mercredi 13 novembre 2019

Les 17 lapins de Mary Tofts


Les 17 lapins de Mary Tofts ou la déconfiture de la médecine :


John Howard était un chirurgien anglais, « d’une probité et d’une capacité professionnelle bien connues », d’une grande renommée. Il exerce la spécialité obstétrique depuis une trentaine d’années lorsqu’il accoucha en 1726 Mary Tofts (Toft). Cette patiente fit croire à plusieurs médecins qu’elle donna naissance à des lapins !!
Mary est née à Denyer vers 1701-1703 ; elle habite Godalming près de Guildford dans le Surrey. Elle et son époux, ouvrier en vêtements, sont illettrés.
(gravure --John Laguerre 1726)
Le roi Georges 1er règne sur la belle Albion.
La cour d’Angleterre est informée en septembre 1726 de l’accouchement de Mary Tofts qui donne naissance à plusieurs lapins. Elle avait fait une fausse couche un mois plus tôt en août et pourtant elle était semble-t-il toujours enceinte. Le 27 septembre elle donne naissance à quelque chose qui ressemble à un chat sans foie. Sa voisine Mary Gill et sa belle-mère Ann Toft assistent l’accouchée. La famille fait appel alors à John Howard le médecin de Guildford. Le lendemain et les jours suivants, Howard aide à délivrer la patiente de parties d’animaux, une tête de lapin, des pattes de chat, et en un seul jour neuf bébés lapins morts.
Howard informa du miracle plusieurs grands médecins et scientifiques d’Angleterre ainsi que le secrétaire du roi. Le monarque un peu septique et très curieux envoya pour enquêter deux hommes, son chirurgien-anatomiste suisse Nathaniel St André et Samuel Molyneux secrétaire du prince de Galles. La nouvelle de ce miracle se répandit dans le pays et surtout à Londres ; Mary fut déplacée à Guildford à proximité de John Howard pour que ce dernier la surveille de plus près. Le 15 novembre on leur annonça la naissance d’un quinzième lapin !! En leur présence, Mary met au monde plusieurs autres lapins morts.

Le roi décida de faire approfondir les recherches et envoya chez Howard, un chirurgien allemand Cyriacus Ahlers, et son ami M Brand. Ils sont témoins de nouvelles naissances de lapins ; mais ils ne sont pas convaincus. Mary n’avait pas de lait dans les seins, elle se tenait les genoux et cuisses serrés comme si elle craignait de laisser tomber quelque chose. Ahlers s’occupe de la naissance d’un demi-lapin : « A l’examen je trouvai une masse de chair avec quelques os… C’était la partie postérieure d’un lapin que je tirai et fis sortir sans aucune difficulté. C’est à ce moment que je conçus des soupçons mais je résolus de ne rien laisser paraître… ».
Mais Ahlers découvre dans le rectum de l’un des lapins des granules de bouse contenant du maïs, du foin et de la paille. Par ailleurs, il observa que la troisième vertèbre et les pattes avaient été sectionnées avec un ustensile tranchant. Donc ce lapin n’avait pas pu se développer à l’intérieur de Mary. Le 21 novembre il fait part de ses soupçons au roi : il y a canular… Howard qui ne se doute de rien, espère même une pension royale pour Mary et lui.
Mais quelles explications donner et comment sauver la réputation de Howard et Saint André ? Ils contactèrent Sir Richard Manningham, médecin et sage-femme de la classe supérieure londonienne, accompagné du chirurgien allemand Rimborch : il observa et examina Mary, qui mit au monde ce qu’il crut être une vessie de porc. Il ne fut pas du tout convaincu. Mais il accepta de se taire jusqu’à ce qu’il y ait des preuves de fraude.
La presse au niveau national s’empare de l’histoire. L’intérêt pour les monstruosités et surtout ce qu’elles pouvaient rapporter d’argent étaient courants dans l’Europe du 18ème siècle. Les sarcasmes pleuvent sur Howard et St André qui protestent. L’opinion publique prend parti pour ou contre les lapins. …
Le docteur Manningham  le 29 novembre fait transporter Mary dans un établissement de bains londonien à Leicester Fields. Elle présente aussi une grave infection et elle perd connaissance par moment. D’autres médecins sont invités à l’examiner. En particulier appelé par le docteur Saint-André qui espérait valider sa théorie, le docteur James Douglas qui conclut à une fraude.
Le 2 décembre elle prétend ressentir les douleurs annonciatrices d’un accouchement. Dans la soirée le portier de l’établissement raconte à son directeur que Margaret Toft la belle-sœur de Mary lui a demandé d’aller chercher un lapin, le plus petit possible.  Le 4 elle entre en travail mais rien ne se produit. Le juge Clarges est appelé, le portier fait sa déposition et Mary est mise en garde à vue. Elle refuse d’avouer dans un premier temps, mais devant la menace d’une opération expérimentale pour voir si elle est formée différemment des autres femmes, elle passe aux aveux le 6-7 décembre. Elle admet avoir inséré manuellement des lapins morts dans son vagin et les retirait comme si elle accouchait…
Sa voisine lui avait expliqué comment « tirer de grandes ressources » d’accouchements bizarres. La voisine devait toucher un quart des bénéfices. Elle avait participé aux premières introductions de lapins, puis Mary s’était débrouillé toute seule, la voisine s’occupant de l’approvisionnement en lapins.
Le temps est venu des explications. Crédulité, escroquerie, besoin de sensationnel, comment définir cet épisode ?


Cunicularii or the wise men of Godliman in consultation: illustration by William Hogarth, 1726 (in Hunterian Aa.7.20)Cunicularii ou les sages de Godliman en consultation: illustration de William Hogarth, 1726 (dans Hunterian Aa.7.20)
The case also proved to be irresistible to contemporary artists..
Many Britons were angry about the Hanoverian King's preference for German- speaking courtiers and physicians..
Mary expliqua que travaillant aux champs, elle avait été surprise par un lapin. Elle n’avait pas pu le rattraper. « Cette nuit-là elle rêvait qu’elle était dans un champ avec deux lapins sur les genoux et qu’elle se réveillait avec une crise de forme qui durait jusqu’au matin ; à partir de ce moment-là pendant plus de trois mois, elle eut un désir constant et fort de manger des lapins, mais être très pauvre et indigent ne pourrait en procurer aucun… ».
Le docteur Saint André le 3 décembre 1726 publie son récit de l’affaire « Un bref Récit d’une Remise extraordinaire de Lapins ». Il fait rire ses confrères dont le docteur James Douglas anatomiste et sage-femme qui lit le brouillon de ce livre et déclare « rien qu’un recueil d’impossibilités ».
Une théorie médicale de l’époque, « l’impression maternelle » expliquait les anomalies congénitales ou les troubles congénitaux des fœtus. Un stimulus émotionnel pouvait influencer le développement du bébé dans le ventre de la mère. Le débat sur l’influence prénatale de l’imagination sur la femme enceinte va se prolonger au cours des décennies, on en retrouve un exemple de cette théorie chez Joseph Merrick au 19ème siècle qui expliquerait le soi-disant « homme éléphant ». Selon cette théorie, Mary et ses rêves de lapin ont fabriqué des bébés-lapins !! Merrick nous dit :«La difformité que je suis en train d'exposer a été causée par l'effroi d'un éléphant pour ma mère; ma mère marchait dans la rue quand une procession d’Animaux passait, c’était un terrible béguin pour les voir et malheureusement elle a été poussée sous les pieds de l’éléphant, ce qui l’a beaucoup effrayée; cela s'est produit pendant une période de grossesse a été la cause de ma difformité »..
Nous voyons à quel point la maternité est encore un mystère médical !!
L’enquête sur les lapins de Mary ne put faire la preuve de la complicité du docteur Howard. Saint-André reconnut publiquement s’être fait dupé : le 9 décembre le Daily Journal publiait une déclaration du docteur, honteux et repentant. Il ne parut plus à la Cour et refusa ses appointements d’anatomiste du roi. Il perdit les faveurs du tribunal, ses patients l’abandonnèrent. Finalement il est mort dans la pauvreté dans un hospice à Southampton. Plusieurs carrières de chirurgiens seront ruinées par cette affaire.
Le 9 décembre Mary est accusée de « tricheur notoire et infâme ». Elle est emprisonnée à la prison de Bridewell où parait-il ses gardiens l’exposent à une foule curieuse. Mary sera emprisonnée 46 jours et retourna chez elle ; mais jusqu’à sa mort en 1763 elle connut une certaine notoriété. Lors de ses dîners, le duc de Richmond qui avait une résidence près de Godalming la montrait à ses invités. 
Elle sera encore inculpée en avril 1740 pour vol et incarcérée à la House of Correction de Guildford, puis acquittée par le jury. 
Lorsqu’elle meurt, elle a droit aux colonnes nécrologiques des journaux londoniens à côté des pairs et homme d’Etat !! Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous interroger sur la vie de cette femme, pourquoi cette dérive, un besoin d’argent, de notoriété, de mise en lumière ? Un manque d’instruction, mais les médecins crédules pourtant cultivés sont tombés dans le panneau !!. Une fragilité qui devait profiter à d’autres….
 (Docteur Saint André, Docteur Lapin)
Les artistes comme William Hogarth se moquèrent de l’incompétence des médecins qui dans les pamphlets apparaissaient comme ignorants et crédules. Dessins, gazettes, feuilles volantes, se gaussaient de la profession. Par ailleurs beaucoup de Britanniques n’appréciaient pas la préférence du roi pour des courtisans et médecins germanophones qui étaient ridiculisés et dépeints comme des charlatans. Le monde médical dans cette affaire avait montré un manque de jugeote, même un obscurantisme flagrant.

Sources : Bibliothèque universitaire de Glasgow –collections spéciales août 2009 --- Romi « Les 17 lapins de Mary Tofts in Historia mai 1982 p85 -- Hogarth's Credulity, Superstition, and Fanaticism, published in 1762, ridiculed secular and religious credulity.—docseven.fr/culture/mary-toft-pondeuse-de-lapins --- atlasobscura.com/articules/mary-toft-gave-birth-to-rabbits—photos wikipedia.org – pubmedcentral.nih.gov/picrender.fcgi -- 




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