La Sétoise qui devint Bégum
(Yvette Labrousse en 1930)
Yvette Blanche Labrousse est née à Sète
le 15 février 1906 dans le département de l’Hérault au pied du mont
Saint-Clair. Elle voit le jour dans l’appartement de ses parents à 4h du matin.
Elle quittera ce monde à Vevey-Genève à 94 ans
le 1er juillet 2000. Mais avant, quelle vie ! Un conte de fée
avec pour point d’orgues un mariage d’amour en 1944 avec l’homme le plus riche
du monde, la bergère qui rencontre son prince charmant !!.
Son père est charentais d’origine.
Comment est-il arrivé à Sète ? Peut-être pour son travail ?
Déjà son père avait réalisé son
rêve : Adrien Labrousse est chauffeur de tramway depuis 1901 dans la ville
de Sète. Ce mode de transport électrique est relativement récent. Adrien a
accédé à un monde moderne, entre le chic
du théâtre, de la corniche où déambulent le beau-monde et les marins, les
commerçants.
Son épouse, Marie Brouet, une couturière
qui confectionne et retouche les vêtements des élégantes de « la ville singulière ».
Elle est protestante et peut-être lyonnaise. Elle travaille chez elle grâce à
une machine à coudre la plus perfectionnée achetée à la mercerie Bouille. Très
rapidement elle a un grand succès auprès de la bourgeoisie locale. Un couple
dynamique, ambitieux…qui habite 25 Grand Rue à Sète (Cette, ancienne
orthographe).
En 1907 la famille s’installe à Cannes,
rue d’Antibes, où Adrien est nommé contrôleur des omnibus. En 1933 la compagnie
pour laquelle il travaille dépose le bilan. Au Cannet Adrien deviendra un
moment conseiller municipal et doyen des anciens combattants de cette commune. Il
sera inhumé en 1969 aux côtés de son épouse, décédée en 1959 au cimetière du
Claus, au Cannet.
Puis la famille s’installe en 1908 à Lyon, Marie Labrousse souhaite travailler dans
la haute couture. La famille habite Oullins rue de la Gare près de Lyon. Son
atelier va connaitre là aussi le succès. Yvette y apprend le métier. Elle est
douée, mais timide, effacée comme souvent les personnes qui ne savent pas quoi
faire de leur taille trop haute : elle dépasse les 1mètre 80 à 20
ans ! Ce qui est beaucoup pour une femme de cette époque. Son entourage la
pousse à se présenter à l’élection de Miss Lyon. Elle l’emporte en 1929 à l’âge
de 23 ans. La même année elle est élue Première Dauphine de Miss France mais sa
taille de 1,83m lui fait perdre le titre. L’année suivante elle est élue Miss France, rate de peu le titre de Miss Monde à Rio de Janeiro. Elle va représenter notre pays de par le monde.
La presse « people » de
l’époque polémique : elle est originaire de Sète ou de Cannes ? La
première ville ne parait pas digne de cette beauté, Cannes est plus mondaine,
plus représentative d’un monde de la mode… Alors les journaux de notre
Occitanie répondent en publiant son acte de naissance. Il est vrai qu’Yvette
était un bébé lorsqu’elle arrive à Cannes. Et puis cette Miss était une pub
pour une ville qui en attendait des retombées économiques.
(le Midi Illustré n°169
du 15/2/1930---Le Petit Méridional du 11/1930—La Gazette de Bayonne du
16/1/1930….)
Les toutes premières élections des Miss
ne se faisaient pas comme maintenant, la télévision n’existait pas encore. Les
clients des cinémas recevaient un bulletin de vote avec leur billet d’entrée et
votaient pour une des beautés présentées à l’écran. Ce concours n’était pas
ouvert aux métisses ni aux femmes issues des territoires d’Outre-Mer : il
fallait élire « la plus belle femme de France, le type instinctif d’une
nation » et la peau blanche était exigée !!. Les Miss une fois élues étaient
déjà promenées à travers l’Europe et le Moyen-Orient pour participer « au
rayonnement français en exhibant la grâce féminine française ».
En 1937 son père et sa mère « de Cannes »,
(Le Petit Dauphinois du 1937/10/04) ont un accident de voiture.
Mais leur fille a d’autres occupations.
Elle défile pour les grands noms de la mode, rencontre des personnages de la
Haute Société, voyage…. Elle tombe amoureuse de l’Egypte, son exotisme, sa
lumière, son passé. Elle habite au Caire quand son travail le lui permet. Elle
fréquente les notables de la ville, Egyptiens ou non. Peintres et photographes
sont fascinés par sa haute taille, sa beauté, ses airs aristocratiques…. A
cette époque il ne fallait pas être très maigre pour représenter le bon goût
vestimentaire. Yvette avait juste ce qu’il fallait de rondeurs. Les soupirants
sont nombreux, en vain. Elle attendait celui qui fera battre son cœur, le seul.
(1955)
En 1938, elle rencontre lors d’une soirée de
gala en Egypte l’Imam Sultan Mohamed Shah, l’Aga Khan III (1877-1957). Ils se
sont trouvés. Elle a 32 ans. Lui beaucoup plus. Mais l’amour ne se commande
pas ! Il est le descendant direct du prophète Ismaël, le 48ème
chef spirituel des Ismaéliens. Souverain sans état, sur une communauté
musulmane dispersée à travers le monde. Dieu vivant, prince mystérieux, un
homme puissant, très riche. On le surnomme l’ »Imam aux 700 000
carats de diamants ».
Il divorce
de sa troisième épouse en 1943, et le 9 octobre 1944 il épouse Yvette à Vevey-Genève.
Elle a 38 ans, lui 67 ans. Yvette s’est
convertie à l’Islam et s’appelle désormais « Om Habibeh Begum Aga
Khan » c’est-à-dire l’épouse de… Bégum est un titre donné autrefois à
l’épouse favorite du sultan, une sorte de reine. Le terme emprunté ici au
persan et in fine au turc signifie « princesse ».
Elle
fait le pèlerinage à la Mecque en 1955. Ils vivent une partie de l’année sur
les hauteurs du Cannet dans une grande propriété, la villa Yakimour
(contraction de Yvette, Aga Khan et Amour). L’hiver le couple s’installe en
Egypte dans leur villa d’Assouan « Noor-e-Salam » au bord du Nil et
de ses cataractes
L’Aga
Khan III est à l’automne de sa vie. Depuis l’âge de 8 ans il est imam des
Ismaéliens de la secte chiite. Un premier voyage en Europe en 1998. Dans son
jeune âge il côtoie la reine Victoria et l’Empereur François-Joseph, et tous
les Grands de l’époque. Londres l’accueille comme un chef d’Etat en 1919. Il
est membre de la Société des Nations à partir de 1934, président en 1937,
rencontre Hitler à Berlin pour le dissuader de s’engager dans une guerre qui
menace l’Europe…. Chef spirituel et homme politique, il est aussi un grand
mondain. . Lorsqu’ils sont à Paris ils
sont un pilier de la vie mondaine. On les voit sur les hippodromes de
Longchamp, Chantilly, leurs chevaux courent régulièrement contre ceux de la
reine d’Angleterre !.
Déjà avant
son mariage l4Aga Khan fait partie de la jet-set de l’époque, ce que l’on
appelait la « café society ». Il est passionné par les
chevaux et les courses ; il recevra d’ailleurs à Ascot l’insigne de membre
de la maison royale britannique, insigne qui sera renouvelé successivement par
les rois et reine de Grande-Bretagne.
(Yvette avec ses parents au Cannet juin 1963-- philippe-dumas.pagesperso-orange.fr/actua.htm)
L’Aga Khan n’est pas beau, myope depuis
son enfance, mais il a un charme fou. Il a travaillé dur pour être à la hauteur
de sa destinée. Il veille sur 80 millions de fidèles de par le monde. Il va au-devant
d’eux sept mois par an. L’apercevoir pour les croyants est un passeport pour le
paradis d’Allah. Il reçoit régulièrement son poids en or et en pierres
précieuses de la part de ses disciples.
Pour son jubilé de diamant l’Aga Khan et
son épouse se rendent à Bombay en 1946 avec plus de six tonnes de bagages.
Yvette, la nouvelle Bégum y apparait vêtue d’un sari somptueux brodé de plus de
trois cents diamants. Dans le stade de Bradorne à la place des équipes
habituelles de cricket, les fidèles offrent à leur chef spirituel son poids en or,
argent et diamants : le quarante-huitième imam pèse plus de cent
kilos !!
Nairobi,
Madagascar, Dar-es-Salam, l’Afrique, le Pakistan,…le monde découvre la nouvelle
Bégum. Elle fascine par ses tenues, ses bijoux, sa beauté, mais aussi sa gentillesse.
Le Duc d’Edinbourg nous dit « c’est la plus belle dame que j’aie
rencontrée et pas seulement parce qu’elle mesure 20 cm de plus que tout le
monde !! ». Les familiers du couple disent d’elle qu’elle aura été la
plus grande réussite de la vie de l’Aga Khan. Les mauvaises langues se moquent
de sa taille comme Louise de Vilmorin qui dit
d’Yvette : »elle est très bien comme point de repère sur un
champ de courses ». On ne peut pas plaire à tout le monde….
Le couple
côtoie des artistes comme Charlie Chaplin, Yves Montand et Simone Signoret, des
personnalités comme François Mitterrand ou le Shah d’Iran, Jean Cocteau…..
La Bégum peint, sculpte, photographie
ses proches. Dans les années 50 et 60 elle figure un nombre incalculable de
fois sur la couverture des grands magasins, icône de la mode, donnant ses conseils. Elle prend le titre de « Mata
Salamat » (mère de paix), et devient ainsi la troisième Bégum à porter ce
titre en quatorze siècles d’histoire. Elle s’entend plutôt bien avec les
enfants de son mari.
L’Aga Khan
écrira dans ses mémoires à propos de Yaki (Yvette) : « Par la grâce
de Dieu, j’ai eu le privilège d’avoir une femme qui comprenne pleinement mes
joies et mes peines, morales et spirituelles. Notre mariage eut lieu à un
moment de ma vie où j’avais le plus grand besoin de sympathie et de
compréhension…. ». Yvette avait un grand cœur sans préjugés ; peu
importe la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, pauvres ou non, sa
générosité était sans faille.
Même si
Yaki a « su prolongé sa vie de dix ans », il quitte ce monde en juillet
1957 dans sa villa Barakat, sur les bords du lac Léman. Il avait 80 ans. Dans
son testament il désigne son successeur son petit-fils Karim. Il demande à la Bégum de guider les premiers
pas du nouveau chef spirituel pendant sept ans, ce qu’elle fera avec humilité
et discrétion.
Yvette
comme il le souhaitait fait construire un mausolée en Egypte à Assouan. Pour
l’Aga khan, l’Egypte était le drapeau de l’Islam. Il avait choisi le lieu trois
ans avant sa mort, sur une petite hauteur. Au pied de la colline leur villa. Il avait laissé le soin à son
épouse de choisir le style et les matériaux du monument : ce sera du
marbre de Carrare, le grès et le granit d’Assouan. Ce sera un temps le monument
le plus visité d’Assouan, jusqu’à 3000 personnes par jour. A tel point qu’il
faudra organiser les visites : horaires, barrières, escaliers, un chemin
et des employés pour l’entretien de site !
Tous les ans elle déposait une rose rouge sur
le mausolée. Veuve à 51 ans elle ne songea pas à refaire sa vie. Elle va
continuer ses œuvres de charité en Egypte, école, dispensaires, ordinateurs,
climatiseurs… Elle reviendra plusieurs fois à Sète où elle aimait se rendre
dans le quartier de son enfance.
Elle
rejoindra son époux dans le mausolée d’Assouan en 2000 à 94 ans.
Ce 3 août
la Bégum et son époux doivent se rendre à Deauville. Ils quittent leur villa
Yakimour vers midi pour Nice où les attend leur avion privé. Yvette a rangé ses
bijoux dans sa pochette de cuir rouge qu’elle n’oublie jamais lors de ses
déplacements. La Cadillac emmène le couple et la femme de chambre de la Bégum.
Mais au milieu de la route un cycliste en panne de chaîne de vélo les oblige à
attendre un moment. Quand le cycliste remonte sur sa bécane, une Citroën
Traction surgit sur la gauche et obstrue la route. Trois hommes se précipitent
armés d’une mitraillette et de pistolets. « Soyez braves, donnez tout, on
ne vous fera pas de mal »… 20 000 francs du portefeuille de l’Aga
Khan, 42 000 francs et ses bijoux personnels de la part de la femme de
chambre et le sac de cuir rouge caché entre les jambes de la Bégum, 200
millions de bijoux dont le fameux « Marquise » de 22 carats et
250 000 francs en billets de banque !! Les trois hommes s’engouffrent
dans la Traction non sans avoir crevé les pneus de la Cadillac et disparaissent
… Tout le monde est sonné mais vivant. Le braquage audacieux a duré moins de
cinq minutes. Pour un peu près six millions d’euros de bijoux !!
Le grand
Hergé se serait inspiré de cette histoire pour écrire « Les Bijoux de la
Castafiore ». Auteurs de romans, livres policiers, BD, vont se servir de
ce fait-divers avec succès.
Les Lloyd’s
assureurs des bijoux proposent une énorme récompense pour récupérer le
butin ; la police fait jouer ses indics ; des avocats jouent les
intermédiaires… Une partie de bijoux sera rendue mystérieusement six mois plus
tard, le 29 janvier 1950 posés dans la cour de l’hôtel de police du commissaire
Truchi. Avec la mention : « A ouvrir en présence de M Sacotte juge
d’instruction ».
Tous s’agitent, entre compromis et
marchandage. Les liens d’amitié ou de complaisance tissés pendant l’occupation
ou la Résistance entre voyous et flics sont encore là et pèsent sur le
comportement des uns et des autres. L’omerta du « milieu » laisse des
cadavres en chemin. Les instructions policière et judiciaire sont longues,
piétinent. Le Directeur de la police judiciaire à la Sûreté nationale Georges
Valentin prend la tête des opérations. Jusqu’au jour où Jean-Thomas Guidicelli,
truand et informateur sur la Côte d’Azur donne à la police de Marseille les
noms de Ruberti dit Mémé et de Sanna dit Choï. Déjà l’enquête avait trouvé
grâce à un numéro de batterie sur la Traction l’acheteur de cette batterie
Roger Sennanedj dit Gros Roger, réfugié à Genève et éliminé probablement par
les membres du braquage. Un autre nom apparait Paul Leca un caïd de la pègre
marseillaise. Un ami Charles Vincéleoni l’avait renseigné grâce à l’amant de la
femme de chambre. Le cycliste était Ruberti, les trois braqueurs Sanna,
Nennedetti et Paul Mondoloni. Le chauffeur de la Traction était feu Sennanedj.
La
Cour d’Assises d’Aix-en-Provence sera en charge du procès. Paul Leca a pris la
fuite probablement à New-U-York, Mondoloni en liberté provisoire après avoir
versé sa caution s’est enfui à Cuba… Restent les lampistes : Sanna est
condamné à dix ans de prison, Benedetti à huit ans, Ruberti à six ans,
Vincéléoni acquitté. Leca et Mondoloni
sont condamnés par contumace aux travaux forcés à perpétuité. Leca revient en
France en août 1960, se constitue prisonnier et est jugé en novembre 1961.
Circonstances atténuantes et deux ans de prison, une amende de 91 millions de
francs. Il prend une retraite paisible dans sa propriété de Sainte-Marguerite
et meurt dans son lit en février 1966. D’après la presse, il se serait marié le
jour même du braquage.
Il est
vraisemblable que l’Histoire se souviendra de la petite Sétoise grâce à Paul
Leca, bien plus que pour sa vie de conte de fée.
Mata Salamat et son père avant
1969–wordpresse.com
Sources : Hubert Delobette Femmes d’Exception
enLanguedoc-Roussillon édit Le Papullon
Rouge Isbn978-2-917875-13-1--- Paul
René Di Nitto De Cette à Sète édit
Espace éditions 1997 --- lagglorieuse.info/article_l-incroyable-destin-de-la-belle-s-toise-yvette-labrousse.html--Cyrille
Boulay Histoires d’amours royalesédit Le
pré aux Clercs 2002 --- wordpresse.com--- Flickr.com---matasalamat.wordpress.com/tag/adrien-labrousse/--- photos philippedumas.pagespersoorange.fr/actua.htm-- photos ismaili.net-- photo wikipedia.org--photos skyrock-----(le Midi Illustré n°169 du 15/2/1930---Le Petit Méridional du 11/1930—La
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d’Azur édit Le Papillon Rouge 2010--- Jérôme
Pierrat, Une histoire du milieu : grand banditisme et haute pègre en
France de 1850 à nos jours, Éditions Denoël, 2006 (ISBN 978-2207253687).--Jean-Pax
Mefret, le vol des bijoux de la Bégum, Pygmalion, Paris, 2010 (ISBN 2756402478).--
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