mardi 13 mars 2018

Le pape Jules II et les Indulgences

Intérieur Chapelle Sixtine  Rome-


Basilique Saint-Pierre Rome – photo Wolfgang Stuck 9/2004 –wikimedia.commons


Le pape Jules II et les Indulgences :


(Jules II (1443 - 1513)-par Raphaël 1511-1512 Nationale Gallery Londres)
Dernièrement au cours d’un dîner, des amis m’ont demandé qu’est-ce que c’était que cette histoire « d’indulgences » qui auraient contribué à l’implantation du protestantisme. Je vais essayer ici d’y répondre, bien qu’il y ait beaucoup à dire.
 Mais il faut avant tout décrire la personnalité du pape Jules II. Beaucoup de nos papes ont été des bons bergers, soucieux de la parole chrétienne et des brebis que nous sommes. Pour d’autres le gout du pouvoir, l’incapacité à prendre de la distance avec les événements ont fait que l’on se souvient surtout de ceux-là, et pas toujours en bien. L’éternel dilemme entre la limite et le poids de la spiritualité et du temporel dans un état …. Et puis pendant longtemps, on devenait prélat sous la pression familiale.
Jules II, le pape-soldat et le mécène, c’est l’image qu’il nous a laissé… Les historiens classent aussi la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome comme « le plus grand scandale artistique de l’Histoire ».
Giuliano della Rovere (Julien) est élu pape sous le nom de Jules II le 1er novembre 1503, après le très court pontificat de Pie III. Il prend le nom de Jules en hommage à Jules César qu’il admire. Cela en dit long sur le personnage, normalement les papes prennent le nom d'un saint ou d'un pape précédent. Un peu plus de 200 papes l’ont précédé depuis Saint-Pierre.
Il est né le 5 décembre 1443 à Albisola près de Savone en Italie et décède en février 1513. Il est d’abord évêque de Carpentras en 1471, de Lausanne, Mende, Bologne, Coutances, Viviers en France…. Probablement grâce à son oncle le pape Sixte IV. Puis archevêque d’Avignon en 1475, légat du pape et cardinal-prêtre d’Ostie. Il est d’une famille, selon les historiens de pauvres pêcheurs ou plus vraisemblablement de l’illustre famille de marchands, les della Rovere. Sous le règne du pape Innocent VIII, il rentre en conflit avec les Borgia, Roderic en particulier. Lorsque ce dernier devient le pape Alexandre VI, Julien rejoint la France et incite le roi Charles VIII à entreprendre la conquête du royaume de Naples. Il espère ainsi déposer le nouveau pape Alexandre VI Borgia, qu’il accuse d’avoir acheté des voix lors de son élection. L’ambition le taraude. Il accompagne le jeune roi sur le champ de bataille et entre à Rome fin 1494 ; il essaie de lancer un concile pour enquêter sur le pape, mais ce dernier réussit à acheter l’ambassadeur français Guillaume Briçonnet évêque de Meaux qui comme par hasard devient cardinal.
En 1474, Julien est à la tête des troupes pontificales pour soumettre les cités indociles des Etats pontificaux. A l’occasion il se met à dos Laurent de Médicis et ses alliés. Il aura au moins trois bâtards, des filles, plus une vilaine maladie, oubliant l’obligation de continence des prélats.
Quand enfin il devient pape, il a 60 ans, plus à l’aise dans une armure que sous la tiare pontificale, homme d’action, soldat dans l’âme. Il veut faire des Etats pontificaux une grande puissance. Pour lui la restauration et l’élargissement du pouvoir pontifical est la sauvegarde de l’indépendance spirituelle du Saint-Siège.. Pour les uns il est « Jules César II » et pour les autres « le pape de fer », « le pape terrible » devant qui tout doit plier ou rompre. Il tient à participer lui-même aux campagnes militaires. A la tête de son armée, il réannexe la Romagne, Bologne, Pérouse…et autres possessions de César Borgia. Avec la Ligue de Cambrai et ses alliés européens, il s’attaque à Venise. Puis retournement de situation, avec cette dernière et le roi d’Aragon, il constitue la Sainte Ligue contre la France et l’Allemagne. La victoire de Ravenne en avril 1512 pour les Français qui seront malgré tout chassés du Milanais.
Avec impudence il retourne sa veste, change d’alliés. Il montre habilité, énergie, vaillance, persévérance et un complet mépris des principes chrétiens. Sa carrière est un exemple typique presque caricatural d’un homme d’Etat de l’époque : accumulation des bénéfices importants (évêchés, archevêchés) et charges politico-diplomatiques dans la curie comme à l’extérieur, mécénat, enfants illégitimes, promotion de parents proches, absence de scrupules et profonde culture.
                              Pieta Michel Ange  photo Juan Romero 2010 Commons.wikimedia.org

On lui doit le Vème Concile du Latran et la création de la Garde suisse en 1506.  Il n’est pas intéressé par une réforme de l’Eglise. La souveraineté spirituelle de Rome doit apparaitre dans toute sa splendeur avec le plus grand et le plus beau temple de la chrétienté.. Il pose la première pierre de la basilique Saint-Pierre de Rome commencée par Bramante, use des richesses du Saint-Siège pour commander des œuvres d’art qui viendront jusqu’à nous. Grâce à lui nous connaissons Michel-Ange, Raphaël, et bien d’autres, sculpteurs, peintres, architectes. Rome se transforme, on ouvre de nouvelles artères…Il veut que toutes les voies de la ville convergent vers la basilique qui devient le « centre du monde ».
Lucas Cranach 1521 Le Pape vendant des Indulgences- BNF-+ Larousse-
Il meurt sans voir sa basilique achevée. Son successeur Léon X continuera les travaux. Bramante va se servir largement dans les monuments antiques pour s’approvisionner en matériaux et y gagnera le surnom de « Ruinante », le faiseur de ruine. Les murs, les colonnes, les tombeaux des papes précédents disparaissent sous les coups de pioche.

Mais les dépenses militaires, le train de vie de la cour pontificale et son mécénat pillent les revenus du Saint Siège. Jules II se sert dans les fondations pieuses, demande de l’aide aux princes chrétiens. Les couvents, les églises ont besoin de reliques pour amener des pèlerins jusqu’à eux, (d’une certaine manière, l’économie touristique de l’époque) le pape certifie à tout va l’authenticité de ces reliques contre monnaie. On a besoin de dispenses pour se marier entre parents proches, ou pour s’en séparer, qu’à cela ne tienne, ce sera possible contre monnaie trébuchante. On vend des dérogations pour être autoriser à manger du beurre pendant Carême…. (voir le surnom de la Tour du Beurre de Notre Dame de Rouen). L’Eglise fait flèche de tout bois pour augmenter ses ressources.
Le pape vend des bénéfices ecclésiastiques, des dispenses et des indulgences qui accordent une réduction du temps du purgatoire pour les généreux fidèles. Le phénomène prend une ampleur inégalée. La vente d’indulgence est une tradition qui remonte au XIème siècle, au Moyen-âge ; mais jusqu’à présent c’était l’occasion d’un don à un couvent, en argent ou en terre, image d‘un repentir sincère ; le défunt ou le pénitent encore vivant, demandait des messes, des prières pour se faire pardonner ses péchés. Au départ, (à partir du 3ème siècle)  une pénitence publique était pratiquée pour les fautes publiques ou privées du pénitent. Puis le Concile de Latran de 1215 institue la confession sacramentelle et la pénitence devient privée : les successeurs de Saint Pierre peuvent en faveur des vivants et des morts utiliser des « grâces » acquises par la Passion du Christ et les mérites des Saints. A ce moment-là le privilège de l’indulgence entraine prières, jeûnes, aumônes. On est encore dans le spirituel et le repentir. Le pape Sixte IV, l’oncle de Jules II, annonce en 1476 que les Indulgences peuvent s’acheter. A partir de là, elles coûtent de moins en moins cher, demandent de moins en moins d’efforts au pénitent. L’imprimerie permet d’atteindre des tirages massifs du document : la seule abbaye de Montserrat en produit 200 000 entre 1498 et 1500.

Avec Jules II, nous sommes devant une utilisation sans retenue pour financer une construction d’apparat. Des quêteurs sont envoyés dans tous les pays chrétiens et c’est une réussite. La demande est telle qu’un seul moine est arrivé à vendre à lui seul pour 27 000 ducats d’indulgences. Ceux qui travaillent sur les chantiers de l'Eglise reçoivent l’Indulgence plénière. Jean de Médicis son successeur, le pape Léon X continuera très largement cette gestion, au grand scandale des fidèles, en particulier avec l’Indulgence du Jubilé de 1515. (Jubilé année sainte tous les 50 ans). « Toutes les fois qu’une pièce tombe dans l’escarcelle, une âme s’envole du purgatoire » disait le moine dominicain Tetzel (1465-1519) qui avait déjà été sous-commissaire pour la prédication d’une Indulgence au profit des chevaliers Teutoniques au début du siècle.. C’était faire peu de cas du repentir. Lui et ses comparses haranguaient les foules comme bateleurs en foire. Avec Tetzel, l’autorisation de polygamie coûtait 6 ducats, le meurtre 8 ducats, la magie 2 ducats…. Il avait l’art d’inventer des histoires qui captivaient les esprits crédules.
(Indulgence de Tetzel avec blason du pape- à droite Jean Tetzel)
Les Indulgences et la nature belliqueuse de Jules II vont beaucoup contribuer à la naissance du protestantisme et à une réflexion de tous les chrétiens. Mais pour que le système marche si bien, il fallait que « le ver soit déjà dans le fruit ».
La Guerre de Cent ans (1337/1455), la grande peste (1347/48), la famine, les jacqueries et émeutes et la cruauté des hommes du siècle précédent avaient déjà préparé le terrain : les fresques des Danses macabres sont là pour souligner la vanité des distinctions sociales ; la mort est au bout pour tous, pape, empereur, pauvre prêtre, l’artisan comme le paysan. Ces fresques annoncent le Jugement Dernier. On sent bien que l’argent ne paie pas tout. Devant Dieu personne n’est au-dessus des lois. Et Dieu en ce début du 16ème siècle est partout, dans tous les gestes de la vie courante mais aussi dans les pèlerinages, les sources et les reliques guérisseuses, seule solution face à un monde menaçant, mystérieux, angoissant, changeant. Les prédicants annoncent à chaque carrefour la fin des temps. Un déluge est prédit pour 1524. La fin de la guerre de Cent Ans annonce la Renaissance, des changements profonds, un besoin de luxe ; des familles sont ruinées, d’autres enrichies par les événements. Agnès Sorel, la Dame de Beauté, Jacques Cœur lancent des modes. Des bourgeois achètent des charges, des domaines ; on commence à embellir les maisons, on ouvre des fenêtres, on voyage, l’Italie n’est pas loin…On commerce avec l’Orient musulman… Ceux qui ont survécu ont envie de vivre pleinement. Abus, simonie, avarice, luxure sont monnaie courante chez les Grands comme chez les petites gens. Et puis quel pape suivre ? Celui de Rome, celui d’Avignon, Benoit XIII. Et la fracture entre l’Eglise d’Orient et celle d’Occident ? Bref personne n’a la conscience bien tranquille, d’où la réussite des « Indulgences ».
Martin Luther, moine augustin vient à Rome sous le pontificat de Jules II, puis sous celui de Léon X. Il y voit un relâchement moral du clergé romain et est choqué par l’usage que l’on fait de la vente des Indulgences.
                        Martin Luther par Lucas Cranach l 'Ancien 1523
Il est né probablement en 1483, sa mère n’est pas sûre de l’année. Son père est un petit exploitant des mines de cuivre, de la région d’Eisleben en Thuringe en Saxe. C’est un homme du début du 16ème siècle, époque qui voyait s’affirmer l’individualisme et où les fidèles avaient besoin d’une théologie vivante et solide avec des prélats instruits. Epoque où le nombre des « lisant-écrivant » était en augmentation grâce à ce multiplicateur qu’était l’imprimerie. Période traversée par le courant de l’humanisme triomphant.

Luther à la veille de la Toussaint en 1517 souhaite engager un débat public : il affiche à côté de la porte de l’église du château de Wittenberg ses thèses. C’est un affichage habituel, une « disputatio », une controverse sur le « babillard » de l’église. Il demande aussi à l’archevêque Albert de Brandebourg de ne pas cautionner cette pratique. L’archevêque était chargé de la vente des indulgences sur ses terres. A 27 ans en 1517 il était évêque d’Halberstadt, titulaire de l’archevêché de Magdebourg, et de celui de Mayence. Il était chancelier d’Empire, c’est-à-dire chef de l’Eglise Allemane, Primat de Germanie. Ce cumul est totalement irrégulier mais 21 000 florins avaient fermé les yeux des consciences. L’archevêque avait emprunté cette somme aux banquiers Fugger au taux de 20% d’intérêts. La Curie Romaine aurait proposé à  Albert de Brandebourg 50% de la recette sur les ventes d’indulgence. Les agents des banquiers accompagnaient les prédicants et enregistraient les recettes.
Lettre de Luther à l’archevêque : « (...) Vénérable Père en Christ, illustre Prince... Que Votre Grandeur, me pardonne, si moi, le plus vil des hommes, j’ai la témérité de Lui écrire ... Les Indulgences Papales sont colportées dans le pays sous le Nom de Votre Grandeur pour la construction de Saint Pierre ... Je déplore les fausses idées que ces prédicateurs répandent partout. Ces malheureuses âmes se figurent que, si elles achètent des lettres d’indulgences, elles sont sûres de leur salut... C’est ainsi que les âmes confiées à vos soins ... apprennent à marcher vers la mort ... C’est pourquoi je ne puis me taire plus longtemps ... Votre Grandeur pourra prendre connaissance de mes thèses ci-jointes. Elle verra combien la doctrine des Indulgences est discutable. »
Ses 95 thèses sont en latin donc destinées d’abord aux théologiens, aux universitaires. Elles ne manifestent pas une envie de rupture, de réforme de l’Eglise. Elles affirment que les Indulgences n’ont pas le pouvoir d’absoudre les pécheurs. Seule la pénitence et la charité, un vrai repentir peuvent apporter le Salut.
La controverse entre théologiens devient vite une affaire publique. Les 95 thèses de Luther sont imprimées et circulent. Luther est dénoncé, excommunié le 3 janvier 1521. Avant lui d’autres avaient essayé de réformer l’Eglise, en vain. Comme par exemple Jean Huss le Réformateur de Bohème qui sera condamné au bûcher en 1414.

A partir de la condamnation de Luther, la machine est lancée. En Allemagne d’abord puis en Suisse, la Réforme s’installe. Calvin, Farel, Courault, de Bèze, Bucer …. Les premiers réfugiés français à Strasbourg en 1538 avec l’église protestante dirigée par Calvin…. Et les premiers fils de familles françaises qui partent étudier la théologie à Genève sous la houlette de Calvin, pour repartir pasteurs qui édifieront dès 1550 de véritables paroisses en France et en particulier dans notre Languedoc. Les rois François Ier et son fils Henri II répondront par des bûchers, des emprisonnements et dès 1560  avec Catherine de Médicis ce seront les guerres de religion (ou politico-religieuses) qui enflammeront notre pays, avec pour finir la venue sur le trône de France Henri IV et son « Paris vaut bien une messe ».
(Michel Ange aura connu quatre papes ; il décède en 1564 à 84 ans, travaillant jusqu’à la fin.)
Le Jugement dernier Michel-Ange


D’un côté la magnificence des œuvres de Michel Ange et de ses compagnons, d’un autre les massacres inutiles, des bûchers, des « tumultes » d’Amboise et ses pendus, la Saint-Barthélemy…… L’Histoire est faite d’occasions manquées !! Et puis nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que « cette histoire d’indulgences » était une belle escroquerie !!


Vente d’Indulgences-- gravure  musée international de la Réforme Genève
Sources : Jean-Dominique Brignoli  Le Plus Grand Scandale Artistique de l’Histoire  in Histoire de l’Antquité à nos Jours n°95 janv/fév2018 --IIvan Cloulas, Jules II, le pape terrible, Fayard, Paris, 1990 --Fred Bérence Les Papes de la Renaissance, Éditions du Sud et Albin Michel, Paris, 1966.—Jean Delumeau  Rome au XVIe siècle, Hachette, 1975, p.66. – wikipedia communs – Herode.net  -- Mathieu Arnold  Martin Luther  édit Paris2017 --- Françoise et Albert Greiner BD Figures du Protestantisme  Editions du Signe  Musée du Désert Mialet 30140 - 9782746819870  -- Histoire de l’Antiquité à nos Jours Hors série n°49 octobre 2017 --- Jean Favier Philippe Levilain (dir) Dictionnaire Historique de la Papauté  édit Paris Fayard2003 (ISBN2-213-618577) –Bertrand de Margerie Le Mystère des Indulgences Paris Lethielleux 1999  - Emile Jombat  Dictionnaire du droit canonique  Vol 5 p 1331-1352 1950 édit Letouzey et Ané  -- Histoire de la Réformation (tome 1), Merle d'Aubigné – photos intérieur de la Chapelle Sixtine Rome – CCBYSA30°  ---et bien d’autres


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