lundi 13 mars 2017

La Carrière de Vallabrix -Evolution Industrielle de l'Uzège


La Carrière- Evolution industrielle de l’Uzège :


(La carrière - Photo archives personnelles 15/11/2009 –)

En arrivant à Vallabrix on aperçoit encore aujourd’hui une carrière de sable sur Le Brugas. Mais jusqu’au début du 20ème siècle, nous avions deux carrières. L’une à l’emplacement du quartier le Grand Planas, secteur de la Madone, une carrière de moellons à bâtir (pierres grises, blanches de dimensions diverses) (en venant d’Uzès à gauche à l’entrée du village) et l’autre sur le Brugas, pierres rouges à brun foncé, quartz aux couleurs sanguines et maintenant sable (sur la droite du village).
La première a servi dans la majorité des constructions du village, remparts et château aussi. (Seules les pierres rectangulaires viennent des carrières de St Quentin ou de Vers). Peut-être aussi à la construction de caves coopératives des environs au début du 20ème siècle. Avec certitude en 1912-1914 lors de la construction de l’adduction d’eau de Vallabrix (Couradou Le Centenaire de l’Adduction d’eau p35). La carrière s’appelait alors « La Vierge » du nom du quartier de la Vierge. Du haut de cette carrière, les villageois tiraient des fusées pour faire partir les nuages annonciateurs de grêle.

La seconde carrière sur le Brugas :
Le Brugas est exploité depuis longtemps, filons d’ocre pour les Romains, mine de fer observée par Thomas Platter en 1596, phosphates au 19ème siècle, argiles réfractaires…. Pour bien comprendre l’évolution actuelle de notre carrière, il nous faut nous replonger dans le passé de l’Uzège.

L’industrie de la soie et du drap dans notre région avait fait progresser celle de la métallurgie et de la chimie (métiers à tisser et teinture, traitements….).  L’industrie du vin, avec des hauts et des bas, va encourager la construction des chemins de fer (1839-1857), et développer tous les métiers annexes. Avant la Révolution de 1789, nos vins de médiocre qualité supportaient mal le transport. Un nouveau procédé de distillation au début du 19ème siècle et le Languedoc se couvre de vignes produisant un vin transportable, et développant le réseau ferré. Le phylloxéra, le mildiou, la surproduction et les importations auront raison de notre économie. Mais dès 1860 notre région prend un nouveau départ grâce à notre sous-sol.
Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, l’installation du chemin de fer très en avance dans notre département pour le transport des marchandises va aider au développement des carrières. L’ouverture de la ligne Nîmes-Uzès-Remoulins permettra l’acheminement des matériaux vers Beaucaire, vers la vallée du Rhône, vers Marseille, l’Italie, l’Espagne, l’Europe. Le chemin de fer va favoriser l’éclosion et le développement d’industries dont la matière première était fournie par le pays lui-même. Il donne à la région d’Uzès les moyens de se réadapter après le déclin des filatures. En 1879 Uzès possède encore 7 filatures de la soie qui emploient les jeunes filles de la région avec des salaires dérisoires et des journées interminables. Mais c’est le chant du cygne, les importations de soie, les modes nouvelles, condamnent cette industrie.

Depuis un peu plus d’un siècle, en effet, les minerais du sous-sol de l’Uzège intéressent l’industrie. A la fin du 18ème siècle des concessions avaient été accordées pour la recherche de charbon, Carsan, St Paul de Caisson, Connaux, Le Pin…mais les chercheurs comme Tubeuf avaient surtout trouvé du lignite, c‘est à dire du charbon de mauvaise qualité. En 1875 cette production languedocienne représentait un peu plus de la moitié de toute la production de notre pays. Ce combustible servait essentiellement dans les fours à chaux, les filatures et les magnaneries : le lignite brulait à feu doux et continu, préférable à la houille qui donnait une chaleur trop vive pour ces usages. Ces mines de lignite furent fermées lorsque vint le déclin de la sériciculture et la fermeture des fours à chaux. On en rouvrit deux de 1941 à 1948 à Cavillargues et à Pougnadoresse pour cause de guerre.

Jusqu’alors l’exploitation des argiles réfractaires de La Capelle et de St Victor les Oules était le fait des habitants, agriculteurs qui vendaient leurs argiles aux briquetiers, aux potiers d’Uzès et aux pipiers de St Quentin. L’industrie de la faïence établie à Uzès prospère : en 1817 une seule fabrique, avec 10 ouvriers, en 1871, 13 fabriques avec 40 ouvriers. En 1854, on dénombre à St Quentin, 28 fabriques de poteries, 30 de pipes, 3 de briques réfractaires, une de faïence, une de creusets. Soit 310 personnes qui travaillent souvent en famille pendant la mauvaise saison. A Serviers, 2 fabriques de faïence, à Saint-Médiers, une fabrique de briques réfractaires….Mais passé le cap du milieu du 19ème siècle, tout s’accélère. En effet, nos produits réfractaires, nos grès, nos sables étaient particulièrement rentables pour l’industrie de l’armement, les chantiers navals. Nous sommes dans une période où les courants ultra-patriotes conduisent à la guerre de 1870 puis à celle de 1914. Allemagne, Angleterre, France, Russie, Autriche rêvent chacun de son côté d’expansion et donc ont besoin d’aciers spéciaux, de ferro-alliage.

Cette année de 1886, dans toute la région on rêve d’un nouvel eldorado : les géologues sont formels, nos terrains recèlent des phosphates, des argiles réfractaires, des « quartzites », du fer, du manganèse, zinc, bauxite, tout matériau utile à l’industrie montante….Le synclinal, ce pli de roches qui s’étend de Pouzilhac à St Laurent la Vernède riche en minéraux, va nous apporter renouveau économique, mais aussi une transformation de l’univers sociologique de l’Uzège.
 Le 18 mai 1886, un Vallabrixois, Elzéard Calixte Bonnaud propose au conseil municipal d’entreprendre des fouilles à ses frais. Ses recherches devront au moins lui coûter 1000 frs, signe que le travail a bien été fait, et il s’engage à payer à la commune le phosphate qu’il trouvera 4 frs la tonne. Le village lui signerait un bail d’exploitation de 9 ans.
Tavel, St Maximin pour les phosphates, Pougnadoresse, Tresque, Le Pin jusqu’à Bagnols pour le lignite, les carrières d’argiles réfractaires et sablon de Serviers, de St Victor, Uzès pour ses pierres, La Bastide d’Engras, St Laurent la Vernède, presque tous les villages autour de nous, le long du synclinal, se sont essayé à cette nouvelle industrie, souvent avec succès. Des particuliers, des entreprises, des négociants se lancent avec fougue dans la fouille qui devait rapporter gros.
Un ingénieur de Marseille achète sur St Victor des terres riches en argile blanc exploitable à ciel ouvert. La baronne de Charnizay loue des parcelles et visite ses mines, patron en jupon qui amuse les veillées. Le mouvement va s’accélérer dès 1900. S’installent Marcel Martin, l’adjudant Daunis, les établissements Robert, Calas, Gaillard de Bollène, Labesse,…. Marcel Martin le maire d'Uzès de 1930 à1944, industriel, conseiller général du canton d'Uzès et SFIO...
Deux usines de produits réfractaires s’installent à Uzès près de la gare. Les argiles de St Victor, de La Capelle, de Serviers sont utilisées pour la fabrication de tuyaux d’eau, de cheminée, de creusets, de briques alumineuses pour les fours d’aciéries, de verreries. La fabrique de briques réfractaires de St Quentin fonctionne jusqu’en 1958.

Petit à petit on innove, les agriculteurs vendent leurs terres et se prolétarisent, deviennent ouvriers miniers sur leurs anciennes terres pour le compte d’industriels. ….. A partir de 1914 les fabricants de produits réfractaires de la Loire louent en viager ou achètent les terrains argileux, près des trois quarts de la superficie de la commune de St Victor les Oules. En 1950 la mine « des Châtaigniers » sur cette commune arrivait à extraire 300 tonnes d’argile par mois. Une fois cuite, la cargaison était expédiée vers Lorette dans la Loire et elle servait à la fabrication de briques réfractaires et de cornues à gaz. De 1924 à 1930, la quantité d’argile extraite de La Capelle atteint le tonnage maximum : 35 à 50 000 tonnes par an.
St Hippolyte de Montaigu a commencé l’extraction industrielle dès 1873. La Bastide d’Engras fournit les Aciéries de la Marine. Les fabriques de briques, les mines emploient la main–d’œuvre locale comme Maurin, Boutin, Dussault… de Vallabrix…. Les chemins de fer embauchent nos jeunes. Des métiers s’apprennent, machiniste, rouleur, mineurs-boiseurs, on manie l’explosif. L’exploitation à ciel ouvert ou « à la découverte » à partir de 1914, sera d’un rendement bien supérieur et moins couteuse. Une population d’origine étrangère arrive, embauchée dans les mines comme à La Capelle. Les nouveaux habitants revitalisent nos villages.
Parallèlement, en liaison avec l’exploitation de notre sous-sol, d’autres entreprises se consacrent à la fourniture d’outillages nécessaires à l’extraction, au transport…..  Une robinetterie s’installe à Uzès employant jusqu’à 70 personnes en 1965, originaires de la ville mais surtout des villages environnants. La ruralité en prend un coup. Une nouvelle classe sociale se développe : on devient ouvrier avec un petit lopin de terre à travailler pendant son temps libre et non plus comme encore au siècle précédent un paysan avec un petit travail occasionnel artisanal ou à la mine pendant la morte saison.

 Enthousiastes, les conseils municipaux votent, donnent des terrains pour amener les rails jusqu’aux villages pour évacuer les minerais futurs. On rêve de lignes ferroviaires qui desserviraient les communes, souvent en vain. Uzès sera à la fin du 19ème siècle un nœud ferroviaire important : transport de la terre réfractaire destinée aux hauts-fourneaux d’Alès et de Bessèges, pour les faïences d’Aubagne, pierres d’Uzès, sable pour les verreries de Marseille, d’Italie, d’Espagne, etc.….

A Vallabrix, en 1912, nos élus votent à l’unanimité pour un projet de voie ferrée Nîmes/Bagnols passant par La Capelle, projet qui n’aboutira pas malheureusement. Cette ligne nous permettrait disent nos élus de  vendre plus loin nos céréales et autres cultures et nos produits minéralogiques.
Le 16 décembre 1938, nos élus se réunissaient sous la convocation de Monsieur le Maire Joseph Desplans. Etaient présents, Messieurs les conseillers municipaux Boutaud, Ance, Dizier, Brun, Pujolas, Roche, et Desplans. Messieurs Arène et François étaient absents.
Une offre sérieuse pour le droit d’extraction du sable du Brugas avait été faite. Le sable se trouvait dans l’ancienne coupe n°26 faisant partie du coupon N°IV. Un profit pour la commune et une plus-value pour le terrain.
Deux conditions : l’entretien du chemin serait à la charge de l’adjudicataire, et sous réserve que les propriétaires du village soient autorisés à prendre le sable qui leur serait nécessaire pour leur usage personnel.
Nos élus décident devant les avantages qui en découleraient de mettre en adjudication le droit d’extraction du sable. Ils souhaitent que le service des Eaux et Forêts l’organise avec mise à prix de 500frs. (vote municipal page 29 cahier 1937/1972).
Nous allons vendre nos grès (roches) à partir de 1953. Une décision du 3 février votée à l’unanimité autorise le maire de traiter de gré à gré avec Monsieur Martin de Pont St Esprit pour une période de 9 ans renouvelable. L’administration forestière est d’accord pour l’exploitation des grès. Il nous faut l’approbation du préfet.  Un Martin apparaît souvent dans les exploitations minières aux alentours. Est-ce le même ? Probablement.
Malheureusement ce recueil des décisions municipales est loin d’être complet. Soit les conseils municipaux n’étaient pas tous retranscrits, soit des décisions étaient prises en dehors de ces instances. Donc nous ne savons pas combien doit rapporter ce fermage (« amodiation ») de la carrière.

Notre sous-sol intéresse toujours les géologues. En 1954 l’Association géologique d’Alès dans les « Itinéraires minéralogiques des communes du Gard » étudie notre patrimoine : selon cette étude une exploitation est possible de fer hydraté quartier des Gouspies et de la Rouvière et sur le chemin de la Capelle. Il est vrai que l’ocre rouge/bordeaux mélangé à la chaux qui fut appliquée sur les murs intérieurs du dernier étage du Pont du Gard du temps des romains, venait de notre coin. Déjà en 1893, (Mémoire de l’Académie de Nîmes) le pli synclinal qui nous traverse de Pouzilhac à St Laurent, les sources et le sous-sol hydraulique étaient étudiés. On pensait même que la source de l’Eure avait pour origine une cassure du synclinal.

Le 1er décembre 1956 le conseil municipal résilie le bail entre Martin et la commune pour non exploitation. C’est une perte d’argent pour le village, l’entrepreneur sera averti à partir du 1er mai 1957, date des trois ans de bail révolus. Dès le 20 juin, le maire a reçu des offres pour l’achat des grès communaux. L’administration forestière nous soutient.
Le conseil municipal à l’unanimité autorise le maire à traiter de gré à gré avec la société Dupuy Frères et C° d’Uzès pour une période de 9 ans. Il s’agit des parcelles quartier du Brugas, coupes n°24 et 25. On ne sait toujours pas quelles recettes pour la commune vont en découler. On sait seulement que le contrat sera annexé à la délibération, mais à ce jour, il est absent du registre communal.
Plus tard au cours de la séance du conseil municipal du 16 avril 1971, le bail pour l’achat de grès est passé entre la commune et la Société SETTSR impasse Vacher à St Etienne et la Compagnie Universelle d’Antylène et d’électrométallurgie, usine de Clavaux par Gavet (38), conjointement. La SETTSR est l’exploitant, toujours pour la coupe 24 et 25, contenance 34 h 62a 15 plus 25h 89a50. Le montant minimum de la redevance annuelle est proportionnellement fixé à 5000 frs pour 5000 tonnes de matériaux. Les terrassements sont soumis au régime forestier.

Notre grès partira pour les usines de l’Ardoise, près de Bagnols-sur-Cèze et servira pour la fabrication des ferro-alliages, avec pour principal acheteur l’Allemagne, puis le Japon, Canada, la France…..Les ferro-alliages sont un des éléments de base sur lesquels s’est fondée l’évolution de la sidérurgie, un acquis essentiel de la métallurgie. En 1967, les trois usines électrométallurgiques de la commune de l’Ardoise, parmi les plus modernes d’Europe, produisent du ferro-chrome, du ferro-silicium, du silicium-métal et de l’acier inoxydable. Produits utilisés dans l’industrie automobile, dans la fabrication de turbines, de blindages, de matériel chirurgical, des objets ménagers (la cocotte-minute)…….
Cette industrialisation va modifier profondément notre société. Le mirage du travail industriel avec le salaire régulier qui tombe tous les mois va séduire le jeune agriculteur. C’est aussi l’espoir de meilleures conditions de vie, l’espoir de ne plus se sentir défavorisé, dévalorisé par son travail de la terre. Quelques Vallabrixois sont partis travailler à l’Ardoise ou plus loin.

 Cette main-d’œuvre agricole qui se raréfie va pousser le développement d’une mécanisation  de l’agriculture au 20ème siècle. Elle va aussi favoriser le regroupement pour la location d’engins agricoles, les associations d’agriculteurs, le remembrement des terres. Peut-on parler comme certains de « révolution agricole » ? Au moins d’une volonté d’innovation et d’action.
La région bagnolaise va fortement se développer autour de ces industries : démographie galopante, construction de logements, d’écoles, rénovation et extension de l’hôpital, commerces….. Notre commune sera épargnée par ce développement très (trop ?) rapide et tous azimuts.

Cette exploitation génère des problèmes sur le secteur par ses camions sur les routes. Mais elle procure aussi à la commune une bonne partie de ses ressources pour ses frais de fonctionnement.
Revers de la médaille, cette exploitation a créé un désordre écologique important : le sable qui n’est plus retenu par les roches, descend sous l’effet du vent, de la pluie, ou sous son propre poids. Le ruisseau en contrebas, la station d’épuration se trouvent de ce fait ensablés régulièrement. Les éboulis, les canyons de sable sont dangereux aux promeneurs et pour les animaux. Des solutions sont tentées, paliers artificiels, plantations, sans véritable succès pour l’instant. A ce jour, (février 2017), notre sable est exploité par l’entreprise Fulchiron. Un col creusé au centre dans ce qui reste du Brugas permettra de rejoindre sur l’autre versant l’exploitation de la commune de St Victor les Oules. Une belle couverture de pins et d’arbres divers a disparu. Promenades dans la fraîcheur du sous-bois quand la cagna d’été sévit, odeurs d’automne ou de printemps, bruyères en fleurs, fougères discrètes, murmure du vent, tout cela est fortement compromis. Il est certain que dans quelques années l’image du Brugas sera tout autre. Cette colline jusqu’à présent protégeait le village des pluies violentes que le vent du sud nous apportait. Parfois du sable rouge du Sahara passait très au-dessus de nous grâce à la hauteur du Brugas et à l’élan pris sur l’autre versant. La percée du col au centre amènera certainement un courant d’air de poussières et de bruit de l’exploitation de St Victor. Un récent procès conclut à une pollution par les poussières. Les modifications pour le village risquent d’être plus que paysagères.
Le Brugas et la carrière -vue de Vallabrix 2006

Produits Fulchiron sources internet
·         Sables de verrerie
·         Sables de fonderie
·         Sables pour sols équestres
·         Sables pour sols sportifs
·         Sables correcteurs (bétons)
·         Sables de remblais
·         Sables pour filtration
Vallabrix - vue du haut du Brugas 2006

Sources : archives communales de Vallabrix -1868/88 – 1888/1914 - 1937/72 – archives communales d’Uzès 10 o1 – Couradou de Vallabrix Novembre 2011 Fonds Historique Biblio Vallabrix – Albert Ratz Potiers et Mineurs de terre  La Mirandole –arch départementales du Gard 109J227 – Revue du Midi (de Nîmes) 1894-97 BN Gallica – Alfred Chabaud L’Uzège et la Région Bagnolaise TIII Ed Peladan1967  – Histoire d’eau Centenaire de l’adduction 1914-2014  Fonds Historique site internet Vallabrix- Photos collection privée- Merci à Michel Saler pour ses documents.

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