mardi 24 mai 2022

Apothicaire au 15ème siècle

 

La boutique d'un apothicaire au XIVe siècle, miniature extraite du Tacuinum sanitatis

Les apothicaires du XVe siècle

L’Histoire est un train en marche vers l’avenir ; il ne sert à rien d’essayer de faire machine-arrière. L’étude du passé est avant tout là pour nous aider à construire le présent et le futur, en profitant de l’expérience des anciens. 

L’évolution des statuts des personnes est un des signes de ce processus, ce mouvement, ce glissement de la société vers le futur. Décider qu’un pays, un peuple appartiennent à tel autre au nom d’une période de son histoire est illusoire. Un exemple actuel, les Balkans avant de faire partie de l’empire russe ont été austro-hongrois, turcs, celtes, goths, tatars, mongoles, romains, et autres….. La Savoie, le Bugey, n’ont pas toujours été français ; et nous nous sommes battus pendant trois règnes pour Milan. Les Flandres ont été d'une certaine façon espagnoles sous le règne de Charles Quint.... Ne prendre en compte que la période historique qui nous arrange est fourberie !!

Un exemple de cette évolution des strates de la société au 15ème siècle : les apothicaires.

La Guerre de Cent Ans est terminée en cette période de 1440-1451. Les Français doivent se reconstruire. L’ancienne noblesse féodale est sur le déclin. La bourgeoisie en particulier marchande se relève et ambitionne une autre vie, d’autres structures économiques et politiques. Les rapports sociaux découlant de la stricte féodalité ne sont plus adaptés aux envies des uns et des autres. La royauté cherche à s’appuyer sur une classe sociale montante. Il faut relancer l’économie du pays. Epices, sucre d’Ethiopie ou de Babylone, réglisse, dattes… La Damoiselle de Beauté, Agnès Sorel, lance des modes vestimentaires….

La ville de Montpellier au 15ème siècle commerce avec le Levant, Rhodes, Alexandrie, mais aussi l’Afrique comme l’Ethiopie. Jacques Cœur fait de cette ville un centre d’affaire incontournable grâce au port d’Aigues-Mortes. La ville de Lodève va profiter de ce dynamisme et nous allons y voir des fortunes se faire chez les « apothecarius » et parfois les conduire jusqu’à l’anoblissement.

Les mots « apothecarius » ou apothicaire, speciatores ou épiciers, mercatores ou marchands s’appliquaient à tous les vendeurs d’épices. On trouvait chez eux un peu de tout : épices, mais aussi papier, arsenic, cire, sucre miel, encre, perles, broderies venues d’ailleurs, des onguents pour les médecins et chirurgiens… On faisait appel à leurs connaissances en substances aromatiques et drogues pour apprêter les corps des notables décédés pour que les veillées mortuaires et leurs enterrements ne soient pas incommodés par les mauvaises odeurs. Plus tard la vente de poudre de tabac leur sera réservée. Mais par-dessus tout, l'apothicaire fournissait l'encens ainsi que les torches de cire, les flambeaux et les cierges nécessaires à la liturgie et à l'éclairage de la cathédrale lors des grands événements monarchiques et religieux (fêtes, naissances royales, réceptions princières etc...). Ce qui créait une proximité très forte avec le clergé.

.Un apothecarius François d'Aygueblanche, (Aguablanca) établi à Lodève depuis 1427, possédait trois boutiques, une à la rue du Saint-Esprit (actuelle rue des Jacobins), et les deux autres à la place des Tables, non loin de l'église Saint-Pierre (aujourd'hui Halle Dardé). On y trouvait tous les produits en provenance de Montpellier : le sucre cafétin, mais aussi celui de Babylone; des épices confites (dragées de réglisse et de coriandre, dattes); des épices de cuisine (anis, fenouil, cannelle, gingembre, poivre, girofle, safran etc...); du coton filé pour faire les chandelles; des éponges; de la toile cirée pour les fenêtres (les vitraux étaient rares); de l'encre; du santal rouge pour la confection des sirops; de l'eau de rose de Damas; des figues de Nîmes très réputées; des grenades, de l'aloès, de la cardamone du cubèbes (plante de la famille du poivrier et dont on tirait une huile contre la bronchite), etc....

François d’Aygueblanche avait toute la confiance de l’évêque Michel Leboeuf pour fournir une grande partie de sa maison. Ce religieux  (1384-1429) venait d’Ile-de-France, ancien chanoine de Langres, Nevers, Rodez, archidiacre de Tournai, secrétaire des ducs d’Orléans et de Berry, membre de la cour du roi Charles VI. Il relance en 1413 le chantier de la cathédrale de Lodève. Un homme qui compte dans la société. En 1427 il marie sa nièce Hélips fille de son frère Pierre licencié en médecine, avec François d’Aygueblanche. Le contrat de mariage unit commercialement le médecin et l’apothicaire dont les activités sont complémentaires.

En 1444 notre pharmacien est très riche : il possède au moins six immeubles, deux jardins, un verger, deux olivettes, six vignes, trois bois, un pré et un moulin drapier. Il va acquérir aussi de nombreux droits et usages seigneuriaux à Lodève et à Saint-Etienne-de-Gourgas (Aubaygues). Il sera aussi plusieurs années de suite membre du consulat de la ville.

La même année il marie sa fille Bérengère avec un autre apothicaire Guiraud de la Treilhe, neveu de l’évêque Pierre de la Treilhe successeur de Michel Leboeuf. De ce mariage naitra une société de commerce prospère qui perdurera jusqu’à la mort de François d’Aygueblanche vers 1475-1480. Mais en 1463 il est anobli sous le patronage du nouvel évêque Jean de Corguillerait (1462-1489). Un blason sculpté (remploi) dans le mur du cloître de la cathédrale de Lodève pourrait être celui des Aygueblanche, suprême honneur ….

Le gendre Guiraud de la Treilhe est fils d’un marchand de Brive-la-Gaillarde diocèse de Tulle. Il suit  son oncle à Lodève lors de sa nomination. Il est déjà apothicaire en 1444 lors de son mariage. Son épouse s’enrichit, achat de lods, de moulins… Elle hérite de son père. Guiraud achète en septembre 1463 la co-seigneurie de Fozières à Astolphe de Rocozels. Il est plusieurs fois membre du conseil de ville et même premier consul en 1471 et 1493. Lui aussi est anobli. Il décède en pleine ascension sociale de la grippe lors de l’épidémie de 1505. Avec Bérengère il a deux fils. Il aura des descendants prestigieux, comme le cardinal de Fleury précepteur de Louis XV et ministre.

On voit ici à quel point la famille contribue à l’ascension sociale, à l’affirmation sociale, par les mariages, alliances et voisinage avec le clergé de haut rang. Nombreuses familles de commerçants se hisseront jusqu’à la noblesse en cette période où cette dernière est en grande faiblesse. Ces commerçants très vite investissent dans des domaines et châteaux et incarneront une nouvelle classe noble plus tournée vers le profit et moins tournée vers la chevalerie. Drapiers, bouchers, médecins, pharmaciens, marchands de mules et chevaux…et bien d’autres sauteront le pas. Notre seigneur Mathieu de Bargeton et ses alliés seront de ceux-là.

Leurs filles pouvaient même devenir reines : ce sera le cas de Catherine de Médicis, descendante de médecins-apothicaires, négociants de grande envergure puis banquiers.

En France, le mot « pharmacien » apparait après bien des vicissitudes, à la suite d’un décret de 1777 sous le roi Louis XVI avec l’exclusivité de la préparation des remèdes, réservée aux membres du Collège royal de pharmacie. La pharmacie est reconnue ainsi comme une branche de la médecine, nécessitant des études et un savoir. Il faudra la loi du 11 avril 1803 pour interdire aux épiciers-droguistes la vente de remèdes. La révolution industrielle du 19ème siècle va faire disparaitre peu à peu le nom d’apothicaire et ses préparations d’officine au profit de l’industrie chimique fabriquant des médicaments.

 

Sources et pour en savoir plus : fmoreau.recit.free.fr/index.php?ref=MFI3026 Francis Moreau 2015--- wikipedia.org—Chassin du Guerny  Inventaire du notariat de Lodève, 2E39/24 Gay, notaire et 2E39/47,et suite Coussergues, notaire, acte du 20.01.1458. -- Archives Départementales de l'Hérault 2E39/10 Pasturel, notaire,-- Olivier Lafont, Apothicaires & pharmaciens : L'histoire d'une conquête scientifique [archive], éd. John Libbey Eurotext, 2021-- Martin Ernest : Histoire de la ville de Lodève, Montpellier, 1900, tome II page 8. ADH 2E39/76, Fraxino, notaire, reconnaissance du 9.10.1470 à "probe homme Guiraud de la Treilhe coseigneur dudit lieu de Fozières". A cette date Guiraud n'est pas encore "noble".--

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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