonnaise est pour le 1er novembre. Pèlerins, simples croyants ou curieux, commerçants, et les inévitables malandrins se mettent en chemin pour assister à l’événement. Le pape quitte Bordeaux le 4 septembre.

Lyon se prépare. Sur le parvis de l’abbatiale, des tribunes sont érigées. Les hommes d’armes ont toutes les peines du monde à contenir la foule accourue de toute l’Europe. Mais premier couac : l’intronisation est remise au 15 novembre, l’hiver est précoce et des invités sont en retard. La foule s’inquiète, gronde. Les astrologues y lisent un mauvais présage. Second couac, le nouveau pape en route n’a pas utilisé son droit de grâce pour empêcher l’exécution à Carcassonne de seize personnes comparses de Bernard Delicieux, moine qui défendait tous ceux que l’Inquisition jetait dans les flammes. Le moine est emprisonné. Clément V obtient simplement sa libération et Bernard Delicieux devient prisonnier libre au service du pape. Autre mauvais signe.

Le 15 arrive avec un beau soleil rare en cette saison à Lyon. La cérémonie peut avoir lieu. Le doyen du Sacré Collège, Napoléon Orsini pose la tiare sur la tête de Clément V. La foule est en délire. Princes, ducs, comtes, barons et le roi Philippe Le Bel sont là, entourés de leurs écuyers, épée dégainée comme le veut la tradition, vêtus magnifiquement. Sauf le roi d’Angleterre, absent, mais qui a envoyé comme cadeau une batterie de cuisine complète en or massif !! (quelle cuisine va nous faire ce pape ?!!)
Le pape veut un bain de foule. On lui amène un cheval blanc, Charles de Valois et le duc de Bretagne lui tiennent la bride, Philippe le Bel entouré de ses soldats en arme emboite le pas… Le cortège atteint le Gourguillon, chemin qui mène à la Saône. Sur un vieux mur la foule s’est entassée, le mur cède, les pierres roulent jusqu’au cheval du pape qui s’effraie et le pape tombe. La tiare  roule dans le ruisseau, elle y perd une émeraude énorme. Philippe le Bel ramasse la tiare. Charles de Valois est blessé ainsi que le duc de Bretagne qui mourra le lendemain. Une douzaine de morts dans la bousculade. Encore un mauvais présage.
Une semaine plus tard une rixe éclate entre les gardes gascons et des italiens : un des frères du pape Gaillard de Got est tué d’un coup d’épée italien.
Echanges de cadeaux entre le roi et le pape, et Philippe le Bel obtient la nomination de neuf cardinaux français. De ce fait au Sacré Collège nous avons autant de Français que d’Italien.
 (Clement V –Bibliothèque Palatine Rome –photoJPS68 wikimedia)
Clément V va mettre trois ans pour rallier Avignon : il va de ville en ville, en passant par Poitiers, Bourges…. Il est à Cluny lorsque le roi décide de chasser les juifs du royaume : Clément V leur ouvre les portes des terres pontificales. Il est à Loches lorsque les Templiers sont arrêtés. Le roi ne cessera de le harceler pour obtenir son appui dans cette affaire.
Officiellement il s’installe à Avignon le 9 mars 1309. A Rome les fractions rivales ne cessent de s’entre-tuer. La politique au royaume de France est compliquée. En 1305 enfin le traité de paix avec la Flandre, mais on sait que ce n’est que provisoire. En 1306, expulsion des juifs de France, 1307 début de l’affaire des Templiers, La même année le roi Philippe Le bel marie sa fille Isabelle au roi Edouard II d’Angleterre alors que nul n’ignore que les tendresses de ce dernier vont plus certainement aux damoiseaux qu’aux demoiselles. En 1309, le roi de France devient pour les cours européennes le « faux-monnayeur » en mettant en pratique une dévaluation. Le royaume vit une nouvelle fois une crise financière des plus terribles. 
Bref, Clément V se sent plus à l’aise, plus en sécurité sur ses terres provençales. Le palais des papes n’existait pas encore, et Clément V s’installe rue Annanelle dans un couvent de dominicains. Charles d’Anjou lui cède les deux premières arches du pont Bénézet jusqu’à la chapelle. Mais le pape réside plus volontiers à Carpentras dans le Comtat Venaissin. Il séjourne souvent près de Malaucène dans la fraîcheur du prieuré de Groseau, au pied du mont Ventoux.
Avignon devient une espèce de Mecque chrétienne. La population s’y accroit considérablement, peut-être jusqu’à cent mille personnes. Chaque cardinal y entretient sa cour personnelle. Pèlerins, mais aussi trafiquants, quémandeurs, gens d’affaires de toute l’Europe. Des plaideurs qui viennent réclamer justice en s’appuyant sur le droit canon. Une foule bruyante, intriguante.. qui vit dans une certaine insalubrité. On en vient à différencier l’Avignonnais de souche c’est à dire dont la mère est avignonnaise et inscrits sur le registre des citoyens (albo civicum) et les autres. Le registre des citoyens était un registre d’état civil avant l’heure, tenu par des juristes laïcs qui pouvaient en délivrer une copie. Les familles s’entassent dans des maisons en torchis, les plus riches dans des maisons en pierre avec second étage. Les plus pauvres vivent dans des cabanes construites dans les rues, dans les creux des remparts, et même dans les cimetières. Vivre en dehors des remparts, c’était s’exposer aux brigands. Les loyers n’étaient pas toujours payés, et les prélats n’étaient pas les derniers à quitter la ville laissant des dettes derrière eux, malgré les menaces d’excommunication brandies par Clément V. Tout est à vendre y compris les testaments. Prostitution quasi industrielle, tellement bien implantée que malgré les lois Marthe Richard au 20ème siècle qui fermaient toutes les maisons closes, Avignon restera « ville ouverte » jusqu’en 1970.

Clément V tenant consistoire -archi départementales
Clément V supporte de moins en moins les odeurs, la chaleur d’Avignon. Il rejoint Carpentras. Il y prépare le concile de Vienne en 1312 où il rencontrera pour la dernière fois Philippe le Bel tout aussi mal portant. Il rédige son testament et dernier pied de nez à Philippe Le Bel il confie la gestion complète des biens des Templiers à l’ordre des Hospitaliers. La légende raconte que pour chaque anniversaire de l’arrestation des Templiers, un fantôme traverse la chambre du pape dans le couvent de Groseau et demande  « Qui veut délivrer le Saint Sépulcre ? » et la voix de Clément V de répondre « Personne, le Temple est mort »..
En mars 1314 il décide de retourner dans son village natal de Villandraut pour y mourir. Le 7 avril fatigué physiquement et mentalement, il arrive à Roquemaure-du-Gard. Il a le sentiment d’avoir plus servi le roi de France que la Chrétienté. Guillaume Ricard le seigneur des lieux accueille le souverain pontife et sa suite. Mais le pape est malade, il vomit, il respire difficilement. Son hôte lui donne une tisane de thym, marjolaine, aubépine et autres fleurs séchées. Mais un des médecins de la suite a la curieuse idée d’y ajouter des émeraudes pillées. Clément V quitte ce monde après une agonie effroyable. 
Le Grand Maître du Temple Jacques de Molay l’avait prédit sur le bûcher le 19 mars 1314 : Nogaret, Clément V, et bientôt Philippe le Bel mourront avant un an. « Pape Clément, Roi Philippe avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits, Maudits ! Tous jusqu’à la treizième génération de vos races !! »
 (De Molay sur le bûcher -  De Casibus – Boccace 15ème siècle BNF)
Et ce n’est pas fini. Avec le règne de Philippe le Bel meurt la dynastie des Capétiens et c’est le chaos successoral royal. Quant à Clément V, le sort va s’acharner sur sa dépouille. Un cierge met le feu à ses vêtements et à son cadavre dans la cathédrale de Carpentras où il est exposé. Sa jambe gauche en particulier brûle, appelée à l’époque « mollet », marque du supplicié du Temple Jacques de Molay ? La population y voit un signe de catastrophe imminente. Plus tard il est ramené près de son village natal, Villandraut, dans la cathédrale d’Uzeste. Mais son tombeau est détruit lors des guerres de religion du 16ème siècle et ses restes incinérés. Il ne reste rien du premier pape d’Avignon.
Le 1er mai 1314 le conclave se réunit à Carpentras pour élire un nouveau pape. Il lui faudra deux ans pour réussir, deux ans d’intrigues, de rixes, de meurtres…Carpentras mise à feu et à sac, une partie de la ville incendiée, les maisons bourgeoises pillées….
Ce sera une autre histoire..l’histoire de Jean XXII, pape pendant dix-huit ans. Il s'installe au palais épiscopal, le Palais des Papes sera construit plus tard. Nous en reparlerons.


(Palais des Papes 1774 Cortège du Vice-Légat Musée Calvet Avignon Huile de Claude-Marie Gordot)


Carte de Provence et des terres adjacentes, Guillaume Delisle ; et Carte du Comté-Venaissin et qui comprend six diocèses. Avignon, Carpentras, Vaison, Cavaillon, Orange, et St-Paul-Trois-Châteaux, Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville. Janv2014 oie blanche wikimédia commun ttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:Carte_du_Comtat_Venaissin.svg  -   (Bibliothèque Municipale d’Avignon) - Jean Favier Les Papes en Avignon.-  Claude Mossé et Nicole Pallanchard, Clément V, premier pape d'Avignon (1265-1314), Éd. Stock, Paris, 1998, (ISBN 2-234-04988-1).- B. Guillemain, La cour pontificale d’Avignon (1309 – 1376). Étude d’une société, Paris, 1962.-  Alain Pujol, Clément V, le pape maudit, Éd. Vivisques, Bordeaux, 1988, (ISBN 2-907310-01-1).-  F. Benoît, La Provence et le Comtat Venaissin, Paris, 1949.  -  J. P. Papon, L’histoire générale de la Provence, T. I à IV, Paris, 1777-1786 -- R. Moulinas, Les Juifs du Pape, Éd. Albin Michel, Coll. Présence du Judaïsme, Paris, 1992 - A voir ou lire ou revoir ou relire Les Rois Maudits Maurice Druon 1987 et le film de Josée Dayan 2005 -






(Palais des Papes Bouricaut 15ème BNF ms 23279f°81)

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