Les
doléances de l'ordre le plus nombreux du royaume : les maris cocus (1789)et le vrai
cahier de Vallabrix
Nous faisons souvent en ce moment référence aux cahiers de Doléances de 1789. Ces cahiers fournissent des informations révélatrices de la société de l’Ancien Régime à l’orée de la Révolution. Tocqueville dira que c’est « le testament de l’ancienne société française, l’expression suprême de ses désirs, la manifestation authentique de ses volontés »..
60 000 cahiers environ sont conservés, avec parfois d’importantes lacunes dans les collections (BNF, archives nationales, départementales, municipales…)
Nos Anciens avaient de l’humour même en ces périodes troublées. Des cahiers de doléances un peu particuliers sont sortis dans pratiquement toutes les provinces du royaume. Celui-ci vient du Cantal, mais les archives du Gard mentionnent un semblable que nous n’avons pas retrouvé à ce jour. Ce livret concerne l’Ordre le Plus Nombreux du Royaume celui des Maris Cocus.
Trop long (une trentaine
de pages) pour être transcrit ici intégralement, nous allons en faire un
résumé.
C‘est un ordre qui
prône l’égalité de ses membres, qu’ils soient riches ou pauvres, savants ou ignares,
beaux ou laids. Il est au-dessus de tous les autres ordres par son ancienneté
et le nombre de ses membres. Mais les célibataires, les curés n’y sont pas
admis. Pour y prêter serment, on jure la main droite posée sur son front et non
sur son cœur ou sur la Bible.
Il s’agit bien évidemment d’une parodie
anonyme qui s’en prend aux « people » de l’époque. Des noms à peine
déguisés sont cités à la fin du livret : Rebut limonadier, Paliseau maître
perruquier, le comte de Mirabeau, Pierre-Augustin de Beaumarchais et bien
d’autres qui ont tous existé. Tous réunis pour déposer des motions, intervenant
dans la discussion. Par exemple M. Duval d’Eprémesnil, qui présente sa défense
après avoir entendu des rumeurs remettant en cause son appartenance à l’Ordre.
Il conclut son discours, aussi grandiloquent que ridicule, en proposant le
témoignage de 60 témoins. Même sans connaître la vie privée de Mme Duval
d’Eprémesnil, les lecteurs en déduiront que ses infidélités étaient sans aucun
doute de notoriété publique au XVIIIe siècle.
Une des propositions : le mari
trompé, satisfait ou non, ne pourra exprimer son mécontentement publiquement et
surtout pas devant un tribunal « où l’on
voit le sexe se montrer avec une curiosité avide […] et tout cela pour dire à
l’Europe entière que le mécontent est las d’être C… ! ».
La défense des maris trompés induit un
certain autoritarisme : « que tous
les célibataires, d’obligation ou volontairement, soient tenus de se marier ;
attendu que c’est en particulier à eux que l’Ordre des C… doit son existence,
qu’il est plus que temps qu’il pût leur en témoigner sa reconnaissance. »
Il est demandé d’établir
le divorce et d’autoriser les mariages d’amour sans le consentement des
parents. Des idées qui vont cheminer un moment dans l’esprit des
révolutionnaires pour être oubliées avec Napoléon.
Un certain sexisme bien
de son temps : les femmes seront obligées de «
s’occuper du soin de leur ménage et de l’éducation de leurs enfans, au lieu
d’aller risquer leur honneur sur l’as de pique ou le valet de carreau, et
d’aller en petite loge à l’opéra », et « toute femme bel-esprit, s’érigeant en
auteur, sera condamnée par la société à retourner à son aiguille, ou à son
filet ; parce que l’expérience a prouvé que ce qu’elles acquéroient du côté des
connaissances, elles le perdoient du côté de la chasteté, et que se croyant
au-dessus du préjugé, elles bravoient le scandale par principes ».
Les femmes devront éviter ayant leur
subsistance assurée « de tirer parti de [leurs] charmes, se faire entretenir publiquement ou
secrètement ; parce qu’il faut que tout le monde vive, et que c’est ôter le pain
aux courtisanes » !
Les religieuses ne sont pas
oubliées : « Abroger le titre de dame accordé aux chanoinesses, vu
qu’elles se croient permis d’en remplir les fonctions »…
Cette parodie a eu un certain succès.
Comme maintenant, on se plaisait à voir des grands noms tournés en dérision. On
pouvait encore rire en mars 1789 et faire preuve de légèreté. L'avenir sera bien plus compliqué.
Le Parisien—Vrai cahier de doléances--Neuvillalais (Sarthe),
le 8 mars 1789. Les habitants viennent faire part de leurs plaintes et
doléances. Archives Nogent-le-Rotrou
Sources : archives départemental du Cantal-collection M
Leymarie--musardises
mmmmmmmmmmmmmmm
Voici retranscrit le Vrai cahier de doléances de
Vallabrix de 1789
- Cahiers de Doléances de la Sénéchaussée de
Nîmes 1789 :
(adg C1200 dist d’Uzès) (arch
comm procès-verbal et cahier sur registre)
En italique une petite
explication des termes.
Valabrix
– diocèse d’Uzès (ancienne écriture de Vallabrix)
Copie en forme précédant
celle du cahier et ne faisant qu’un avec lui – 8 mars 1789
Deux députés (représentants) : Basile Gay premier
consul et Claude Agniel, bourgeois
83 feux (familles)
Président de l’assemblée :
Basile Gay, premier consul
La seigneurie appartenait
depuis le XVIe siècle à la famille de Bargeton d’Uzès.
A la séance du 28 mars
1789, (assemblée des nobles de la sénéchaussée) figure François (François-Gabriel) de Brueys, capitaine
au régiment d’Angoumois, comme procureur fondé de Gaspard Anne d’Arnaud de
Valabrix. (procureur = représentant—Gaspard
celui qui deviendra le Brigand de Valabris de la comptine de 1815))
Oliviers, blé, fourrages,
mûriers, bois, pâtis, (pâturages),
vigne
Cahier de plaintes et
doléances arrêté ce jourd’hui 8 mars
1789 par les habitants de la communauté de Valabrix assemblés en exécution de
la lettre du Roi, de l’ordonnance de M le Lieutenant général en la sénéchaussée
de Nîmes et des règlements y attachés.
(Suivent
7 articles qui reprennent quelques uns de ceux de la commune d’Aigaliers, qui a
été beaucoup imitée par les autres communautés)
Signatures copiées :
Gay, Dussaud, Guiraud, Vidal, Arènes, Bonnaud, Arnaud, Roche, Alméras, Brun,
Melle, Roche, Vissière, Biol, Guiraud,
Bonnaud, Gilly greffier
1 – la communauté demande
que l’impôt soit réparti indistinctement
sur toutes les classes de citoyens
et sur toutes les qualités de biens ; en conséquence on abolisse tout
privilège pécuniaire ;
2 – que les impôts ne
soient pas supportés par les seuls biens-fonds, (terres, immeubles) mais que les capitalistes et ceux qui ont leur
fortune en argent y contribuent dans une juste proportion ;
3 – le commerce vivifiant
l’Etat, il est contre l’intérêt de l’Etat qu’il soit gêné par le fisc ;
d’où l’assemblée conclut qu’il faut supprimer
les douanes intérieures et les porter aux frontières, afin que les
provinces d’un même Etat puissent se communiquer sans embarras les productions
de leur sol et de leur industrie ;
4 – le tabac et le sel
pouvant devenir un objet d’agriculture et de commerce fructueux pour la nation,
cette branche de l’industrie doit lui être rendue, et pour cela il faut supprimer la gabelle et la ferme du
tabac ;
5 – la suppression ou du moins la simplification des tarifs du
contrôle, insinuation et centime denier,
devenus, par les extensions qu’on leur a données, l’impôt le plus accablant
pour le peuple des campagnes
6 – les curés, soutiens,
consolateurs et pères du peuple surtout dans les campagnes, méritent que la
nation s’intéresse à eux, et améliore à leur souhait. Leur congrue doit être
augmentée jusqu’à concurrence de 1200 livres .
7 – les curés décimateurs
ou qui n’auront que la portion congrue ci-dessus fixée à 1200 livres , doivent
être obligés de se loger eux-mêmes, et d’entretenir leurs églises, comme ils le
faisaient anciennement, la dépense de ces objets étant ruineuse pour les
communautés de campagne
(adg C1199 district
d’Uzès)
(Seigneur surveillant la récolte des pommes – XVIè – BNF) |
Dans
d’autres communes, dont Aigaliers, les habitants demandent aussi que la forme
des procédures civiles et criminelles soient simplifiées, changées, que « la
liberté des citoyens doit reposer à
l’abri des lois » et donc nécessité
d’abolir l’arbitraire. Ils demandent aussi que les votes aux Etats Généraux se
fassent par tête et non par ordre, « sinon le tiers état serait
sacrifié ».
En 1789, à la veille de la Révolution la France
compte un peu près vingt-cinq millions d’habitants. Tous attendent des Etats
Généraux convoqués une vie meilleure. Le 28 janvier 1789, aux quatre coins du
pays, furent lues les lettres royales qui demandaient à chacun de faire
parvenir au roi « ses vœux et ses réclamations », et cela « des
extrémités de son royaume et des habitations les moins connues ».
Les cahiers de doléances rédigés par des laboureurs, des bourgeois, des curés, des avocats, des aristocrates, corporations... ont tous un point commun : en ce début d’année, personne ne songe encore à une révolution, ni ne remet en cause profondémentla société. Le Tiers
de Paris demande que « tout pouvoir émane de la nation (le peuple) et ne
peut être exercé que pour son bonheur ». Les trois ordres sont d’accord
sur des grands principes constitutionnels : tout doit reposer sur
l’entente du roi et de la nation, le roi seul exerce le pouvoir exécutif, le
pouvoir législatif appartient à la nation conjointement avec le roi. Mais très
vite des difficultés, des oppositions fondamentales s’installent.
Les cahiers de doléances rédigés par des laboureurs, des bourgeois, des curés, des avocats, des aristocrates, corporations... ont tous un point commun : en ce début d’année, personne ne songe encore à une révolution, ni ne remet en cause profondément
(Marianne anonyme 19ème).
Les trois Ordres, Tiers Etat, Noblesse, Clergé, vont revendiquer des droits contradictoires, même au sein d’un même ordre. Le peuple va souvent faire appel à plus instruit que lui pour la rédaction de ces cahiers, le maître artisan, le laboureur, le bourgeois s’exprimant au nom du compagnon, du manouvrier, du serviteur… On va souvent faire du "papier-collé", imiter le village voisin. Il faut en lire le contenu « entre les lignes » avec distanciation. D’une manière générale, le Tiers Etat demande surtout une réforme des impôts et l’égalité fiscale, une simplification et un coût moindre des procédures en justice. Les demandes sont très concrètes : unification des poids et mesures, gestion des pacages, des étangs. La bourgeoisie manifeste des revendications plus politiques et égalitaires. Les cahiers du clergé montrent un certain conservatisme : le catholicisme doit rester religion d’Etat et maintien des distinctions entre les ordres. Le bas-clergé souhaite une amélioration de ses conditions matérielles. La noblesse en gros accepte l’égalité fiscale sous certaines réserves mais veut garder ses prérogatives et signes de distinctions. Elle souhaite rester le premier ordre de l’Etat. La liberté de la presse est demandée.
Les trois Ordres, Tiers Etat, Noblesse, Clergé, vont revendiquer des droits contradictoires, même au sein d’un même ordre. Le peuple va souvent faire appel à plus instruit que lui pour la rédaction de ces cahiers, le maître artisan, le laboureur, le bourgeois s’exprimant au nom du compagnon, du manouvrier, du serviteur… On va souvent faire du "papier-collé", imiter le village voisin. Il faut en lire le contenu « entre les lignes » avec distanciation. D’une manière générale, le Tiers Etat demande surtout une réforme des impôts et l’égalité fiscale, une simplification et un coût moindre des procédures en justice. Les demandes sont très concrètes : unification des poids et mesures, gestion des pacages, des étangs. La bourgeoisie manifeste des revendications plus politiques et égalitaires. Les cahiers du clergé montrent un certain conservatisme : le catholicisme doit rester religion d’Etat et maintien des distinctions entre les ordres. Le bas-clergé souhaite une amélioration de ses conditions matérielles. La noblesse en gros accepte l’égalité fiscale sous certaines réserves mais veut garder ses prérogatives et signes de distinctions. Elle souhaite rester le premier ordre de l’Etat. La liberté de la presse est demandée.
Le
clergé à la veille de la
Révolution possède 10% du sol français, la dîme lui rapporte
entre cent et cent vingt millions (elle a doublé au cours du 18ème
siècle du fait de la production agricole). Pourtant sa contribution aux
dépenses publiques (appelée « le don gratuit ») diminue d’année en
année et ne représente que le quart des sommes demandées. La noblesse d’épée
s’oppose à la noblesse de robe, celle de cour à celle de province. Personne ne
veut renoncer à ses pensions, à ses privilèges, à son mode de vie, à ses
passe-droits. (Marianne 20ème)
Le 18ème siècle enregistre une
hausse des prix continue, hausse qui s’accélère après 1781, surtout au
printemps (en attendant la récolte prochaine). On voit les prix du grain
prendre 10 à 25 % par rapport aux mois précédents (1741,1776, 1788, 1789). Les
grands propriétaires fonciers, les négociants vont avoir tendance à accélérer
cette hausse en stockant le grain ou en retardant la vente. Le petit peuple
doit tout acheter, et va aspirer à plus de sécurité alimentaire. Des jours
difficiles s’annoncent. Dès le 15 avril 1789 une émeute dans la ville de Sète
(Cette) contre les droits d’équivalent perçus par la province et les droits
d’octrois perçus pour la ville ravage des bureaux et divers bâtiments qui sont
pillés. D’autres excès suivront.
Sources :Adg : archives départementales du Gard – adh :
archives départementales de l’Hérault – acUzès : archives communales
d’Uzès – ac. Vallabrix : archives communales de Vallabrix – Histoire de la France et des Français T6
Castelot/Decaux – Esquisse du mouvement des Prix et des revenus en France au 18ème
E Labrousse – https://francearchives.fr/fr/article/163458854#/?_k=azkzhg---
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