samedi 8 juillet 2017

Formation à l'accouchement au 18ème siècle

Formation à l’accouchement au 18ème siècle :


                              Forceps de Levret fin 18ème siècle Collection CHU Tours – exposition 2008

Pendant longtemps, la naissance d’un enfant représentait un danger pour la mère et pour le bébé. C’était un enjeu médical mais aussi politique. Avec la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 et dès 1680, les « sages-femmes » protestantes qui avaient pourtant de bons résultats ne sont plus autorisées à exercer. On n’avait pas encore découvert les microbes et les bactéries, mais les médecins de Montpellier et d’ailleurs avaient compris qu’un minimum d’hygiène et des connaissances du corps arrangent bien les choses et ils avaient commencé à former des femmes pour intervenir. Restaient malgré tout, les cas complexes où la vie de la mère et de l’enfant était en jeu. A cela s’ajoutaient des problèmes d’héritage : lorsque la famille n’avait pas d’autre enfant, le nouveau-né devait absolument vivre un instant pour hériter de sa mère décédée et alors le père pouvait hériter de l’enfant. On a vu des « arrangements » où les témoins, la sage-femme, parfois le curé certifiaient souvent de bonne foi, avoir vu le bébé bouger un orteil, faire un « vent »… Donc encore vivant après le décès de la mère.
Dans les villages, le curé désignait une femme d’expérience, la « matrone »ou la « bonne-mère », pour assister la future mère. La matrone était certifiée de bonne vie et catholique. C’était aussi l’occasion pour l’église d’avoir un œil sur les avortements ou les accouchements prématurés, sur les naissances, le baptême du bébé…. Les femmes de la famille, les voisines, les « commères », étaient présentes, avec leurs recettes, leurs amulettes, leurs propres histoires d’accouchement… La matrone connaissait les secrets de famille, parfois elle présidait aussi à la toilette des morts du village. Elle était capable d’ondoyer le bébé en cas de risque, c’est-à-dire de donner une sorte de baptême. Et la mortalité infantile et maternelle était impressionnante.
Les familles aisées avaient des accoucheuses plus qualifiées, mais les risques étaient toujours là, surtout à cause des maternités chez des femmes très jeunes ou après trente ans, et aussi à cause des mariages consanguins. Mais dans ces familles-là dès 1650 petit à petit des chirurgiens s’intéressent aux accouchements. « Les princesses et toutes les dames de qualité choisissent des accoucheurs : les bonnes bourgeoises suivent leur exemple et l’on a entendu dire aux femmes des artisans et du menu peuple que, si elles avaient les moyens de les payer, elles les préfèreraient aux sages-femmes. » Pierre Dionis, chirurgien parisien en 1718.


A la fin du 18ème siècle apparaît une méthode d’enseignement à l’accouchement mise au point par une sage-femme Angélique Le Boursier du Coudray (1712/14-1789). Elle est maîtresse sage-femme au Châtelet, sage-femme jurée à Paris. Elle est née dans une famille de médecins. Elle publie en 1759 un livre Abrégé de l’Art des accouchements qu’elle fera illustrer de charmantes gravures en couleur. Elle parle ainsi de l'accouchement :
"En attendant le moment de délivrer la femme, on doit la consoler le plus affectueusement possible : son état douloureux y engage ; mais il faut le faire avec une air de gaieté qui ne lui inspire aucune crainte de danger. Il faut éviter tous les chuchotements à l'oreille, qui ne pourraient que l'inquiéter et lui faire craindre des suites fâcheuses. On doit lui parler de Dieu et l'engager à le remercier de l'avoir mise hors de péril. Si elle recourt à des reliques, il faut lui représenter qu'elles seront tout aussi efficaces sur le lit voisin qui si on les posait sur elle-même, ce qui pourrait la gêner..."
La plupart des femmes ne sachant pas ou à peine lire, il fallait un enseignement pratique, accessible, par le toucher, la vue. Celle-ci invente une machine qu’on appelait « fantôme obstétrique », sorte de mannequin souple représentant le ventre, le bassin de la femme et tous les organes de la reproduction avec le bébé à l’intérieur. Des bébés nés à terme, prématurés, des jumeaux… Le roi Louis XV délivra un brevet autorisant l’enseignement de cette méthode dans toutes les provinces du royaume.






Angélique du Coudray








Brevet qui autorise la dame DUCOUDRAY, maîtresse sage-femme, à tenir des cours d'instruction publique dans toutes les provinces du royaume, 18 août 1767. A.D.I.L., C 355.
Des chirurgiens approuvent cette formation, comme en 1770 à Agen  : « En effet, par le moyen de la machine dont cette dame se sert, on a la satisfaction, non seulement de voir l'enfant, tel qu'il peut être dans le sein de sa mère, dans toutes les postures possibles, mais aussi on ne perd pas un seul coup de main de sa manoeuvre. L'imitation de la nature est portée à son dernier degré de perfection, ce qui rend les cours d'accouchement encore plus parfaits ».
De 1759 à 1783 environ 5000 élèves sont formées. Pour inciter les seigneurs et les curés des paroisses à soutenir le projet, ils sont invités aux cours. «  Ce n'est pas d'aujourd'hui, Monsieur, que le cri public s'élève contre l'impéritie des femmes de campagne, dans l'art des accouchemens ... » « Votre amour pour le bien de l'humanité et pour l'accroissement de la population ne peut qu'exciter votre zèle dans une circonstance où le gouvernement ne ménage de son côté aucun des sacrifices propres à l'assurer. ».
Les intendants proposent aux curés de sélectionner des femmes qui pourront faire l’affaire, elles seront logées, nourrir aux frais de l’administration et recevront un certificat à la fin des deux mois de cours. Une réduction d’impôt pour l’accoucheuse ou son couple était prévue, en pratique, une réduction des corvées pour l’entretien des routes.
Lettre-circulaire adressée aux seigneurs et aux curés des paroisses.
Tours, 31 octobre 1777. A.D.I.L., C 355.


Ci-dessus Certificat d'aptitude à la profession d'accoucheuse. Le Mans, 14 février 1778.
A.D.I.L., C 355.


Etat des élèves qui ont suivi le cours de Madame du Coudray, commencé à Tours le 15 novembre 1778.-A.D.I.L., C355.








.......etc
A Tours à partir de 1779, les cours ont lieu dans le collège de chirurgie fondé en 1766. Des chirurgiens démonstrateurs formés par Angélique du Coudray vont prendre le relais dans les zones rurales. Se formeront pratiquement autant d’épouses d’agriculteurs que d’artisans.      
Les Intendants à partir de 1779 vont faire appel à la générosité des seigneurs, des communautés villageoises pour payer l’entretien des élèves. « Cette dépense au reste qui ne peut excéder 24 ou 30 livres ne saurait en éloigner ceux qui voudraient contribuer à une aussi bonne oeuvre. Votre zèle et votre amour pour le bien public sont plus que capables de lever cette petite difficulté. Je suis très persuadé que vous donnerez les plus fortes preuves dans une circonstance qui intéresse autant l'humanité. ». Il faut accélérer le mouvement en particulier dans les zones rurales.
« Nous gémissions, Monseigneur, de voir souvent la mère de l'enfant périr dans les accouchements par l'ignorance des sages-femmes. Nous regardons comme un secours précieux à l'humanité et comme une suite des bontés dont vous honorez la ville en cette élection, la permission que vous nous donnez d'acheter la machine de Madame du Coudray pour former d'habiles accoucheuses, et de nommer un chirurgien démonstrateur, et de former ici tous les ans un certain nombre d'élèves. Nous avons nommé sous votre bon plaisir pour chirurgien-démonstrateur en cette ville, le sieur Viau, maître en l'art de chirurgie, qui joint à des lumières reconnues, de l'expérience et du zèle. Il se présentera à l'intendance pour recevoir vos ordres, porteur de notre délibération, qui contient sa nomination. »

Les chirurgiens démonstrateurs ont semble-t-il moins de succès qu’Angélique du Coudray. L’accouchement reste encore une affaire de femme. Un inspecteur est nommé, lui-même chirurgien. Il déplore en mai 1782 le manque d’enthousiasme mais surtout les préjugés :
«  Si c'était pour former un vétérinaire, l'espoir d'avoir un homme qui pût prévenir ou empêcher la mortalité de leurs bestiaux les porterait à donner tout ce qu'on leur demanderait sans répugnance, mais pour conserver leur femme, il en est tout autrement ; une de perdue, une de retrouvée ».
Mais c’est aussi une affaire de gros sous : le curé donne 30 livres pour les frais de formation mais le double pour remplacer l’élève qui s’absente deux mois. Nous sommes à la fin du 18ème siècle, les finances des communautés villageoises ne sont pas au beau fixe et elles renâclent à verser les sommes nécessaires. Et puis les femmes formées sont tentées de quitter le village pour exercer dans des familles bourgeoises ou dans des grandes villes où elles sont mieux rémunérées. Parfois le mari de l’accoucheuse accepte mal les nouvelles « qualifications » de son épouse et en change !!.
En quarante ans deux cents accoucheurs-démonstrateurs seront formés, qui enseigneront à dix ou douze mille sages-femmes pour environ un million de naissance par an. De nouvelles pratiques s’installent : plus de commères qui assistent la future mère, la pièce est lumineuse et aérée, on s’achemine vers une médicalisation de l’accouchement, où plus personne ne raconte ses propres accouchements, ses recettes….
Le tour de France obstétrical d’Angélique va durer 25 ans et se poursuivra jusqu'en 1783, sous le règne de Louis XVI. Lafayette serait né grâce à la méthode du Coudray. Malgré un succès indéniable et une mortalité infantile en nette régression, Angélique du Coudray sera décriée pendant la Révolution de 1789 par le député Alphonse Leroy qui lui reprochait entre autre, de n’être pas mariée. Il souhaitait réserver l’accouchement aux hommes, mais n’importe qui pouvait être officier de santé à ce moment-là. Sa pétition fit un flop. Angélique est souvent nommée la « sage-femme des Lumières ».
Les sages-femmes vont peu à peu bénéficier d’une meilleure formation. L’accouchement continue à se faire traditionnellement au foyer jusqu’au milieu du 20ème siècle, surtout dans les zones rurales. Les hôpitaux du 19ème siècle sont assez effrayants pour mettre au monde des enfants. La mortalité y est d’ailleurs très importante. A la maternité de Port Royal en 1856 les statistiques font état d’un taux de mortalité en couches 19 fois plus élevé qu’en ville, 5,9 % contre 0,3%. Les fièvres puerpérales dans la même maternité font 31 décès sur 32 accouchées en mai 1856.
Aujourd’hui, des maternités dignes de ce nom ainsi que des établissements pour femmes battues sont appelées Angélique du Coudray.

                  La machine de Mme du Couday- Musée Flaubert et d’Histoire de la médecine Rouen



 Sources : Anne Debal-Morche, conservatrice du patrimoine aux Archives départementales d'Indre-et-Loire, d'après les documents d'archives du service de l'Intendance (série C 354 à C 356 ), et les recherches effectuées par Barbara Adam, pour son mémoire de maîtrise, intitulé «  Des sages-femmes, des femmes sages ? », soutenu à l'université F.Rabelais de Tours, en 2004. – Société d’Histoire de la Naissance wwwsociété-histoire-naissance.fr-  A. Delacoux, Biographie des sages-femmes célèbres, anciennes, modernes et contemporaines 1834 — Voir particulièrement l'article « Ducoudray (Angélique-Marguerite Leboursier) ».- Jacques Gélis, « Sages-femmes et accoucheurs : l'obstétrique populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles »dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 32e année, no 5, 1977, p. 927–957. DOI:10.3406/ahess.1977.293872- Pierre Bienvault La Croix 4-1-2016 Mme du Coudray Pionnière de la Simulation -
Litho : Vilain dessinateur Lecler 1833 brooklyn museum .org

Modèle de serment, proposé par l’Eglise en 1786 pour les sages-femmes formées à l’Hôtel Dieu de Paris :
« Je [...] promets et jure à Dieu, le créateur tout puissant, et à vous, Monsieur qui êtes son ministre, de vivre et de mourir dans la foi de l’Eglise catholique, Apostolique et Romaine, et de m’acquitter, avec le plus d’exactitude et de fidélité qu’il me sera possible, de la fonction qui m’est confiée. J’assisterai de nuit comme de jour dans leurs couches les femmes pauvres comme les riches ; j’apporterai tous mes soins pour qu’il n’arrive aucun accident ni à la mère et ni à l’enfant. Et si je vois un danger qui m’inspire une juste défiance de mes forces et de mes lumières, j’appellerai les médecins ou les chirurgiens ou des femmes expérimentées dans cet art pour ne rien faire que de leur avis et avec leur secours. Je promets de ne point révéler les secrets de familles que j’assisterai ; de ne point souffrir qu’on use des superstitions ou des moyens illicites, soit par paroles, soit par signes, ou de quelque autre manière qui puisse être, pour procurer la délivrance des femmes dont les couches seront difficiles et paraîtront devoir être dangereuses ; mais de les avertir de mettre leur confiance en Dieu, et d’avoir recours aux sacrements et aux prières de l’Eglise. Je promets aussi de ne rien faire par vengeance, ni par aucun motif criminel ; de ne jamais consentir sous quelque prétexte que ce soit, à ce qui pourrait faire périr le fruit ou avancer l’accouchement par des voies extraordinaires et contre nature ; mais de procurer de tout mon pouvoir, comme femme de bien et craignant Dieu, le salut corporel et spirituel tant de la mère que de l’enfant. Enfin, je promets d’avertir sans délai mon pasteur de la naissance des enfants ; de n’en baptiser ou de ne souffrir qu’on en baptise aucun à la maison, hors le cas d’une vraie nécessité, et de n’en porter aucun à baptiser aux ministres hérétiques. »


                                                                       Chaise à accoucher 19ème siècle
                                        Claude Truong-Ngoc /wikimedia commons Musée Strasbourg photo 29/7/2014

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