Ruins of the fortress of Fraxinetum in Provence (France), a 10th-c. Andalusi Muslim settlement and raiding outpostpic.twitter.com/PBmpHYvos5)—Ruines de la forteresse de Fraxinetum)
Guillaume le Libérateur
gravure 1655 BNF
Nos manuels d’histoire nous parlent
essentiellement de Charles Martel dans sa lutte contre les Sarrasins. Et
pourtant d’autres ont été tout aussi efficaces.
Nous sommes en juillet 972, dans la nuit du 21 ou
22. L’abbé de Cluny, Mayeul, personnage à l’autorité quasi-papale, s’achemine
sur la route du Sud pour inspecter des monastères italiens. Près du petit
hameau d’Orcières, (au pont du Châtelard ?) au col du
Grand Saint-Bernard, son escorte est attaquée par des Sarrasins. Il est fait
prisonnier et ses geôliers demandent une rançon mirobolante.
Les razzias sarrasines partent en général de la
côte maghrébine de ports anciens byzantins comme Ténès, Mostaganem ou Oran ou
de bases sarrasines crées pour l’occasion mais à l’époque du rapt, les
Sarrasins viennent essentiellement d’Espagne. Alger ne sera fondée qu’après
950. Ils s’attaquent à la Sicile vers 652, puis Sardaigne, Syracuse, Corse….
Narbonne en 719. La lutte intestine entre Berbères et Arabes va calmer le jeu
un temps sur terre et sur mer. Le coup d’arrêt de Poitiers en 732 n’est pas dû
aux seules qualités des armées de Charles Martel. Mais le début du 9ème
siècle marque un tournant : les Sarrasins
deviennent des pirates pillards sanguinaires de plus
en plus audacieux. L’esclavage devient une quasi-industrie. En
813 Nice est touchée, hommes, femmes, enfants sont emmenés en esclavage,
villages et fermes pillés. Les hommes travaillent dans les mines, les jeunes
garçons sont transformés en eunuques qui rapportent jusqu’à quatre fois plus
qu’un non-castré.
Portrait de Mayeul de Cluny sur
l'armoire à reliques de Souvigny XVe siècle
Les Sarrasins s’installent en pays niçois, Tourettes, Eze… ils vont s’y conduire
parfois en suzerains. Ils nous apportent l’exploitation du chêne-liège, de la
résine de pin qui sert à calfater les coques des navires. Des traces nous
indiquent une
présence prolongée et
une exploitation des richesses locales :
canalisations, puits, tours, fortifications, cimetières, fonderies…
Des razzias : 838 Marseille, Arles par le
Rhône en 842. A nouveau Arles en 869 où ils capturent l’archevêque d’Arles
Rotland. en septembre 869 en Camargue. Les Arlésiens ne récupèrent que son
cadavre habillé et mis sur un siège contre une rançon d’armes, d’esclaves, et
autres richesses.
La Camargue est quasiment terre sarrasine,
l’abbaye de Psalmodi rasée, Maguelonne appelée « port-sarrasin ».
Bien plus tard au 13ème siècle on verra l’évêque de Maguelonne
battre monnaie à l’effigie de Mahomet. (Histiore de Bellino ValVaraita(Italie-wikimedia.org)
Les Maures s’installent dans le golfe de St
Tropez, appelé à l’époque Fraxinet (Fraxinetum-actuelle Garde-Freinet). Pas
d’ambition territoriale, simplement le lieu est pratique pour lancer le pillage
de l’arrière-pays. Selon Liutprand de Crémone, un religieux du 10ème
siècle, une vingtaine de Sarrasins s’échouent sur le littoral en 889. Ce sont
des pirates et non des chefs politico-religieux, ils viennent d’Alicante,
probablement un mélange d’Arabes, de Berbères, de Chrétiens convertis ou
non. Les Berbères sont habitués aux
guérilla en montagne. Les razzias commencent à partir du Fraxinet : 896 Apt,
923 Marseille dont le port est bloqué par des navires maures qui interdisent
tout ravitaillement à la ville, Aix en 925, Fréjus en 940 qui subit un massacre
sans nom…. Les Alpes, la Suisse, la Savoie. Depuis 921, les Sarrasins se sont
rendus maîtres de nombreux passages d’importance dans les Alpes Occidentales,
compromettant le commerce. Les populations qui échappent aux tueries ou aux
déportations s’enfuient vers les villes un peu mieux protégées.
(Dom Mayeul, quatrième abbé de
Cluny, à droite, devant l’icône de la reconquête de la Provence (miniature du
XIIIe siècle. dans :Histoire occitane, Comte de Provence,
Personnalité provençale historique, et 10 autres Guillaume le Libérateur )
Des gens réagissent, le comte de Vienne, Hugues d’Arles, l’empereur
byzantin s’inquiète, mais sans résultat. Et puis l’aristocratie provençale
n’est pas claire, n’hésitant pas à s’allier aux Sarrasins lorsque c'est nécessaire
au gré de conflits de voisinage.
Mais l’année 972 va changer la donne. Le rapt de
l’abbé de Cluny va être le détonateur. Les Sarrasins de Fraxinetum en sont les
auteurs. Mais le gibier est bien gros !! L’abbé Mayeul est vénéré par les Provençaux et son rapt
déclenche une véritable furie guerrière contre les Sarrasins. Mayeul est de
Valensole, il en avait cédé tous ses droits seigneuriaux au comte Guillaume de
Provence, ne se réservant que sa maison natale et l’église de Valensole. Mayeul
était le fils d’un des seigneur de la ville.
Les moines doivent verser une rançon de 1000
livres. Pour payer, ils fondent des objets de culte et d’orfèvrerie. C’est le
coup de trop et l’aristocratie provençale se mobilise autour de Guillaume 1er
le Libérateur, qui lève l’ost. Son frère Roubaud 1er de Provence,
Audouin II d’Oriate comte de Turin, les seigneurs de Fos, le comte de Vintimille… Guillaume estime de son devoir de protéger ses sujets. En fait cela fait
deux ans que lui et son frère se préparent à rejeter les Sarrasins à la
mer. Roubaud (Rotbold) en 966 aidé de
Beuvons, gentilhomme de Noyers avait réussi au prix d’une trahison à pénétrer
le bourg de l’Oisans, dans la vallée de la Romanche tenu par des éclaireurs
ennemis. Ils avaient pris le poste et massacré les occupants.
La rançon est versée, mais selon certains
historiens, une embuscade avait été préparée. Une poursuite s’ensuit à travers
le territoire alpin, Roubaud et Beuvon en tête et rassemblant au fur et à
mesure toute une cavalerie. Après des années d’inertie, les Sarrasins ont du
mal à réagir, et les vallées sont nettoyées de leur présence les unes après les
autres. L’évêque de Grenoble prêche la guerre sainte de libération.
Renseignés sur les mouvements des troupes
provençales, les Sarrasins engagent le combat en rase campagne. Cinq premières
batailles ont lieu à Embrun, Gap, Riez, Ampus, Carbasse. Toutes perdues pour
l’ennemi. Les armées sarrasines se regroupent à Tourtour. Une sixième bataille,
la plus importante. Les provençaux écrasent les Sarrasins qui regroupant leurs
dernières forces remontent à la Garde-Freinet et s’y retranchent solidement.
Guillaume donne l’assaut au Fraxinet. Les
seigneurs de Levens, d’Aspremont, de Gilette, de Beuil, de Sospel sont de la
partie. Les Provençaux attaquent les derniers retranchements du Fraxinet,
chassent les Sarrasins et s’emparent de la forteresse. Poursuivis dans la forêt
voisine, les ennemis sont neutralisé, tués, ou faits prisonniers. Les
survivants seront baptisés de force, la forteresse est rasée.
Il est probable que des sarrasins aient fait
souche dans la région et certains vont se convertir au christianisme.
Guillaume 1er le Libérateur se sentant
mourir fit appeler Mayeul à Avignon. Il se confesse et restitue à l’abbaye de
Cluny plusieurs domaines. Il meurt le 29 août 993 sous l’habit monastique dans
les bras de Mayeul de Cluny. Il est inhumé dans l’église de Sainte-Croix de
Sarrians.
Il avait épousé en premières noces Arsinde de Carcassonne, qui lui donna
trois filles, dont Arsinde de Provence qui épousera Guillaume III Taillefer, Comte de
Toulouse.
En secondes noces, il épouse Adélaïde d’Anjou, divorcée du futur
roi Louis V. Prestigieuse alliance qui
lui donne un fils Guillaume II de Provence (vers 981-1018), trois filles dont
Constance d’Arles reine de France avec Robert II vers l’an 1000, et Emmemgarde
d’Arles épouse de Robert1er d’Auvergne.
Cette bataille militaire contre les Sarrasins marque un tournant
important dans l’histoire de la Provence. L’aristocratie locale et les
communautés urbaines et paysannes avaient toujours refusé jusqu’alors le pouvoir comtal et la mutation féodale.
Guillaume de comte devient marquis, obtient la suzeraineté de fait de la
province. Il va pouvoir contrôler le fisc avec le consentement royal. Il va
redistribuer les terres comme Hyères aux seigneurs de Fos. Une féodalité
provençale naît sous sa houlette.
La Provence connait une nouvelle période de prospérité. En sont
les témoins les canaux d’arrosage remis en état, assèchement des marécages,
moulins, paysans nouvellement installés, des terres remises en culture,
pêcheries en Camargue et sur l’étang de Berre…. Marseille se réveille au
commerce international.
Mais les pirates maures ou autres n’abandonnent pas la partie,
hantant la Côte méditerranéenne. En 1020 une flotte d’invasion venue
d’Andalousie tentera d’aborder près de Narbonne. Les graus languedociens verront
encore les bateaux sarrasins glisser sur les eaux. En 1178, Toulon paie encore
le prix fort ; la population est emmenée en esclavage et le coseigneur de
la ville le vicomte de Marseille Hugues Geoffroi est conduit en Espagne, otage
avec des membres de sa famille. Ils ne seront libérés qu’au bout de sept ans. Vers
1052, les Normands débarquent en Sicile, s’entendant souvent bien avec leurs
collègues sarrasins. La piraterie est une industrie qui marche bien :
Turcs contre l’archipel grec, Dalmates contre les côtes de l’Adriatique,
pirates génois, vénitiens,…
On dit qu’une Marseillaise du quartier Saint-Jean, emmenée
esclave en Asie Mineure, devint l’épouse du sultan Mourad. Son fils devenu
sultan à son tour sous le nom de Mahomet II s’en alla en mai 1453 conquérir
Constantinople ville divine pour les chrétiens orientaux !! Ainsi va
l’Histoire !!
Sources : Loup Durand Pirates et Barbaresques en
Méditerranée édit Histoire du Sud Aubanel 1971—wikipédia.org – Philippe
Sénac Musulmans et Sarrasins dans le sud de la
Gaule du VIIIe siècle au XIe siècle, Sycomore, 1980, p. 57--
René
Poupardin– Le Royaume de Provence sous les Carolingiens (855-933?) -
Paris, 1901—Robert Sausse www.bassesalpes.fr/mayeul.htlm---www.histoireeurope.fr/RechercheLocution.php?Locutions=Guillaume+Ier+le+lib%E9rateur
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.