mardi 3 avril 2018

Loriol-sur-Drôme ou la bataille des Femmes



 

Livron-sur-Drôme ou la bataille des femmes

Dans un vieux livre de 1896 ayant appartenu à mon père, j’ai trouvé un récit de voyage comme on en faisait à l’époque. L’auteur en est Victor-Eugène Ardouin-Dumazet, « Voyage en France, 9ème série Bas-Dauphiné ».
Ardouin-Dumazet (1852-1940) est un journaliste français, secrétaire de rédaction à l’Echo du Nord, directeur politique du journal « La Charente »  Il collabore en 1888 au journal parisien « Le Temps ». Il nous laisse une soixantaine de volumes de « Voyage en France », véritables guides touristiques, précieux documents sur la France rurale et urbaine de la fin du 19ème siècle. Il y décrit les ressources touristiques, enquête que la vie économique locale, organise des itinéraires. Les tours de France sont à la mode. Ces guides connaitront un grand succès jusqu’à la Première Guerre Mondiale et ils seront couronnés à deux reprises par l’Académie Française..

Chapitre 15 p 241, il nous présente le Livron de la fin du 19ème siècle, ses ombrages opulents qui dissimulent les maisons. Les pépiements d’oiseaux du matin, « les éclatants sons de voix des joueurs de boules du soir et du dimanche »…. Et le village, ses femmes qui préparent des caisses de cerises superbes qui partiront pour Paris et ses halles, les marchés de Londres, Hambourg… Livron verrou sur la vallée, au confluent de la Drôme et du Rhône.
Le nom ancien de Livron « Castrum Liberonis » aurait pour origine « le domaine d’un homme libre » ou appelé « Liber », un nom prédestiné. A l’époque romaine, la Via Agrippa longe déjà le pied du rocher où Livron est perché et ne sera pendant longtemps qu’un château entouré de quelques masures.

Au 16ème siècle après les remous de la Guerre de Cent ans et ses routiers, Livron est en pleine croissance et accueille favorablement la Réforme protestante. Le nouvel évêque pour Valence et Die Jean de Montluc est large d’esprit, très réceptif aux nouveautés dans son diocèse. Il est favorable à une réforme de l’Eglise catholique.
Les vaudois de Pierre Valdo, avaient préparé le terrain et connaissent un grand succès dans le Dauphiné et une forte colonie s’implante à La Baume-Cornillane. Avec Guillaume Farel la Réforme se manifeste autour du département dès 1520. Puis les idées de Luther puis de Calvin pénètrent dans la vallée du Rhône, le Diois et le Tricastin. Les Réformés sont suspects d’hérésie et recherchés dès 1546 par le Parlement de Grenoble ; sont surtout touchées les villes de Valence et Die. Début 1560 les assemblées de fidèles sortent de la clandestinité et deviennent publiques. (Guillaume Farel musée virtuel du protestantisme + musée Genève)
(Pierre Valdo 1140-1217musée virtuel du protestantisme)
Les responsables protestants de Livron vont demander à Genève un pasteur : le jeudi 7 mai 1562 Jehan Penin s’installe dans la ville. Les cruautés du gouverneur La Motte Grondin amenèrent des seigneurs protestants à l’assassiner le 27 avril 1562. Ce qui déclencha la première guerre de religion dans le secteur, puis partout dans le royaume, les places tenues par un parti catholique ou protestante furent aussitôt l’objet d’actions plus ou moins fortes pour leurs reprises. En 1561 Calvin aurait séjourné en val de Drôme.

Dès 1562, la ville doit héberger des troupes royalistes, fournir hommes et vivres. Au printemps 1570 le chef protestant Montbrun à son tour y logera une partie de ses troupes.
Le 15 juillet 1569, les protestants  échouent dans leur assaut contre la citadelle voisine de Crest parce que leurs échelles sont trop courtes !!.
Livron est une place forte huguenote, d’environ 1200 habitants. 95 chefs de famille sur 104 sont protestants. La collégiale Saint-Prix devient un temple protestant, puis est rendue aux catholiques et un nouveau temple est construit dans la rue centrale du village. La collégiale sera brûlée en 1568 par les troupes huguenotes.

   En juin-juillet 1574 Livron est assiégé par les troupes du roi Henri III avec à leur tête le maréchal de Bellegarde.. Le village est sur un apique, avec son dédale de rues étroites escarpées, « d’une déclivité extrême », bordées de maisons-forteresses. Le roi et ses courtisans revenant d’Avignon se joignent aux soldats. Parés, parfumés, « godronnés » comme on disait alors, ils vinrent à l’assaut comme à une fête, paradant sur leurs chevaux couverts de tissus chamarrés, sûrs de leur supériorité. La population entière de Livron accourt aux remparts, « les femmes plus ardentes encore que les hommes ». Du haut des murs des invectives pleuvent sur les assiégeants : « Vous ne nous poignarderez pas comme l’amiral Coligny !! Amenez vos mignons, qu’ils viennent voir nos femmes et ils verront si c’est une proie facile à emporter ! ». Les femmes portent des pierres, bombardent du haut des murs, repoussent les échelles des assaillants, jouent de la pique, du battoir, du mousquet… la langue est acide, les plaisanteries graveleuses, obscènes…, les perles et les dentelles des courtisans sont brocardées. On oublie la réserve, la mesure huguenote. Les morales protestantes ont l'aversion la plus profonde pour le luxe vestimentaire, les fards et les parures. Pour Calvin, pour Zwingli se parer est une impureté, se farder, une obscénité.. Un souci trop grand accordé au corps et au vêtement place l'homme au-dessous de l'animal. Le seul ornement qu'il faille rechercher est celui de l'âme. Nos "mignons" ne pouvaient pas faire l'effet qu'ils escomptaient !!  Par raillerie finale, les Livronnais placent au rempart des vieilles femmes armées de leurs quenouilles et filant avec tranquillité. L’armée dut lever le camp… Le coup de force royal de la Saint-Barthélemy d’août 1572 a laissé des traces.
De décembre1574 à janvier 1575, pendant 50 jours, la ville sera de nouveau encerclée par les troupes royalistes, 6000/8000 hommes contre 400. En vain, un succès mémorable sera pour les assiégés. Mais la vieille ville est en partie détruite, les murs des maisons ont servi à renforcer l’enceinte extérieure et à bombarder les assaillants. 300 morts du côté livronnais, plus de 1000 du côté des soldats du roi. Les femmes n’ont pas été les dernières à démonter des murs, à transporter des pierres jusqu’aux remparts, montant aux échelles, jupes retroussées.


Le village de Livron sera cédé en 1582 aux troupes royales après un accord provincial et totalement démantelé. Puis à nouveau protestant en 1590 avec une nouvelle enceinte, pour devenir en 1599 Henri IV l’une des douze places de sûreté accordées aux protestants en Dauphiné, avec accès aux métiers interdits aux protestants dans le reste du pays.


Plaine de Livron photo collectionprivée


La ville subira comme tant d’autres communautés l’épidémie de peste de 1629-31 ainsi que la politique de Richelieu, puis de Louis XIV : saisie du temple protestant en 1632, démolition du château en 1633. 
L’influence du parti protestant est peu à peu anéantie. Premier consul forcément catholique, présence du curé à chaque réunion du consulat, puis prime ou exemption d’impôt en cas d’abjuration, menace de dragonnade, interdictions de culte et démolition des temples à partir de 1683 jusqu’à la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685. 
En automne 1685, de dures dragonnades frappent la ville pour inciter les habitants à changer de religion. En 1687 l’évêque de Valence comptait 71 % de nouveaux convertis sur les 1400 habitants de Livron. Les autorités notent de nombreux enterrements « aux champs », c’est-à-dire de protestants qui n’ont pas droit au cimetière catholique. On retrouve des Livronnais émigrés à Genève secourus par les protestants de la ville, mais surtout en Allemagne où ils vont porter leur savoir-faire dans l’industrie de transformation de la soie (filatures, moulinages, tissages et élevages de vers à soie).
 La démolition des murailles et du château ordonnée par Richelieu qui voulait éviter d’assiéger en vain la ville, laisse une tour : la tour de Raspans ou tour du Diable. Personne n’ose y toucher car nous disent des écrits de 1211, elle est habitée par des êtres surhumains qui la garde et en défendent l’accès. Les soldats qui sont de guet au sommet de la tour, au lever du jour, sont retrouvés endormis à l’extérieur au pied de la tour alors que les portes sont closes. Les soldats n’ont rien vu ni entendu quoique ce soit, leur sommeil était tellement profond qu’on y voit la main du diable ou des fées maléfiques !!
Temple 1805 



Pont sur la Drôme au XIXe siècle, par Alexandre Debelle (1805-1897).



Sources :  Ardouin-Dumazet   Voyage en France 9è série Bas-Dauphiné édit Berger-Levrauet et Cie1896 – château.over-blog.net/drome.chateau.de.livron – Office du Tourisme Livron Michel Lalos pont du Commandant H Faure  -- wikimedia -- Michèle Bois et Chrystèle Burgard, Fortifications et châteaux dans la Drôme, éditions Créaphis, 192 p, 2004  --Lucien Delay, Livron sur Drôme - Hier et aujourd'hui, les presses de l'imprimerie du Crestois, 1991.—Pierre Miquel   Les Guerres de Religion, Fayard, 1980  -- Michel Pastoureau  Une histoire symbolique du Moyen Age occidental édit Seuil 2004--


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