En
2006-2007 lors de la construction d’un parking à Nîmes avenue Jean Jaurès les
archéologues faisaient la découverte de trois tombes datant probablement du 8ème
siècle. L’archéo-anthropologue Yves Gleize nous explique le contexte de cette
découverte. La datation menée par l’Institut National des Recherches
Archéologiques Préventives sous la houlette de Jean Yves Breuil, et la
génétique nous indiquent qu’il s’agit de tombes musulmanes de la fin du 7ème
siècle, début 9ème siècle. C’est-à-dire pendant la période durant
laquelle les Sarrasins occupent notre région. Les corps sont posés sur le côté
droit, la tête regardant dans la direction de la Mecque, à même le sol, pratiques funéraires
correspondant à ce que l’on peut trouver en matière de pratiques d’inhumation
musulmane en Espagne, Portugal ou en Sicile. En plus d’une anomalie osseuse sur
un poignet que l’on retrouve chez certaines populations africaines, les
analyses ADN mitochondrial et nucléaire montrent pour les trois squelettes un
marqueur présent chez 70% de la population berbère d’Afrique du Nord. L’un des
trois hommes est un jeune homme, le deuxième est âgé d’un peu plus de trente
ans, et le dernier a plus de 50 ans. Ils semblent être du même lignage. "La réalisation de plusieurs datations radiométriques sur les trois
individus permet d’en préciser l’âge : entre le 7e siècle et le 9e siècle de
notre ère" écrit l'Inrap . Aucune blessure sur les corps, ils ne
sont pas morts au combat.
D’autres
tombes, une vingtaine, probablement chrétiennes ont été retrouvées dans ce
secteur. Dans notre région jusqu’au 11/12ème siècle, nous enterrons
nos morts encore comme les Romains, le long des chemins. Nous ne sommes pas en
présence d’une nécropole, chrétienne ou musulmane. Précédemment nous avions mis
à jour des tombes musulmanes à Montpellier et à Marseille du 12ème
et 13ème siècle. Ces tombes de Nîmes sont les plus anciennes sépultures
musulmanes découvertes à ce jour et prouvent une présence sarrasine dans notre
région au moins entre 719 à 759, période pendant laquelle les Arabes du califat d'Omeyyades avaient enrôlé des Berbères pour la
conquête de l’Espagne et la Septimanie. Jusqu’alors nous avions trouvé des
traces de céramiques, d’armes, des pièces et des sceaux. Ces trois tombes
indiquent que ces hommes ont séjourné quelques temps chez nous. « Les lignées génétiques maternelles et paternelles des
trois squelettes sont relativement rares dans la population française moderne.
Par rapport à la Péninsule Ibérique ou à l'Italie, il est clair que l'impact
génétique de l'occupation arabe est bien moindre en France », pointent les
chercheurs. Soldats, commerçants, ou nés ici d’un père
berbère et d’une mère autochtone ? Le quartier où sont découvertes ces
tombes est situé à l’intérieur du rempart romain en partie détruit, mais
toujours connu et servant de limite à la ville médiévale. C’était un secteur
redevenu agricole depuis le 3ème siècle, peu urbanisé avec des
traces d’oliviers, de figuiers, de vignes. Donc on peut penser que les corps
n’ont pas été rejetés loin de la ville, mais sur un chemin d’accès ce qui nous
interroge sur les relations entre les communautés pendant le Haut Moyen-Age.
Quelle était la taille de ces communautés ? Les troupes de Charles Martel
contrôle Nîmes en 737, la détruisant sauf les arènes et la tour Magne qui
résistent. Punition d’une population qui avait accepté la protection des
musulmans contre l’octroi d’un tribut et la préservation de leurs lois et
traditions ? Narbonne et d’autres villes, peut-être Uzès avaient vécu
ainsi la domination sarrasine contre tribut. La question reste entière.
Dans
certains milieux, on crie au complot devant ces découvertes. On nie totalement
une possible coexistence entre musulmans et chrétiens dans le Haut-Moyen-Age. …. La laïcité, certainement le plus grand
cadeau que nous aient fait nos anciens, ne veut pas dire refuser notre
histoire.
On
confond le temps de la bataille, évidemment sanglant, et une fois la bataille
gagnée, le temps de l’installation : des administratifs, des soldats, des
artisans (il faut bien réparer les armes, les véhicules…), parfois des familles qui
restent jusqu’à dix ans au même endroit (comme dans la région de Grenoble) et vont
forcément « coexister » avec la population. Nous nous connaissons de
longue date. Faut-il rappeler que les Berbères, et ceux que l’on appelle
magrébins maintenant, avant d’être colonisés par les Arabes musulmans avaient
connu comme nous les Phéniciens, les Grecs, les Romains,….. et que nous avons
fait du commerce avec eux depuis la nuit des temps. Laine de leurs moutons plus
facile à travailler que celle de nos bêtes et que l’on va retrouver jusqu’au
Danemark actuel, notre étain pour faire du bronze, les poteries, les esclaves, le
cuir etc… Le pourtour méditerranéen faisait partie de l’Empire Romain et de
nombreuses populations berbères seront évangélisées. La religion chrétienne est née au Moyen-Orient, Jésus était juif. Des papes à trois reprises
seront des chrétiens d’Afrique du Nord : Victor 1er berbère de
Tunisie, évêque de Rome, de 189 à probablement 200, Melchiade pape de 311 à314,
Gélase, kabyle, pape de 492 à 496. Des saints africains comme Saint Augustin, Sainte
Monique…Et d’autres papes Syriens, Grecs, un Goth, des Siciliens, Sardes, un
Grec d’origine juive. L’Histoire ne partage pas le monde entre les bons et les
méchants, chaque jour apporte sa pierre et se raconte. Surtout dans des
périodes aussi compliquées. Il est toujours dangereux de vouloir contrôler le passé, cela n'a jamais permis de contrôler ni le présent ni l'avenir.
Melchiade |
Victor 1er |
Ces
trois squelettes nous interpellent que nous le voulions ou non ; dans les
années 1950 dans notre secteur, il était encore difficile d’enterrer un
protestant dans un cimetière « dit catholique » malgré la
laïcisation des cimetières de la fin du 19ème siècle, et encore moins un musulman. Au 7ème/9ème
siècle il semble qu’il était possible d’être enterrer chrétien et musulman dans
la même terre, dans une certaine proximité.
Un rapide et succinct coup d’œil historique sur le Maghreb semble
nécessaire:
Les populations des villes côtières algériennes et
tunisiennes ainsi que certains villages à la campagne se convertissent au
christianisme dès 256. Le traitement subit par ces populations par les Romains,
les crises économiques, font que peu à peu cette nouvelle religion sera un défi
politique et poussera à une nouvelle révolte amazigh. Le culte chrétien donatiste
refusant l’autorité religieuse de l’Empereur romain se développe et exige la séparation
de l’Etat et de la religion. Déjà les tenants de la secte chrétienne des circoncellions
avaient pour but de mourir au combat en martyrs. (pour nos jeunes tentés par les tueries dans les supermarchés, qui se souvient des circoncellions à part quelques historiens, le martyr n'est pas la voie pour revendiquer..)
Les donatistes sont déclarés hérétiques en 409 par l’empereur romain et la répression est féroce, envers les responsables religieux chrétiens et envers la population qui les soutient. Saint Augustin évêque catholique d’Hippone (Annaba) essaie de calmer le jeu en vain. Une minuscule communauté donatiste rentre dans la clandestinité jusqu’au 6ème siècle. En 430, les Vandales envahissent le pays et les Romains se retirent du Maghreb. Saint Augustin un des derniers symboles d’intégration dans l’Empire Romain meurt durant le siège d’Hippone par les Vandales. Avec ces envahisseurs, l’arianisme s’implante dans une partie de l’Algérie actuelle. Entrent dans le jeu les Byzantins avec Justinien, l’Empereur romain d’Orient. Révoltes, insurrections berbères, et émergence de plusieurs états puissants (Dierawa, Banou Ifren qui fondent Tlemcen-Agadir au 8ème siècle, Awarbas, Zénétes…)
Les donatistes sont déclarés hérétiques en 409 par l’empereur romain et la répression est féroce, envers les responsables religieux chrétiens et envers la population qui les soutient. Saint Augustin évêque catholique d’Hippone (Annaba) essaie de calmer le jeu en vain. Une minuscule communauté donatiste rentre dans la clandestinité jusqu’au 6ème siècle. En 430, les Vandales envahissent le pays et les Romains se retirent du Maghreb. Saint Augustin un des derniers symboles d’intégration dans l’Empire Romain meurt durant le siège d’Hippone par les Vandales. Avec ces envahisseurs, l’arianisme s’implante dans une partie de l’Algérie actuelle. Entrent dans le jeu les Byzantins avec Justinien, l’Empereur romain d’Orient. Révoltes, insurrections berbères, et émergence de plusieurs états puissants (Dierawa, Banou Ifren qui fondent Tlemcen-Agadir au 8ème siècle, Awarbas, Zénétes…)
(Okba ibn
Nafi al Fihri fondateur de la dynastie nord-africaine arabe des fihrides –
1/3/2000 photo Al Hilali al sulaymi-wikimedia)
Judaïsme,
christianisme, cohabitent à la veille de la conquête musulmane mais une partie
de la population demeure païenne. Certaines principautés berbères vont résister
à l’arrivée des musulmans entre 644 et 708, près de 60 ans de guerres. En 708
l’Algérie est aux mains des Omeyyades. La période préislamique est terminée. Le
métissage linguistique, berbère, phénicien, latin, arabe, espagnol, turc puis
plus tard français fabrique une langue très hétérogène qui se perpétue jusqu’à
nos jours.
En
711 le début de la conquête de l’Espagne fut mené par une armée arabo-berbère.
La Septimanie de Narbonne à Nîmes est dominée en 719 . Un moment les Sarrasins
sont chassés par le duc Eudes d’Aquitaine, qui s’allie en 720 avec eux, pour
les trahir en 721. Il marie sa fille Lampégie
avec Uthman ibn Naissa (ou Munuza) gouverneur dissident de Cerdagne. Mais
en 725 nouvelles incursions et les habitants de ces villes préfèrent se rendre
et payer tribut. Toulouse, Carcassonne, Bordeaux ravagée… Les autochtones
catholiques deviendront alors des dhimmis, c'est-à-dire des citoyens de seconde
zone, soumis aux vainqueurs..En
732, c’est la bataille de Poitiers : pour les Francs, il ne s’agit pas d’une
guerre sainte, les Sarrasins comme plus tard les Vikings, les Saxons sont
considérés comme des païens barbares et Charles Martel comme les souverains qui
vont lui succéder veut absolument garder une ouverture sur la méditerranée et
une surveillance des côtes. Il redoute surtout les visées expansionnistes des
Omeyyades. En 735, Mauronte, gouverneur chrétien de Provence s’allie aux Sarrasins
contre Charles Martel. Les troupes du frère de Charles, Childebrant 1er
prennent et pillent, incendient Avignon en 737, Arles, Nîmes. Il faudra
attendre 752 pour que les habitants de Nîmes, Maguelonne, Béziers, Agde
chassent les Sarrasins de leur ville. La lutte continuera sous Pépin le Bref
fils de Charles Martel : Francs et Goths s’allient et s’emparent de
Narbonne. Nous aurons encore des entrées sarrasines par la porte du Rhône et sur
nos côtes sous François Ier : un édit au 16ème siècle autorise
de les tuer sans risque de poursuites judiciaires même en cas d’erreur
crédible. Sous Charlemagne et même après, Nice, la Corse, la Camargue,
Marseille, Arles, le nord de l’Italie, le Valais suisse… seront tour à tour
envahies par les Sarrasins. De 830 à 990, les Etats Carolingiens sont trop
étendus et trop affaiblis pour faire face aux raids normands et sarrasins sur
notre sol. Razzias, pillages, rançons, population réduite en esclavage. La population d’Arles se soulève en 974 et les expulse. Le Maghreb et le
pourtour méditerranéen connaitront encore bien des souffrances.
La nature humaine étant ce qu’elle est, Il est
bien évident que pendant cette longue période, des contacts ont existé entre
les deux communautés chrétienne et musulmane, quels que soient ces contacts.
Infos-Toulouse- commémoration bataille de Toulouse 9juin 721.wikimedia
Dans notre village, les
troupes franques et sarrasines sont passées mais ne se sont pas installées
semble-t-il. Lors des invasions sarrasines de 726/737, un rude combat a lieu
sur notre territoire dans le quartier de la Croix de Lussan, (Luysan) actuellement
route de Masmolène. Un hameau et son cimetière sont détruits. On peut voir dans
la végétation des restes de murs épais. Peut-être lors de la bataille de 729
qui se déroule dans le diocèse d'Uzès. Des hameaux de St Quentin la Poterie notre
voisine sont rasés par nos troupes. Traditionnellement on a imputé ce désastre
aux seuls soldats sarrasins. Mais l'armée de Charles Martel et ses
pilleurs-nettoyeurs des champs de bataille ratissaient aussi largement le
terrain. Punition, pillage, ravages pour l'exemple ? Ou simplement air du
temps, la vie sur terre comptait peu au regard de celle qui attendait l'homme
après sa mort. A cette époque la date de naissance comptait peu, seule celle de
la mort était importante et était inscrite dans les archives et les mémoires,
ne serait-ce que pour hériter d’un statut et de biens.
Ce qui est certain c'est
que les armées de Charles Martel, pour éviter que les Sarrasins ne reprennent
pied, rasent les villes de Nîmes, Maguelone, Agde et Béziers. Les arènes de
Nîmes et la tour Magne échapperont de justesse au courroux des troupes de
Charles Martel. Mais les arènes d’Arles, l’abbaye Saint Victor de Marseille
sont incendiées. Charles Martel est qualifié par le nîmois Poldo d'Albenas au
16ème siècle de "barbare et cruel tyran, insolent et damné incendiaire"!!!
(in Poldo d'Albenas Discours Historial de l’antique &
illustre cité de Nismes 1557-1560).
Ces ravages laissent dans les mémoires un tel souvenir que pendant des
siècles, tout étranger venu du Nord (c’est-à-dire au nord de la Loire) auront
droit au surnom péjoratif de « franchimaud » ou
« franck-mann ». Mais les Sarrasins n'étaient pas non plus des
tendres.. On parle de leurs exploits en des termes de "massacres
horribles" « de terre inondée de sang... ». Ils campent près de
chez nous, à Tresque, Connaux, St Hilaire d'Ozon. On a retrouvé du côté de
Bagnols sur Cèze des pièces de monnaie, des tessons de poterie arabe, des armes
attestant le passage des troupes sarrasines (in Pierre Béraud "Uzès son diocèse,
son histoire" p38 édit.Lacour). Actuellement en ce qui
concerne la bataille du quartier de Lussan (Luysan) de Vallabrix on penche
plutôt pour l'an 737 (le frère Childebrand Ier ou le gendre de Charles Martel
aux commandes ?).
En souvenir de la
bataille du quartier de Lussan,(Luyssan) route de Masmolène, une chapelle a été
édifiée au 9ème siècle sur un rocher, nous écrit Goiffon dans son Dictionnaire
Topographique 1881(p282), traces de cette construction jamais retrouvées. Cette
chapelle s'appelait Ste Victoire ou Ste Brune. Actuellement on envisage la
possibilité qu'elle ait été construite à la place de notre église détruite
après l'invasion sarrasine. Elle est effectivement sur un rocher. Ce qui
voudrait dire que notre village aurait été rasé lors de la bataille, hypothèse
assez plausible. Les troupes venant de St Quentin et se dirigeant vers ce qui
est actuellement le village de La Capelle en passant par le hameau de la Croix
de Lussan n’avaient pas de raison de nous épargner. A l’époque nos remparts
n’étaient pas ce qu’ils seront au 13ème siècle, plus proches alors des enceintes
gauloises ou visigoths et ils n’ont pas dû offrir une grande résistance. Pierre
Béraud dans son ouvrage « Uzès son diocèse, son histoire » Edit
Lacour, p 39, met l’église de Vallabrix dans la liste de celles qui sont à
reconstruire comme celles d’Uzès, de Remoulins, Théziers... qui sont
« considérablement endommagées ».
Bologhine ibn Ziri, fondateur des trois villes : Alger, Miliana et Médéa
Il est bien dommage que nous n'ayons pas mieux instruit nos enfants, toutes religions confondues.Violence, préjugés n'ont jamais construit une civilisation !!
Il est bien dommage que nous n'ayons pas mieux instruit nos enfants, toutes religions confondues.Violence, préjugés n'ont jamais construit une civilisation !!
Eglise Vallabrix 1920 collec privée
Sources : Gazette de Nîmes n°874 3 mars2016 --Midi libre 24/2/2016 - l'AFP l'anthropologue Yves Gleize, de l'Institut français de recherches archéologues (INRAP), principal auteur de cette recherche publiée mercredi aux Etats-Unis dans la revue Plos One. -- Figaro 25/2/2016 - Sciences et Avenir avec AFP le 26.02.2016 à 10h57,
Sources : Gazette de Nîmes n°874 3 mars2016 --Midi libre 24/2/2016 - l'AFP l'anthropologue Yves Gleize, de l'Institut français de recherches archéologues (INRAP), principal auteur de cette recherche publiée mercredi aux Etats-Unis dans la revue Plos One. -- Figaro 25/2/2016 - Sciences et Avenir avec AFP le 26.02.2016 à 10h57,
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.