Première esquisse de la couverture du Nabab de Daudet- Emile Bernard |
François Bravay, le Nabab
d’Alphonse Daudet
François
Bravay est né le 25 novembre 1817. Il est le fils d’un marchand de casseroles
et d’outils agricoles dans la ville de Pont-Saint-Esprit dans le Gard. Sa
famille fait partie de ces nouveaux bourgeois aisés de l’après Révolution de
1789. Trois frères. Son père décède lorsqu’il a cinq ans. Sa mère qui
courageusement a repris l’affaire, est ruinée par la faillite de la banque
Boisson. A cette époque on s’improvisait banquier sans supervision régulatrice
et dans ce capitalisme débridé naissant, les conséquences d’une faillite
bancaire étaient catastrophiques. La famille y perd tous ses biens, sa réputation,
ses relations et en 1842 s’installe à Paris dans le quartier de Bercy. François
trouve un emploi chez un négociant de vin, se marie. Mais son épouse meurt
subitement en 1846. Dépressif, il va rêver à un autre pays moins brumeux, plus
chaud. Les pays de la Méditerranée attirent poètes, romanciers, voyageurs. François
veut surtout contredire le destin qui s’acharne sur lui, Réussir. Avec un ami
Charles Chaillan il va projeter de partir au pays de l’Egypte ancienne, au pays
de l’obélisque que l’on vient d’installer place de la Concorde à Paris. Ils pensent
y vendre du vin.
Tous deux rejoignent Marseille en trois jours et découvrent l’efficacité
du chemin de fer qui va bientôt arriver à la gare Saint-Charles de la cité
phocéenne. Le transport de marchandises en sera bouleversé. Le tout nouveau
port de la Joliette et ses bateaux-vapeur permettent d’améliorer la rapidité
des traversées méditerranéennes. Ils arrivent à Alexandrie le 13 février 1847
après une dizaine de jours de bateau et une courte escale à Malte. François n’a
plus un sou en poche mais une lettre de recommandation d’un ami parisien un
certain Barrot. Ils découvrent un pays en pleine mutation très différent de ce
qu’ils avaient imaginé. La misère du peuple, l’égoïsme des Français implantés
en Egypte, les aventuriers qui négocient tout et n’importe quoi … L’ère
industrielle du 19ème siècle suscite des appétits qui se glissent
dans tout ce qui n’est pas interdit….
A partir de là, l’histoire de François se confond avec l’histoire des
pachas d’Egypte, vassaux de l’empire ottoman.
La naïveté du Vice-roi d’Egypte Saïd Pacha lui permet d’acquérir
rapidement une immense fortune. Naïveté ou difficulté du souverain de naviguer
entre la tutelle ottomane et les envies du colonialisme anglais ou
français ? La guerre civile américaine entraine une pénurie de coton et
l’Egypte devient le principal fournisseur des industries textiles européennes.
C’est aussi l’époque des négociations parfois orageuses pour le percement du
canal de Suez… Des sociétés se montent pour équiper le pays, les Européens y
sont très présents…..
Mohamed Saïd Pacha Vice-Roi d’Egypte et d’Ethiopie - L’illustration,
Journal Universel juin 1862 p353 Bayard graveur, dessin H de Montaut – wikimedia-wikipedia
On verra François Bravay très actif au consulat prenant fait et cause
pour les commerçants français ; il sera des transactions entre l’Egypte et l’Etat Turc.. Associé dans des entreprises comme les
minoteries Darblay, des sociétés agricoles et industrielles égyptiennes. Il
s’est installé à Alexandrie, y fondant une maison de commission qui prospère
rapidement. En 1848 il défend le consulat de France contre des émeutiers. Connaissant
les dessous des cartes, fréquentant les personnes qui comptent dans ce pays en
pleine transformation, il se rend nécessaire et utile. Il fournira des
renseignements à Olympe Audouard, amie de Dumas père, pour son livre « Les
Mystères de l’Egypte Dévoilés » (1864-65). Le percement du canal de Suez et sa concession
créent bien des jalousies, des critiques
dans les ambassades et c’est un peu le temps des
« barbouzes ». Il semble que François et bien d’autres en aient
profité.
Il s'est remarié, son épouse Amélie Eugénie Schutz est originaire d'Alexandrie. C'est la fille du consul général de Hollande et baron. Un fils naît à Alexandrie en 1854, une fille en 1866. François est heureux. Mais cela ne lui suffit pas, il aura pratiquement jusqu'à la fin un pied en Egypte et un autre en France.
A son retour en France François Bravay se lance dans la politique. Son
accent provençal et son art oratoire attiraient la sympathie du plus grand
nombre. Le contact lui était facile, son expérience égyptienne lui avait appris
l’art de la diplomatie, de la communication dirions-nous maintenant.
Il installe son frère au château du Colombier qu’il a fait construire à
Pont Saint-Esprit. Il acquière un hôtel particulier à Paris. Puis il rachète le
29 septembre 1856 le château de Belle-Eau, résidence d’été de l’archevêque de
Paris, situé entre Malataverne et Donzère, Monseigneur Sébastien Sibour.
Superbe demeure avec jets d’eau, arbres centenaires, pelouses, corbeilles de
fleurs, chemins engazonnés…. François y reçoit le 25 août 1862 Saïd Pacha
souverain d’Egypte. Le train s’arrête à la gare de Donzère, le Vice-Roi est
conduit au château entouré d’une foule immense et des autorités locales. Les
bâtiments sont décorés aux couleurs du souverain. La nuit, une grande fête a
lieu, éclairée de trente mille lampions, animée par des musiques d’opéra.
Fréderic Mistral, Hector Berlioz, des personnalités parisiennes et gardoises
sont invitées. Feux d’artifices, banquets pour une foule de donzérois et de
gardois acheminés aux frais de Bravay. Le Pacha séjournera trois jours au
château.
(Réception
de Saïd Pacha à Belle-Eau)
Son frère Emile le seconde dans sa première campagne électorale, François
n’est pas toujours en France. Banquets offerts aux électeurs, cabarets,
restaurants ouverts à ceux qui s’engagent à voter pour lui. Menaces de
révocation des maires et gardes-champêtres en cas de mauvais vote et promesses
de grands travaux d’utilité publique. Les partisans du maire de Pont
Saint-Esprit Bonnefoy l’accusent de fraude devant cette campagne dépensière
mais cela marche auprès des électeurs ! Il est convoqué devant le tribunal
correctionnel d’Uzès ce qui l’amuse : « je suis étonné de me voir
offrir un siège en correctionnel après en avoir obtenu un au Conseil
général ».
(château
du Colombier Pont Saint-Esprit)
Il continue à s’intéresser « aux affaires ». Son autre frère
Adrien est le représentant de sa société à Paris et en 1863 il intervient comme
prête-nom pour l’achat à Liverpool de deux frégates blindées pour le compte des
confédérés américains. Adrien sera plus tard le directeur gérant d’un journal « Le
Parlement » d’octobre 1869 à septembre 1870, « organe avoué du Tiers
Parti libéral créé pour favoriser l’avènement du ministère Ollivier ». Il
va de soi que François Bravay en est le commanditaire.
La question de l’approvisionnement en eau pour Nîmes est d’une grande
importance avec le développement de l’industrie textile et de teinture depuis
le 18ème siècle. On envisageait de puiser l’eau du Rhône, rejoindre
le Pont du Gard avec la construction d’un ouvrage de plus de 100 km. Ce projet
est soutenu par le préfet du Gard. François Bravay est partisan d’un tracé
Pouzin-Pont du Gard-Nîmes, ce qui n’est pas grand-chose comparé au canal de
Suez ! Il s’engage pour la souscription de 12 000 actions de la Cie
des Eaux de Nîmes. 600 000 ou 700 000francs qui lui seront
remboursés, en avril 1864, la société n’ayant pas pu être constituée.
Le mardi 26 mai 1863 Dalembert préfet du Gard qui soutient mordicus la
candidature de Bravay pour les élections législatives, pose la première pierre
d’un canal qui à partir du Pont du Gard devait amener les eaux du Gardon
jusqu’à Nîmes, bien que le canal ne soit
pas autorisé, la société qui devait le construire pas encore fondée, le terrain
non acquis !! Bravay a
récupéré pour ce grand jour la fête traditionnelle du Pont du Gard, « La
Vogue ». 20 000 personnes y assistent, farandoles, orchestres,
discours, on scande le nom de Bravay. C’est les élections anticipées !! Un
banquet de 700 couverts, le tout aux frais du candidat. François se présente
quatre jours plus tard aux élections qu’il gagne brillamment contre le maire
d’Uzès Chabanon. 13 116 voix contre 8 840. Pour plus de sureté, le
préfet avait fait modifier la circonscription électorale d’Uzès en faveur de
son protégé. Election annulée une première fois le 28 novembre 1863 pour faits
de corruption. Mais Bravay se représente le 18 janvier 1864 et réélu avec
17 130 voix. Election encore invalidée. Il se défend en parlant des
envieux et des ennemis que lui avaient valu sa fortune. Il se représente une
troisième fois le 29 mai 1864, élu avec 14 766 voix contre 6 370 à
Chabanon qui jeta l’éponge. Urnes de vote d’un village brûlées pendant la nuit,
soupçons d’irrégularités dans les émargements… Le département du Gard se
donnait en spectacle !!
Le préfet aurait indiqué au bureau du Corps Législatif : « vous
pouvez casser quatre fois l’élection de M
Bravay, je vous le renverrai quatre fois ». C’était le sauveur qui
tel Moïse ferait jaillir de l’eau du rocher ! Il est définitivement élu
pour la session parlementaire de 1865, sur les bancs de la majorité dynastique.
La même année il achète pour 200 frs le journal « La Nation ». Le
grand projet de canal est rapidement oublié.
En
1869 ses affaires le rappellent en Egypte et il démissionne de son poste de
député. En un quart de siècle il dilapida une fortune colossale. Ruiné il
décède à Paris en 1874, aveugle et sans ressources. Son épouse décède à Asnières sur Seine en 1880 à l'âge d'environ 55 ans. François est enterré dans un
mausolée qu’il a fait construire au cimetière de Pont Saint-Esprit.
Quel homme était-il vraiment ?
(Photo de Nadal)
La comtesse de Dash qui l’avait connu dans les salons des Dumas, en fait
le portrait : « Il n’est pas grand, un peu fort, son visage par une
singulière prédestination offre une ressemblance frappante avec celui des
anciens Égyptiens. Comme eux il a les lèvres fortes, épaisses, et de belles
dents, de grands yeux noirs bien fendus, le nez un peu large et la peau
brune ; …. Son regard est en même temps très doux, très bon, très
intelligent et très énergique. Il a des éclairs de finesse et de gaieté où le
caractère et l’esprit méridional se devinent….. il ne saurait passer
inaperçu ; il y a en lui quelque chose qui frappe et qui surprend… » .
Une bonhommie, un bagout, une rondeur qui plaisent, qui rassurent. Il fait
rêver par son exotisme.
Il ne reste plus à Alphonse Daudet que de ressusciter
cette tranche de vie dans son roman « Le Nabab ». Son frère Ernest
avait été le secrétaire de François Bravay. La famille Daudet connaissait bien
Bravay et son entourage. Dans le Gard la cendre des passions n’était pas encore
éteinte. Légende et réalité y feront bon ménage. Son roman fera polémique car
des personnages qui avaient gravité autour de Bravay se reconnaitront. D’abord
publié en feuilleton dans le journal « Le Temps », puis publié en
1877, trois ans après la mort du Nabab, il révèle les agissements du microcosme
politique de la fin du Second Empire, et cela ne plait pas à tout le monde. Il
est qualifié de « roman des mœurs parisiennes ». Zola aurait aussi
pensé à François Bravay dans sa « Conquête de Plassans ».
Sources :
nemausensis.com/nimes/lenababalphonsedaudet – provencepass.com – dictionnaire
des parlementaires français – académiePont du Gard 12/8/2014 – Jean Boissier
François Bravay Un méridional hors série au 19ème siècle – Olivier
Sentis François Bravay Le vrai Nabab -
MidiLibre 19/10/2015 et 11/10/2012 –
musée-m&éditerranée.org/portail/collections – Auriant François Bravay ou le
Vrai Nabab 1943 -- Olympe Audouard Mystères de l’Egypte dévoilés 1864-65 Monde
Diplomatique 1956 – Alphonse Daudet
Le Nabab --
Alexandrie XIXème siècle-BNF |
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