mardi 6 mars 2018

François Bravay le Vrai Nabab




Première esquisse de la couverture du Nabab de Daudet- Emile Bernard



François Bravay, le Nabab d’Alphonse Daudet

 François Bravay est né le 25 novembre 1817. Il est le fils d’un marchand de casseroles et d’outils agricoles dans la ville de Pont-Saint-Esprit dans le Gard. Sa famille fait partie de ces nouveaux bourgeois aisés de l’après Révolution de 1789. Trois frères. Son père décède lorsqu’il a cinq ans. Sa mère qui courageusement a repris l’affaire, est ruinée par la faillite de la banque Boisson. A cette époque on s’improvisait banquier sans supervision régulatrice et dans ce capitalisme débridé naissant, les conséquences d’une faillite bancaire étaient catastrophiques. La famille y perd tous ses biens, sa réputation, ses relations et en 1842 s’installe à Paris dans le quartier de Bercy. François trouve un emploi chez un négociant de vin, se marie. Mais son épouse meurt subitement en 1846. Dépressif, il va rêver à un autre pays moins brumeux, plus chaud. Les pays de la Méditerranée attirent poètes, romanciers, voyageurs. François veut surtout contredire le destin qui s’acharne sur lui, Réussir. Avec un ami Charles Chaillan il va projeter de partir au pays de l’Egypte ancienne, au pays de l’obélisque que l’on vient d’installer place de la Concorde à Paris. Ils pensent y vendre du vin.
Tous deux rejoignent Marseille en trois jours et découvrent l’efficacité du chemin de fer qui va bientôt arriver à la gare Saint-Charles de la cité phocéenne. Le transport de marchandises en sera bouleversé. Le tout nouveau port de la Joliette et ses bateaux-vapeur permettent d’améliorer la rapidité des traversées méditerranéennes. Ils arrivent à Alexandrie le 13 février 1847 après une dizaine de jours de bateau et une courte escale à Malte. François n’a plus un sou en poche mais une lettre de recommandation d’un ami parisien un certain Barrot. Ils découvrent un pays en pleine mutation très différent de ce qu’ils avaient imaginé. La misère du peuple, l’égoïsme des Français implantés en Egypte, les aventuriers qui négocient tout et n’importe quoi … L’ère industrielle du 19ème siècle suscite des appétits qui se glissent dans tout ce qui n’est pas interdit….
A partir de là, l’histoire de François se confond avec l’histoire des pachas d’Egypte, vassaux de l’empire ottoman.
La naïveté du Vice-roi d’Egypte Saïd Pacha lui permet d’acquérir rapidement une immense fortune. Naïveté ou difficulté du souverain de naviguer entre la tutelle ottomane et les envies du colonialisme anglais ou français ? La guerre civile américaine entraine une pénurie de coton et l’Egypte devient le principal fournisseur des industries textiles européennes. C’est aussi l’époque des négociations parfois orageuses pour le percement du canal de Suez… Des sociétés se montent pour équiper le pays, les Européens y sont très présents…..
Mohamed Saïd Pacha Vice-Roi d’Egypte et d’Ethiopie - L’illustration, Journal Universel juin 1862 p353 Bayard graveur, dessin H de Montaut – wikimedia-wikipedia
On verra François Bravay très actif au consulat prenant fait et cause pour les commerçants français ; il sera des transactions entre l’Egypte et l’Etat Turc.. Associé dans des entreprises comme les minoteries Darblay, des sociétés agricoles et industrielles égyptiennes. Il s’est installé à Alexandrie, y fondant une maison de commission qui prospère rapidement. En 1848 il défend le consulat de France contre des émeutiers. Connaissant les dessous des cartes, fréquentant les personnes qui comptent dans ce pays en pleine transformation, il se rend nécessaire et utile. Il fournira des renseignements à Olympe Audouard, amie de Dumas père, pour son livre « Les Mystères de l’Egypte Dévoilés » (1864-65).  Le percement du canal de Suez et sa concession créent bien des jalousies, des critiques  dans les ambassades et c’est un peu le temps des « barbouzes ». Il semble que François et bien d’autres en aient profité.
Il s'est remarié, son épouse Amélie Eugénie Schutz est originaire d'Alexandrie. C'est la fille du consul général de Hollande et baron. Un fils naît à Alexandrie en 1854, une fille en 1866. François est heureux. Mais cela ne lui suffit pas, il aura pratiquement jusqu'à la fin un pied en Egypte et un autre en France.

A son retour en France François Bravay se lance dans la politique. Son accent provençal et son art oratoire attiraient la sympathie du plus grand nombre. Le contact lui était facile, son expérience égyptienne lui avait appris l’art de la diplomatie, de la communication dirions-nous maintenant.
Il installe son frère au château du Colombier qu’il a fait construire à Pont Saint-Esprit. Il acquière un hôtel particulier à Paris. Puis il rachète le 29 septembre 1856 le château de Belle-Eau, résidence d’été de l’archevêque de Paris, situé entre Malataverne et Donzère, Monseigneur Sébastien Sibour. Superbe demeure avec jets d’eau, arbres centenaires, pelouses, corbeilles de fleurs, chemins engazonnés…. François y reçoit le 25 août 1862 Saïd Pacha souverain d’Egypte. Le train s’arrête à la gare de Donzère, le Vice-Roi est conduit au château entouré d’une foule immense et des autorités locales. Les bâtiments sont décorés aux couleurs du souverain. La nuit, une grande fête a lieu, éclairée de trente mille lampions, animée par des musiques d’opéra. Fréderic Mistral, Hector Berlioz, des personnalités parisiennes et gardoises sont invitées. Feux d’artifices, banquets pour une foule de donzérois et de gardois acheminés aux frais de Bravay. Le Pacha séjournera trois jours au château.
(Réception de Saïd Pacha à Belle-Eau)
François est d’abord élu conseiller général du Gard en 1862, puis député en 1865 après bien des péripéties.
Son frère Emile le seconde dans sa première campagne électorale, François n’est pas toujours en France.  Banquets offerts aux électeurs, cabarets, restaurants ouverts à ceux qui s’engagent à voter pour lui. Menaces de révocation des maires et gardes-champêtres en cas de mauvais vote et promesses de grands travaux d’utilité publique. Les partisans du maire de Pont Saint-Esprit Bonnefoy l’accusent de fraude devant cette campagne dépensière mais cela marche auprès des électeurs ! Il est convoqué devant le tribunal correctionnel d’Uzès ce qui l’amuse : « je suis étonné de me voir offrir un siège en correctionnel après en avoir obtenu un au Conseil général ».


(château du Colombier Pont Saint-Esprit)
Il continue à s’intéresser « aux affaires ». Son autre frère Adrien est le représentant de sa société à Paris et en 1863 il intervient comme prête-nom pour l’achat à Liverpool de deux frégates blindées pour le compte des confédérés américains. Adrien sera plus tard le directeur gérant d’un journal « Le Parlement » d’octobre 1869 à septembre 1870, « organe avoué du Tiers Parti libéral créé pour favoriser l’avènement du ministère Ollivier ». Il va de soi que François Bravay en est le commanditaire.
La question de l’approvisionnement en eau pour Nîmes est d’une grande importance avec le développement de l’industrie textile et de teinture depuis le 18ème siècle. On envisageait de puiser l’eau du Rhône, rejoindre le Pont du Gard avec la construction d’un ouvrage de plus de 100 km. Ce projet est soutenu par le préfet du Gard. François Bravay est partisan d’un tracé Pouzin-Pont du Gard-Nîmes, ce qui n’est pas grand-chose comparé au canal de Suez ! Il s’engage pour la souscription de 12 000 actions de la Cie des Eaux de Nîmes. 600 000 ou 700 000francs qui lui seront remboursés, en avril 1864, la société n’ayant pas pu être constituée.
Le mardi 26 mai 1863 Dalembert préfet du Gard qui soutient mordicus la candidature de Bravay pour les élections législatives, pose la première pierre d’un canal qui à partir du Pont du Gard devait amener les eaux du Gardon jusqu’à Nîmes, bien que le canal ne soit pas autorisé, la société qui devait le construire pas encore fondée, le terrain non acquis !! Bravay a récupéré pour ce grand jour la fête traditionnelle du Pont du Gard, « La Vogue ». 20 000 personnes y assistent, farandoles, orchestres, discours, on scande le nom de Bravay. C’est les élections anticipées !! Un banquet de 700 couverts, le tout aux frais du candidat. François se présente quatre jours plus tard aux élections qu’il gagne brillamment contre le maire d’Uzès Chabanon. 13 116 voix contre 8 840. Pour plus de sureté, le préfet avait fait modifier la circonscription électorale d’Uzès en faveur de son protégé. Election annulée une première fois le 28 novembre 1863 pour faits de corruption. Mais Bravay se représente le 18 janvier 1864 et réélu avec 17 130 voix. Election encore invalidée. Il se défend en parlant des envieux et des ennemis que lui avaient valu sa fortune. Il se représente une troisième fois le 29 mai 1864, élu avec 14 766 voix contre 6 370 à Chabanon qui jeta l’éponge. Urnes de vote d’un village brûlées pendant la nuit, soupçons d’irrégularités dans les émargements… Le département du Gard se donnait en spectacle !!
Le préfet aurait indiqué au bureau du Corps Législatif : « vous pouvez casser quatre fois l’élection de M  Bravay, je vous le renverrai quatre fois ». C’était le sauveur qui tel Moïse ferait jaillir de l’eau du rocher ! Il est définitivement élu pour la session parlementaire de 1865, sur les bancs de la majorité dynastique. La même année il achète pour 200 frs le journal « La Nation ». Le grand projet de canal est rapidement oublié.
En 1869 ses affaires le rappellent en Egypte et il démissionne de son poste de député. En un quart de siècle il dilapida une fortune colossale. Ruiné il décède à Paris en 1874, aveugle et sans ressources. Son épouse décède à  Asnières sur Seine en 1880 à l'âge d'environ 55 ans. François est enterré dans un mausolée qu’il a fait construire au cimetière de Pont Saint-Esprit.



Quel homme était-il vraiment ?

 (Photo de Nadal)
La comtesse de Dash qui l’avait connu dans les salons des Dumas, en fait le portrait : « Il n’est pas grand, un peu fort, son visage par une singulière prédestination offre une ressemblance frappante avec celui des anciens Égyptiens. Comme eux il a les lèvres fortes, épaisses, et de belles dents, de grands yeux noirs bien fendus, le nez un peu large et la peau brune ; …. Son regard est en même temps très doux, très bon, très intelligent et très énergique. Il a des éclairs de finesse et de gaieté où le caractère et l’esprit méridional se devinent….. il ne saurait passer inaperçu ; il y a en lui quelque chose qui frappe et qui surprend… » . Une bonhommie, un bagout, une rondeur qui plaisent, qui rassurent. Il fait rêver par son exotisme.
Il ne reste plus à Alphonse Daudet que de ressusciter cette tranche de vie dans son roman « Le Nabab ». Son frère Ernest avait été le secrétaire de François Bravay. La famille Daudet connaissait bien Bravay et son entourage. Dans le Gard la cendre des passions n’était pas encore éteinte. Légende et réalité y feront bon ménage. Son roman fera polémique car des personnages qui avaient gravité autour de Bravay se reconnaitront. D’abord publié en feuilleton dans le journal « Le Temps », puis publié en 1877, trois ans après la mort du Nabab, il révèle les agissements du microcosme politique de la fin du Second Empire, et cela ne plait pas à tout le monde. Il est qualifié de « roman des mœurs parisiennes ». Zola aurait aussi pensé à François Bravay dans sa « Conquête de Plassans ».
         


Sources : nemausensis.com/nimes/lenababalphonsedaudet – provencepass.com – dictionnaire des parlementaires français – académiePont du Gard 12/8/2014 – Jean Boissier François Bravay Un méridional hors série au 19ème siècle – Olivier Sentis François Bravay Le vrai Nabab -  MidiLibre 19/10/2015 et 11/10/2012 – musée-m&éditerranée.org/portail/collections – Auriant François Bravay ou le Vrai Nabab 1943 -- Olympe Audouard Mystères de l’Egypte dévoilés 1864-65 Monde Diplomatique 1956 – Alphonse Daudet Le Nabab --


Alexandrie XIXème siècle-BNF













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