mardi 27 mars 2018

Les plus vieilles tombes musulmanes de France



TOMBES MUSULMANES à NIMES
En 2006-2007 lors de la construction d’un parking à Nîmes avenue Jean Jaurès les archéologues faisaient la découverte de trois tombes datant probablement du 8ème siècle. L’archéo-anthropologue Yves Gleize nous explique le contexte de cette découverte. La datation menée par l’Institut National des Recherches Archéologiques Préventives sous la houlette de Jean Yves Breuil, et la génétique nous indiquent qu’il s’agit de tombes musulmanes de la fin du 7ème siècle, début 9ème siècle. C’est-à-dire pendant la période durant laquelle les Sarrasins occupent notre région. Les corps sont posés sur le côté droit, la tête regardant dans la direction de la Mecque, à même le sol, pratiques funéraires correspondant à ce que l’on peut trouver en matière de pratiques d’inhumation musulmane en Espagne, Portugal ou en Sicile. En plus d’une anomalie osseuse sur un poignet que l’on retrouve chez certaines populations africaines, les analyses ADN mitochondrial et nucléaire montrent pour les trois squelettes un marqueur présent chez 70% de la population berbère d’Afrique du Nord. L’un des trois hommes est un jeune homme, le deuxième est âgé d’un peu plus de trente ans, et le dernier a plus de 50 ans. Ils semblent être du même lignage. "La réalisation de plusieurs datations radiométriques sur les trois individus permet d’en préciser l’âge : entre le 7e siècle et le 9e siècle de notre ère" écrit l'Inrap . Aucune blessure sur les corps, ils ne sont pas morts au combat.
D’autres tombes, une vingtaine, probablement chrétiennes ont été retrouvées dans ce secteur. Dans notre région jusqu’au 11/12ème siècle, nous enterrons nos morts encore comme les Romains, le long des chemins. Nous ne sommes pas en présence d’une nécropole, chrétienne ou musulmane. Précédemment nous avions mis à jour des tombes musulmanes à Montpellier et à Marseille du 12ème et 13ème siècle. Ces tombes de Nîmes sont les plus anciennes sépultures musulmanes découvertes à ce jour et prouvent une présence sarrasine dans notre région au moins entre 719 à 759, période pendant laquelle les Arabes du califat d'Omeyyades avaient enrôlé des Berbères pour la conquête de l’Espagne et la Septimanie. Jusqu’alors nous avions trouvé des traces de céramiques, d’armes, des pièces et des sceaux. Ces trois tombes indiquent que ces hommes ont séjourné quelques temps chez nous. « Les lignées génétiques maternelles et paternelles des trois squelettes sont relativement rares dans la population française moderne. Par rapport à la Péninsule Ibérique ou à l'Italie, il est clair que l'impact génétique de l'occupation arabe est bien moindre en France », pointent les chercheurs. Soldats, commerçants, ou nés ici d’un père berbère et d’une mère autochtone ? Le quartier où sont découvertes ces tombes est situé à l’intérieur du rempart romain en partie détruit, mais toujours connu et servant de limite à la ville médiévale. C’était un secteur redevenu agricole depuis le 3ème siècle, peu urbanisé avec des traces d’oliviers, de figuiers, de vignes. Donc on peut penser que les corps n’ont pas été rejetés loin de la ville, mais sur un chemin d’accès ce qui nous interroge sur les relations entre les communautés pendant le Haut Moyen-Age. Quelle était la taille de ces communautés ? Les troupes de Charles Martel contrôle Nîmes en 737, la détruisant sauf les arènes et la tour Magne qui résistent. Punition d’une population qui avait accepté la protection des musulmans contre l’octroi d’un tribut et la préservation de leurs lois et traditions ? Narbonne et d’autres villes, peut-être Uzès avaient vécu ainsi la domination sarrasine contre tribut. La question reste entière.

Dans certains milieux, on crie au complot devant ces découvertes. On nie totalement une possible coexistence entre musulmans et chrétiens dans le Haut-Moyen-Age. …. La laïcité, certainement le plus grand cadeau que nous aient fait nos anciens, ne veut pas dire refuser notre histoire.
On confond le temps de la bataille, évidemment sanglant, et une fois la bataille gagnée, le temps de l’installation : des administratifs, des soldats, des artisans (il faut bien réparer les armes, les véhicules…), parfois des familles qui restent jusqu’à dix ans au même endroit (comme dans la région de Grenoble) et vont forcément « coexister » avec la population. Nous nous connaissons de longue date. Faut-il rappeler que les Berbères, et ceux que l’on appelle magrébins maintenant, avant d’être colonisés par les Arabes musulmans avaient connu comme nous les Phéniciens, les Grecs, les Romains,….. et que nous avons fait du commerce avec eux depuis la nuit des temps. Laine de leurs moutons plus facile à travailler que celle de nos bêtes et que l’on va retrouver jusqu’au Danemark actuel, notre étain pour faire du bronze, les poteries, les esclaves, le cuir etc… Le pourtour méditerranéen faisait partie de l’Empire Romain et de nombreuses populations berbères seront évangélisées. La religion chrétienne est née au Moyen-Orient, Jésus était juif. Des papes à trois reprises seront des chrétiens d’Afrique du Nord : Victor 1er berbère de Tunisie, évêque de Rome, de 189 à probablement 200, Melchiade pape de 311 à314, Gélase, kabyle, pape de 492 à 496. Des saints africains comme Saint Augustin, Sainte Monique…Et d’autres papes Syriens, Grecs, un Goth, des Siciliens, Sardes, un Grec d’origine juive. L’Histoire ne partage pas le monde entre les bons et les méchants, chaque jour apporte sa pierre et se raconte. Surtout dans des périodes aussi compliquées. Il est toujours dangereux de vouloir contrôler le passé, cela n'a jamais permis de contrôler ni le présent ni l'avenir.
Melchiade
Victor 1er
Ces trois squelettes nous interpellent que nous le voulions ou non ; dans les années 1950 dans notre secteur, il était encore difficile d’enterrer un protestant dans un cimetière « dit catholique » malgré la laïcisation des cimetières de la fin du 19ème siècle, et encore moins un musulman. Au 7ème/9ème siècle il semble qu’il était possible d’être enterrer chrétien et musulman dans la même terre, dans une certaine proximité.

                                                                  Un rapide et succinct coup d’œil historique sur le Maghreb semble nécessaire:
Les populations des villes côtières algériennes et tunisiennes ainsi que certains villages à la campagne se convertissent au christianisme dès 256. Le traitement subit par ces populations par les Romains, les crises économiques, font que peu à peu cette nouvelle religion sera un défi politique et poussera à une nouvelle révolte amazigh. Le culte chrétien donatiste refusant l’autorité religieuse de l’Empereur romain se développe et exige la séparation de l’Etat et de la religion. Déjà les tenants de la secte chrétienne des circoncellions avaient pour but de mourir au combat en martyrs. (pour nos jeunes tentés par les tueries dans les supermarchés,  qui se souvient des circoncellions à part quelques historiens, le martyr n'est pas la voie pour revendiquer..)
Les donatistes sont déclarés hérétiques en 409 par l’empereur romain et la répression est féroce, envers les responsables religieux chrétiens et envers la population qui les soutient. Saint Augustin évêque catholique d’Hippone (Annaba) essaie de calmer le jeu en vain. Une minuscule communauté donatiste rentre dans la clandestinité jusqu’au 6ème siècle. En 430, les Vandales envahissent le pays et les Romains se retirent du Maghreb. Saint Augustin un des derniers symboles d’intégration dans l’Empire Romain meurt durant le siège d’Hippone par les Vandales. Avec ces envahisseurs, l’arianisme s’implante dans une partie de l’Algérie actuelle. Entrent dans le jeu les Byzantins avec Justinien, l’Empereur romain d’Orient. Révoltes, insurrections berbères, et émergence de plusieurs états puissants (Dierawa, Banou Ifren qui fondent Tlemcen-Agadir au 8ème siècle, Awarbas, Zénétes…)
(Okba ibn Nafi al Fihri fondateur de la dynastie nord-africaine arabe des fihrides – 1/3/2000 photo Al Hilali al sulaymi-wikimedia)
Judaïsme, christianisme, cohabitent à la veille de la conquête musulmane mais une partie de la population demeure païenne. Certaines principautés berbères vont résister à l’arrivée des musulmans entre 644 et 708, près de 60 ans de guerres. En 708 l’Algérie est aux mains des Omeyyades. La période préislamique est terminée. Le métissage linguistique, berbère, phénicien, latin, arabe, espagnol, turc puis plus tard français fabrique une langue très hétérogène qui se perpétue jusqu’à nos jours.
En 711 le début de la conquête de l’Espagne fut mené par une armée arabo-berbère. La Septimanie de Narbonne à Nîmes est dominée en 719 . Un moment les Sarrasins sont chassés par le duc Eudes d’Aquitaine, qui s’allie en 720 avec eux, pour les trahir en 721. Il marie sa fille Lampégie  avec Uthman ibn Naissa (ou Munuza) gouverneur dissident de Cerdagne. Mais en 725 nouvelles incursions et les habitants de ces villes préfèrent se rendre et payer tribut. Toulouse, Carcassonne, Bordeaux ravagée… Les autochtones catholiques deviendront alors des dhimmis, c'est-à-dire des citoyens de seconde zone, soumis aux vainqueurs..En 732, c’est la bataille de Poitiers : pour les Francs, il ne s’agit pas d’une guerre sainte, les Sarrasins comme plus tard les Vikings, les Saxons sont considérés comme des païens barbares et Charles Martel comme les souverains qui vont lui succéder veut absolument garder une ouverture sur la méditerranée et une surveillance des côtes. Il redoute surtout les visées expansionnistes des Omeyyades. En 735, Mauronte, gouverneur chrétien de Provence s’allie aux Sarrasins contre Charles Martel. Les troupes du frère de Charles, Childebrant 1er prennent et pillent, incendient Avignon en 737, Arles, Nîmes. Il faudra attendre 752 pour que les habitants de Nîmes, Maguelonne, Béziers, Agde chassent les Sarrasins de leur ville. La lutte continuera sous Pépin le Bref fils de Charles Martel : Francs et Goths s’allient et s’emparent de Narbonne. Nous aurons encore des entrées sarrasines par la porte du Rhône et sur nos côtes sous François Ier : un édit au 16ème siècle autorise de les tuer sans risque de poursuites judiciaires même en cas d’erreur crédible. Sous Charlemagne et même après, Nice, la Corse, la Camargue, Marseille, Arles, le nord de l’Italie, le Valais suisse… seront tour à tour envahies par les Sarrasins. De 830 à 990, les Etats Carolingiens sont trop étendus et trop affaiblis pour faire face aux raids normands et sarrasins sur notre sol. Razzias, pillages, rançons, population réduite en esclavage. La population d’Arles se soulève en 974 et les expulse. Le Maghreb et le pourtour méditerranéen connaitront encore bien des souffrances.
 La nature humaine étant ce qu’elle est, Il est bien évident que pendant cette longue période, des contacts ont existé entre les deux communautés chrétienne et musulmane, quels que soient ces contacts.



Infos-Toulouse- commémoration bataille de Toulouse 9juin 721.wikimedia

Dans notre village, les troupes franques et sarrasines sont passées mais ne se sont pas installées semble-t-il. Lors des invasions sarrasines de 726/737, un rude combat a lieu sur notre territoire dans le quartier de la Croix de Lussan, (Luysan) actuellement route de Masmolène. Un hameau et son cimetière sont détruits. On peut voir dans la végétation des restes de murs épais. Peut-être lors de la bataille de 729 qui se déroule dans le diocèse d'Uzès. Des hameaux de St Quentin la Poterie notre voisine sont rasés par nos troupes. Traditionnellement on a imputé ce désastre aux seuls soldats sarrasins. Mais l'armée de Charles Martel et ses pilleurs-nettoyeurs des champs de bataille ratissaient aussi largement le terrain. Punition, pillage, ravages pour l'exemple ? Ou simplement air du temps, la vie sur terre comptait peu au regard de celle qui attendait l'homme après sa mort. A cette époque la date de naissance comptait peu, seule celle de la mort était importante et était inscrite dans les archives et les mémoires, ne serait-ce que pour hériter d’un statut et de biens.
Ce qui est certain c'est que les armées de Charles Martel, pour éviter que les Sarrasins ne reprennent pied, rasent les villes de Nîmes, Maguelone, Agde et Béziers. Les arènes de Nîmes et la tour Magne échapperont de justesse au courroux des troupes de Charles Martel. Mais les arènes d’Arles, l’abbaye Saint Victor de Marseille sont incendiées. Charles Martel est qualifié par le nîmois Poldo d'Albenas au 16ème siècle de "barbare et cruel tyran, insolent et damné incendiaire"!!! (in Poldo d'Albenas Discours Historial de l’antique & illustre cité de Nismes 1557-1560). Ces ravages laissent dans les mémoires un tel souvenir que pendant des siècles, tout étranger venu du Nord (c’est-à-dire au nord de la Loire) auront droit au surnom péjoratif de « franchimaud » ou « franck-mann ». Mais les Sarrasins n'étaient pas non plus des tendres.. On parle de leurs exploits en des termes de "massacres horribles" « de terre inondée de sang... ». Ils campent près de chez nous, à Tresque, Connaux, St Hilaire d'Ozon. On a retrouvé du côté de Bagnols sur Cèze des pièces de monnaie, des tessons de poterie arabe, des armes attestant le passage des troupes sarrasines (in Pierre Béraud "Uzès son diocèse, son histoire" p38 édit.Lacour). Actuellement en ce qui concerne la bataille du quartier de Lussan (Luysan) de Vallabrix on penche plutôt pour l'an 737 (le frère Childebrand Ier ou le gendre de Charles Martel aux commandes ?).
En souvenir de la bataille du quartier de Lussan,(Luyssan) route de Masmolène, une chapelle a été édifiée au 9ème siècle sur un rocher, nous écrit Goiffon dans son Dictionnaire Topographique 1881(p282), traces de cette construction jamais retrouvées. Cette chapelle s'appelait Ste Victoire ou Ste Brune. Actuellement on envisage la possibilité qu'elle ait été construite à la place de notre église détruite après l'invasion sarrasine. Elle est effectivement sur un rocher. Ce qui voudrait dire que notre village aurait été rasé lors de la bataille, hypothèse assez plausible. Les troupes venant de St Quentin et se dirigeant vers ce qui est actuellement le village de La Capelle en passant par le hameau de la Croix de Lussan n’avaient pas de raison de nous épargner. A l’époque nos remparts n’étaient pas ce qu’ils seront au 13ème siècle, plus proches alors des enceintes gauloises ou visigoths et ils n’ont pas dû offrir une grande résistance. Pierre Béraud dans son ouvrage « Uzès son diocèse, son histoire » Edit Lacour, p 39, met l’église de Vallabrix dans la liste de celles qui sont à reconstruire comme celles d’Uzès, de Remoulins, Théziers... qui sont « considérablement endommagées ».

Bologhine ibn Ziri, fondateur des trois villes : Alger, Miliana et Médéa

Il est bien dommage que nous n'ayons pas mieux instruit nos enfants, toutes religions confondues.Violence, préjugés n'ont jamais construit une civilisation !!


      Eglise Vallabrix 1920 collec privée


Sources : Gazette de Nîmes n°874 3 mars2016 --Midi libre 24/2/2016 - l'AFP l'anthropologue Yves Gleize, de l'Institut français de recherches archéologues (INRAP), principal auteur de cette recherche publiée mercredi aux Etats-Unis dans la revue Plos One. -- Figaro 25/2/2016 - Sciences et Avenir avec AFP le 26.02.2016 à 10h57,

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