Carte postale, « Frédéric Mistral et Alphonse Daudet »
(Delcampe)--Musée de l'Ecole Montceau-les-Mines
Les Fées de France
Alphonse Daudet dans ses Contes du Lundi 1873 nous a régalés de cette historiette qui se place après la guerre franco-prussienne de 1870 et la Commune de Paris avec ses pétroleuses.
--« Accusée,
levez-vous », dit le président. Un mouvement se fit au banc hideux des
pétroleuses, et quelque chose d’informe et de grelottant vint s’appuyer contre
la barre.
C’était un paquet de
haillons, de trous, de pièces, de ficelles, de vieilles fleurs, de vieux
panaches, et là-dessous, une pauvre figure fanée, tannée, ridée, crevassée, où
la malice de deux petits yeux noirs frétillait au milieu des rides comme un
lézard à la fente d’un vieux mur.
n « Comment
vous appelez-vous ? lui demanda-t-on
n Mélusine
n Vous
dites ?... »
Elle répéta très
gravement ; sous sa forte moustache de colonel de dragons, le président
eut un sourire, mais il continua sans sourciller :
n « Votre
âge ?
n Je
ne sais plus
n Votre
profession ?
n Je
suis fée !... »
Pour le coup l’auditoire,
le conseil, le commissaire du gouvernement lui-même, tout le monde partit d’un
grand éclat de rire ; mais cela ne la troubla point, et de sa petite voix
claire et chevrotante, qui montait haut dans la salle et planait comme une voix
de rêve, la vieille reprit :
--« Ah ! les fées
de France où sont-elles ? Toutes mortes, mes bons messieurs. Je suis la
dernière ; il ne reste que moi… En vérité, c’est grand dommage, car la
France était bien plus belle quand elle avait encore ses fées. Nous étions la
poésie du pays, sa foi, sa candeur, sa jeunesse. Tous les endroits que nous
habitions, les fonds de parcs embroussaillés, les pierres des fontaines, les
tourelles des vieux châteaux, les brumes d’étangs, les grands landes
marécageuses recevaient de notre présence je ne sais quoi de magique et
d’agrandi. A la clarté fantastique des légendes, on nous voyait passer un peu
partout traînant nos jupes dans un rayon de lune, ou courant sur les prés à la
pointe des herbes. Les paysans nous aimaient, nous vénéraient.
« Dans les
imaginations naïves, nos fronts couronnés de perles, nos baguettes, nos
quenouilles enchantées mêlaient un peu de crainte à l’adoration. Aussi nos
sources restaient toujours claires. Les charrues s’arrêtaient aux chemins que
nous gardions ; et comme nous donnions le respect de ce qui est vieux,
nous, les plus vieilles du monde, d’une bout de la France à l’autre on laissait
les forêts grandir, les pierres crouler d’elles-mêmes.
/www.istockphoto.com/fr/vectoriel/ancienne-gravure-illustration-fées-gm1039012834-278132699
« Mais le siècle a marché. Les chemins de fer sont venus, On a creusé les tunnels, comblé les étangs, et fait tant de coupes d’arbres, que bientôt nous n’avons plus su où nous mettre. Peu à peu les paysans n’ont plus cru en nous. Le soir, quand nous frappions à ses volets, Robin disait : « C’est le vent ! » et se rendormait. Les femmes venaient faire leurs lessives dans nos étangs. Dès lors ç’a été fini de nous. Comme nous ne vivions que de la croyance populaire, en la perdant, nous avons tout perdu. La vertu de nos baguettes s’est évanouie, et de puissantes reines que nous étions, nous nous sommes trouvées de vieilles femmes, ridées, méchantes comme des fées qu’on oublie ; avec cela notre pain à gagner et des mains qui ne savaient rien faire. Pendant quelque temps, on nous a rencontrées dans les forêts traînant des charges de bois morr, ou ramassant des glanes au bord des routes. Mais les forestiers étaient durs pour nous et nous jetaient des pierres. Alors comme les pauvres qui ne trouvent plus à gagner leur vie au pays, nous sommes allées la demander au travail des grandes villes.
« Mais le siècle a marché. Les chemins de fer sont venus, On a creusé les tunnels, comblé les étangs, et fait tant de coupes d’arbres, que bientôt nous n’avons plus su où nous mettre. Peu à peu les paysans n’ont plus cru en nous. Le soir, quand nous frappions à ses volets, Robin disait : « C’est le vent ! » et se rendormait. Les femmes venaient faire leurs lessives dans nos étangs. Dès lors ç’a été fini de nous. Comme nous ne vivions que de la croyance populaire, en la perdant, nous avons tout perdu. La vertu de nos baguettes s’est évanouie, et de puissantes reines que nous étions, nous nous sommes trouvées de vieilles femmes, ridées, méchantes comme des fées qu’on oublie ; avec cela notre pain à gagner et des mains qui ne savaient rien faire. Pendant quelque temps, on nous a rencontrées dans les forêts traînant des charges de bois morr, ou ramassant des glanes au bord des routes. Mais les forestiers étaient durs pour nous et nous jetaient des pierres. Alors comme les pauvres qui ne trouvent plus à gagner leur vie au pays, nous sommes allées la demander au travail des grandes villes.
« Il y en a qui sont
entrées dans des filatures. D’autres ont vendu des pommes l’hiver, au coin des
ponts, ou des chapelets à la porte des églises. Nous poussions devant nous des
charrettes d’oranges, nous tendions aux passants des bouquets d’un sou dont
personne ne voulait, et les petits se moquaient de nos mentons branlants, et
les sergents de ville nous faisaient courir, et les omnibus nous renversaient.
Puis la maladie, les privations, un drap d’hospice sur la tête… Et voilà comme
la France a laissé toutes ses fées mourir. Elle en a été bien punie !
« Oui, oui, riez,
mes braves gens. En attendant, nous venons de voir ce que c’est qu’un pays qui
n’a plus de fées. Nous avons vu tous ces paysans repus et ricaneurs ouvrir
leurs huches aux Prussiens et indiquer les routes. Voilà ! Robin ne
croyait plus aux sortilèges ; mais il ne croyait pas davantage à la
Patrie… Ah ! si nous avions été là, nous autres, de tous ces Allemands qui
sont entré en France, pas un ne serait sorti vivant. Nos draks, nos feux
follets les auraient conduits dans des fondrières. A toutes ces sources pures
qui portaient nos, noms, nous aurions mêlé des breuvages enchantés qui les
auraient rendus fous ; et dans nos assemblées, au clair de lune, d’un mot
magique, nous aurions si bien confondu les routes, les rivières, si bien
enchevêtré de ronces, de broussailles, ces dessous de bois où ils allaient
toujours se blottir, que les petits yeux de chat de M de Moltke n’auraient
jamais pu s’y reconnaître. Avec nous, les paysans auraient marché. Des grandes
fleurs de nos étangs nous aurions fait des baumes pour les blessures, les fils
de la Vierge nous auraient servi de charpie ; et sur les champs de
bataille, le soldat mourant aurait vu la fée de son canton se pencher sur ses
yeux à demi fermés pour lui montrer un coin de bois, un détour de route,
quelque chose qui lui rappelle le pays. C’est comme cela qu’on fait la guerre
nationale, la guerre sainte. Mais hélas ! dans les pays qui ne croient
plus, dans les pays qui n’ont plus de fées, cette guerre-là n’est plus possible. »
Ici la petite voix grêle
s’interrompit un moment, et le président prit la parole :
« Tout
ceci ne nous dit pas ce que vous faisiez du pétrole qu’on a trouvé sur vous
quand les soldats vous ont arrêtée.
« Je brûlais Paris, mon bon monsieur,
répondit la vieille bien tranquillement. Je brûlais Paris parce que je le hais,
parce qu’il rit de tout, parce que c’est lui qui nous a tuées. C’est Paris qui
a envoyé des savants pour analyser nos belles sources miraculeuses, et dire au
juste ce qu’il entrait de fer et de soufre dedans. Paris s’est moqué de nous
sur ses théâtres. Nos enchantements sont devenus des trucs, nos miracles des
gaudrioles, et l’on a vu tant de vilains visages passer dans nos robes roses,
nos chars ailés, au milieu de clairs de lune au feu de Bengale, qu’on ne peut
plus penser à nous sans rire… Il y avait des petits enfants qui nous
connaissaient par nos noms, nous aimaient, nous craignaient un peu ; mais
au lieu des beaux livres tout en or et en images, où ils apprenaient notre
histoire, Paris maintenant leur a mis dans les mains la science à la portée des
enfants, de gros bouquins d’où l’ennui monte comme une poussière grise et
efface dans les petits yeux nos palais enchantés et nos miroirs magiques…
Oh ! oui, j’ai été contente de le voir flamber, votre Paris… C’est moi qui
remplissais les boîtes des pétroleuses, et je les conduisais moi-même aux bons
endroits : allez mes filles, brûlez tout, brûlez, brûlez !!...
n « Décidément
cette vieille est folle, dit le président. Emmenez-la ».
archives nationales AE/11/3846 -1871--Conseil de Guerre jugeant des pétroleuses
PPPPPPPPPPPPP
Les pétroleuses, mythe ou
réalité ? La Commune incendia des édifices parisiens comme l’Hôtel de
Ville, la Cour des Comptes, une partie du Palais Royal…. Les Parisiens seront
fortement marqués par ces incendies. Des hommes seront arrêtés, jugés et fusillés
en mai 1872 et janvier 1873. Dès l’été 1871, les journaux versaillais diffusent
des histoires de « pétroleuses » rappelant les « tricoteuses
révolutionnaires » de 1790. L’image de la communarde une bouteille de
pétrole à la main, la lançant contre une façade de bâtiment public ou dans des
caves, devient une figure récurrente
dans les journaux, dans les témoignages, très orientés versaillais. Cette image
vient justifier la condamnation de femmes impliquées dans la Commune, traduites
devant les conseils de guerre. Bestialité des « femelles » qui avaient
bien mérité le bagne !!. Une de ces figures était Louise Michel.
Fake-new avant l’heure, manipulation des masses ? Décidément rien de nouveau.
Carte postale de propagande anti-communarde, oblitérée en juillet 1871, quelques semaines après la chute de la Commune de Paris |
Sources : Bertrand TILLIER, « Le mythe de la pétroleuse », Histoire par l'image [en ligne] URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/mythe-petroleuse--- Edith Thomas Les Pétroleuses Paris Gallimard 1963---André Clément Decouflé La Commune de Paris 1871 révolution populaire et pouvoir révolutionnaire 1969 --
Numa fils --Paris Incendié --© Saint-Denis, musée
d'art et d'histoire - Cliché I. Andréani
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