Intérieur Chapelle Sixtine Rome- |
Basilique Saint-Pierre Rome – photo Wolfgang Stuck 9/2004
–wikimedia.commons
Le pape Jules II et
les Indulgences :
(Jules II (1443 - 1513)-par Raphaël 1511-1512 Nationale Gallery Londres)
Dernièrement au cours
d’un dîner, des amis m’ont demandé qu’est-ce que c’était que cette histoire
« d’indulgences » qui auraient contribué à l’implantation du protestantisme.
Je vais essayer ici d’y répondre, bien qu’il y ait beaucoup à dire.
Mais il faut avant tout décrire la
personnalité du pape Jules II. Beaucoup de nos papes ont été des bons bergers,
soucieux de la parole chrétienne et des brebis que nous sommes. Pour d’autres
le gout du pouvoir, l’incapacité à prendre de la distance avec les événements
ont fait que l’on se souvient surtout de ceux-là, et pas toujours en bien.
L’éternel dilemme entre la limite et le poids de la spiritualité et du temporel
dans un état …. Et puis pendant longtemps, on devenait prélat sous la pression
familiale.
Jules II, le pape-soldat et le mécène, c’est l’image qu’il nous a laissé…
Les historiens classent aussi la construction de la basilique Saint-Pierre de
Rome comme « le plus grand scandale artistique de l’Histoire ».
Giuliano della Rovere (Julien) est élu pape sous le nom de Jules II le 1er
novembre 1503, après le très court pontificat de Pie III. Il prend le nom de
Jules en hommage à Jules César qu’il admire. Cela en dit long sur le personnage, normalement les papes prennent le nom d'un saint ou d'un pape précédent. Un peu plus de 200 papes l’ont
précédé depuis Saint-Pierre.
Il est né le 5 décembre 1443 à Albisola près de Savone en Italie et décède
en février 1513. Il est d’abord évêque de Carpentras en 1471, de Lausanne, Mende,
Bologne, Coutances, Viviers en France…. Probablement grâce à son oncle le pape
Sixte IV. Puis archevêque d’Avignon en 1475, légat du pape et cardinal-prêtre
d’Ostie. Il est d’une famille, selon les historiens de pauvres pêcheurs ou plus
vraisemblablement de l’illustre famille de marchands, les della Rovere. Sous le
règne du pape Innocent VIII, il rentre en conflit avec les Borgia, Roderic en
particulier. Lorsque ce dernier devient le pape Alexandre VI, Julien rejoint la
France et incite le roi Charles VIII à entreprendre la conquête du royaume de
Naples. Il espère ainsi déposer le nouveau pape Alexandre VI Borgia, qu’il
accuse d’avoir acheté des voix lors de son élection. L’ambition le taraude. Il
accompagne le jeune roi sur le champ de bataille et entre à Rome fin
1494 ; il essaie de lancer un concile pour enquêter sur le pape, mais ce
dernier réussit à acheter l’ambassadeur français Guillaume Briçonnet évêque de
Meaux qui comme par hasard devient cardinal.
En 1474, Julien est à la tête des troupes pontificales pour soumettre les
cités indociles des Etats pontificaux. A l’occasion il se met à dos Laurent de
Médicis et ses alliés. Il aura au moins trois bâtards, des filles, plus une
vilaine maladie, oubliant l’obligation de continence des prélats.
Quand enfin il devient pape, il a 60 ans, plus à l’aise dans une armure que
sous la tiare pontificale, homme d’action, soldat dans l’âme. Il veut faire des
Etats pontificaux une grande puissance. Pour lui la restauration et
l’élargissement du pouvoir pontifical est la sauvegarde de l’indépendance
spirituelle du Saint-Siège.. Pour les uns il est « Jules César II » et pour les autres
« le pape de fer », « le pape terrible » devant qui tout
doit plier ou rompre. Il tient à participer lui-même aux campagnes militaires. A
la tête de son armée, il réannexe la Romagne, Bologne, Pérouse…et autres
possessions de César Borgia. Avec la Ligue de Cambrai et ses alliés européens,
il s’attaque à Venise. Puis retournement de situation, avec cette dernière et
le roi d’Aragon, il constitue la Sainte Ligue contre la France et l’Allemagne.
La victoire de Ravenne en avril 1512 pour les Français qui seront malgré tout
chassés du Milanais.
Avec impudence il retourne sa veste, change d’alliés. Il montre habilité,
énergie, vaillance, persévérance et un complet mépris des principes chrétiens.
Sa carrière est un exemple typique presque caricatural d’un homme d’Etat de
l’époque : accumulation des bénéfices importants (évêchés, archevêchés) et
charges politico-diplomatiques dans la curie comme à l’extérieur, mécénat,
enfants illégitimes, promotion de parents proches, absence de scrupules et
profonde culture.
Pieta Michel Ange photo Juan
Romero 2010 Commons.wikimedia.org
On lui doit le Vème Concile du Latran et la création
de la Garde suisse en 1506. Il n’est pas
intéressé par une réforme de l’Eglise. La souveraineté spirituelle de Rome doit
apparaitre dans toute sa splendeur avec le plus grand et le plus beau temple de la chrétienté.. Il pose la première pierre de la basilique Saint-Pierre de Rome
commencée par Bramante, use des richesses du Saint-Siège pour commander des
œuvres d’art qui viendront jusqu’à nous. Grâce à lui nous connaissons
Michel-Ange, Raphaël, et bien d’autres, sculpteurs, peintres, architectes. Rome
se transforme, on ouvre de nouvelles artères…Il veut que toutes les voies de la
ville convergent vers la basilique qui devient le « centre du
monde ».
Lucas Cranach 1521 Le Pape vendant des Indulgences- BNF-+ Larousse-
Il meurt sans voir
sa basilique achevée. Son successeur Léon X continuera les travaux. Bramante va
se servir largement dans les monuments antiques pour s’approvisionner en
matériaux et y gagnera le surnom de « Ruinante », le faiseur de ruine.
Les murs, les colonnes, les tombeaux des papes précédents disparaissent sous
les coups de pioche.
Mais les dépenses militaires, le train de vie de la
cour pontificale et son mécénat pillent les revenus du Saint Siège. Jules II se
sert dans les fondations pieuses, demande de l’aide aux princes chrétiens. Les
couvents, les églises ont besoin de reliques pour amener des pèlerins jusqu’à
eux, (d’une certaine manière, l’économie touristique de l’époque) le pape
certifie à tout va l’authenticité de ces reliques contre monnaie. On a besoin
de dispenses pour se marier entre parents proches, ou pour s’en séparer, qu’à
cela ne tienne, ce sera possible contre monnaie trébuchante. On vend des
dérogations pour être autoriser à manger du beurre pendant Carême…. (voir le
surnom de la Tour du Beurre de Notre Dame de Rouen). L’Eglise fait flèche de
tout bois pour augmenter ses ressources.
Le
pape vend des bénéfices ecclésiastiques, des dispenses et des indulgences
qui accordent une réduction du temps du purgatoire pour les généreux fidèles. Le phénomène prend une ampleur
inégalée. La vente d’indulgence est une tradition qui remonte au XIème siècle, au
Moyen-âge ; mais jusqu’à présent c’était l’occasion d’un don à un couvent,
en argent ou en terre, image d‘un repentir sincère ; le défunt ou le
pénitent encore vivant, demandait des messes, des prières pour se faire
pardonner ses péchés. Au départ, (à partir du 3ème siècle) une pénitence publique était pratiquée pour les
fautes publiques ou privées du pénitent. Puis le Concile de Latran de 1215
institue la confession sacramentelle et la pénitence devient privée : les successeurs de Saint Pierre
peuvent en faveur des vivants et des morts utiliser des « grâces »
acquises par la Passion du Christ et les mérites des Saints. A
ce moment-là le privilège de l’indulgence entraine prières, jeûnes, aumônes. On
est encore dans le spirituel et le repentir. Le pape Sixte IV, l’oncle de Jules
II, annonce en 1476 que les Indulgences peuvent s’acheter. A
partir de là, elles coûtent de moins en moins cher, demandent de moins en moins
d’efforts au pénitent. L’imprimerie permet d’atteindre des tirages massifs du
document : la seule abbaye de Montserrat en produit 200 000 entre
1498 et 1500.
Avec Jules II, nous sommes devant une utilisation sans
retenue pour financer une construction d’apparat. Des quêteurs sont envoyés
dans tous les pays chrétiens et c’est une réussite. La demande est telle qu’un
seul moine est arrivé à vendre à lui seul pour 27 000 ducats
d’indulgences. Ceux qui travaillent sur les chantiers de l'Eglise reçoivent l’Indulgence
plénière. Jean de Médicis son successeur, le pape Léon X continuera très
largement cette gestion, au grand scandale des fidèles, en particulier avec l’Indulgence
du Jubilé de 1515. (Jubilé année
sainte tous les 50 ans). « Toutes les
fois qu’une pièce tombe dans l’escarcelle, une âme s’envole du purgatoire » disait le moine dominicain Tetzel (1465-1519) qui avait déjà
été sous-commissaire pour la prédication d’une Indulgence au profit des
chevaliers Teutoniques au début du siècle.. C’était
faire peu de cas du repentir. Lui et ses comparses haranguaient les foules
comme bateleurs en foire. Avec Tetzel, l’autorisation de polygamie coûtait 6
ducats, le meurtre 8 ducats, la magie 2 ducats…. Il avait l’art d’inventer des
histoires qui captivaient les esprits crédules.
(Indulgence
de Tetzel avec blason du pape- à droite Jean Tetzel)
Les Indulgences et
la nature belliqueuse de Jules II vont beaucoup contribuer à la naissance du
protestantisme et à une réflexion de tous les chrétiens. Mais pour que le
système marche si bien, il fallait que « le
ver soit déjà dans le fruit ».
La Guerre de Cent ans (1337/1455), la grande peste (1347/48), la famine,
les jacqueries et émeutes et la cruauté des hommes du siècle précédent avaient
déjà préparé le terrain : les fresques des Danses macabres sont là pour
souligner la vanité des distinctions sociales ; la mort est au bout pour
tous, pape, empereur, pauvre prêtre, l’artisan comme le paysan. Ces fresques
annoncent le Jugement Dernier. On sent bien que l’argent ne paie pas tout.
Devant Dieu personne n’est au-dessus des lois. Et Dieu en ce début du 16ème
siècle est partout, dans tous les gestes de la vie courante mais aussi dans les
pèlerinages, les sources et les reliques guérisseuses, seule solution face à un
monde menaçant, mystérieux, angoissant, changeant. Les prédicants annoncent à
chaque carrefour la fin des temps. Un déluge est prédit pour 1524. La fin de la
guerre de Cent Ans annonce la Renaissance, des changements profonds, un besoin
de luxe ; des familles sont ruinées, d’autres enrichies par les
événements. Agnès Sorel, la Dame de Beauté, Jacques Cœur lancent des modes. Des
bourgeois achètent des charges, des domaines ; on commence à embellir les
maisons, on ouvre des fenêtres, on voyage, l’Italie n’est pas loin…On commerce
avec l’Orient musulman… Ceux qui ont survécu ont envie de vivre pleinement. Abus,
simonie, avarice, luxure sont monnaie courante chez les Grands comme chez les
petites gens. Et puis quel pape suivre ? Celui de Rome, celui d’Avignon,
Benoit XIII. Et la fracture entre l’Eglise d’Orient et celle d’Occident ?
Bref personne n’a la conscience bien tranquille, d’où la réussite des « Indulgences ».
Martin Luther,
moine augustin vient à Rome sous le pontificat de Jules II, puis sous celui de
Léon X. Il y voit un relâchement moral du clergé romain et est choqué par
l’usage que l’on fait de la vente des Indulgences.
Martin Luther par Lucas Cranach l 'Ancien 1523
Il est né probablement en
1483, sa mère n’est pas sûre de l’année. Son père est un petit exploitant des
mines de cuivre, de la région d’Eisleben en Thuringe en Saxe. C’est un homme du
début du 16ème siècle, époque qui voyait s’affirmer l’individualisme
et où les fidèles avaient besoin d’une théologie vivante et solide avec des
prélats instruits. Epoque où le nombre des « lisant-écrivant » était
en augmentation grâce à ce multiplicateur qu’était l’imprimerie. Période traversée
par le courant de l’humanisme triomphant.
Luther à la veille de la Toussaint en 1517 souhaite
engager un débat public : il affiche à côté de la porte de l’église du
château de Wittenberg ses thèses. C’est un affichage habituel, une
« disputatio », une controverse sur le « babillard » de
l’église. Il demande aussi à l’archevêque Albert de Brandebourg de ne pas
cautionner cette pratique. L’archevêque était chargé de la vente des
indulgences sur ses terres. A 27 ans en 1517 il était évêque d’Halberstadt,
titulaire de l’archevêché de Magdebourg, et de celui de Mayence. Il était
chancelier d’Empire, c’est-à-dire chef de l’Eglise Allemane, Primat de
Germanie. Ce cumul est totalement irrégulier mais 21 000 florins avaient
fermé les yeux des consciences. L’archevêque avait emprunté cette somme aux
banquiers Fugger au taux de 20% d’intérêts. La Curie Romaine aurait proposé à Albert de Brandebourg 50% de la recette sur
les ventes d’indulgence. Les agents des banquiers accompagnaient les prédicants
et enregistraient les recettes.
Lettre de Luther à l’archevêque : « (...) Vénérable Père en
Christ, illustre Prince... Que Votre Grandeur, me pardonne, si moi, le plus vil
des hommes, j’ai la témérité de Lui écrire ... Les Indulgences Papales sont
colportées dans le pays sous le Nom de Votre Grandeur pour la construction de
Saint Pierre ... Je déplore les fausses idées que ces prédicateurs répandent
partout. Ces malheureuses âmes se figurent que, si elles achètent des
lettres d’indulgences, elles sont sûres de leur salut... C’est ainsi que les
âmes confiées à vos soins ... apprennent à marcher vers la mort ... C’est
pourquoi je ne puis me taire plus longtemps ... Votre Grandeur pourra prendre
connaissance de mes thèses ci-jointes. Elle verra combien la doctrine des Indulgences
est discutable. »
Ses 95 thèses sont en latin donc destinées d’abord aux
théologiens, aux universitaires. Elles ne manifestent pas une envie de rupture,
de réforme de l’Eglise. Elles affirment que les Indulgences n’ont pas le
pouvoir d’absoudre les pécheurs. Seule la pénitence et la charité, un vrai
repentir peuvent apporter le Salut.
La controverse entre
théologiens devient vite une affaire publique. Les 95 thèses de Luther sont
imprimées et circulent. Luther est dénoncé, excommunié le 3 janvier 1521. Avant
lui d’autres avaient essayé de réformer l’Eglise, en vain. Comme par exemple
Jean Huss le Réformateur de Bohème qui sera condamné au bûcher en 1414.
A partir de la condamnation de Luther, la machine est
lancée. En Allemagne d’abord puis en Suisse, la Réforme s’installe. Calvin,
Farel, Courault, de Bèze, Bucer …. Les premiers réfugiés français à
Strasbourg en 1538 avec l’église protestante dirigée par Calvin…. Et les
premiers fils de familles françaises qui partent étudier la théologie à Genève
sous la houlette de Calvin, pour repartir pasteurs qui édifieront dès 1550 de
véritables paroisses en France et en particulier dans notre Languedoc. Les rois
François Ier et son fils Henri II répondront par des bûchers, des emprisonnements et dès 1560
avec Catherine de Médicis ce seront les guerres de religion (ou
politico-religieuses) qui enflammeront notre pays, avec pour finir la venue sur
le trône de France Henri IV et son « Paris vaut bien une messe ».
(Michel Ange aura connu quatre papes ; il décède
en 1564 à 84 ans, travaillant jusqu’à la fin.)
Le Jugement dernier Michel-Ange |
D’un côté la magnificence des œuvres de Michel Ange et de ses compagnons,
d’un autre les massacres inutiles, des bûchers, des « tumultes »
d’Amboise et ses pendus, la Saint-Barthélemy…… L’Histoire est faite
d’occasions manquées !! Et puis nous ne pouvons pas nous empêcher de
penser que « cette histoire d’indulgences » était une belle
escroquerie !!
Vente d’Indulgences-- gravure musée international de la Réforme Genève
Sources :
Jean-Dominique Brignoli Le Plus Grand Scandale
Artistique de l’Histoire in Histoire de
l’Antquité à nos Jours n°95 janv/fév2018 --IIvan Cloulas, Jules II, le pape terrible, Fayard, Paris,
1990 --Fred Bérence Les Papes de la
Renaissance, Éditions du Sud et Albin Michel, Paris, 1966.—Jean Delumeau
Rome au XVIe siècle, Hachette, 1975, p.66. – wikipedia communs – Herode.net -- Mathieu Arnold Martin Luther
édit Paris2017 --- Françoise et Albert Greiner BD Figures du
Protestantisme Editions du Signe Musée du Désert Mialet 30140 -
9782746819870 -- Histoire de l’Antiquité
à nos Jours Hors série n°49 octobre 2017 --- Jean Favier Philippe Levilain
(dir) Dictionnaire Historique de la Papauté
édit Paris Fayard2003 (ISBN2-213-618577) –Bertrand de Margerie Le
Mystère des Indulgences Paris Lethielleux 1999
- Emile Jombat Dictionnaire du
droit canonique Vol 5 p 1331-1352 1950
édit Letouzey et Ané -- Histoire de la Réformation
(tome 1), Merle d'Aubigné – photos intérieur de la Chapelle Sixtine Rome – CCBYSA30° ---et bien d’autres
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