dimanche 2 juillet 2017

L'Overdose de la Duchesse ou l'irrésistible ascension du tabac

L’overdose de la Duchesse ? ou L’irrésistible ascension du tabac.

Plan de tabac
Dès la fin du 19ème siècle, quelques médecins commencent à étudier sérieusement les effets du tabac sur les organismes humains et des animaux. Il semble exister une accoutumance et même une dépendance au tabac. En 1894, les docteurs Chéreau, Kohos, Pellet, Jaucent en 1900 vont étudier les effets du tabac sur la gorge et la voix, sur la digestion. La nicotine et les extraits de tabac en décoction sont utilisés depuis longtemps comme médicaments mais on s’aperçoit que ces médicaments font plus de mal que de bien et même tuent. Les travailleurs de l’industrie du tabac semblent touchés et en 1901, l’Office du Travail considère cette substance comme un des poisons industriels. Les docteurs Amouroux, Prieur et Abel Gy en 1909 vont confirmer les effets cancérigènes et cardiovasculaires sur les utilisateurs du tabac.
Calumet
Christophe Colomb découvre le tabac en 1492 en Amérique où il est cultivé par les Amérindiens depuis belle lurette. Les feuilles de tabac sont roulées pour former une sorte de cigare qu’ils appellent « tabaco ». C’est semble-t-il un médicament universel, qu’ils fument dans leur calumet dans un mélange avec d’autres herbes. Le tabac fait partie des cadeaux offerts par les natifs à Christophe Colomb.
A la cour d’Espagne et du Portugal ce sera d’abord une plante d’ornement. On se méfie un peu de cette plante, du goût des Indiens, ces sauvages, et de leur incapacité à s’en passer. La première description est de la main de l’historien espagnol d’Oviedo. Le tabac va devenir un médicament dans ce royaume vers le milieu du 16ème siècle grâce au médecin personnel du roi Philippe II d’Espagne. Les soldats du roi y goûtent et très vite ne peuvent s’en passer !
André Thivet
Une petite controverse rapportée dans le BSHPF de 1930 p 343 : ce serait le cosmographe franciscain André Thivet (ou Thevet) né à Angoulême en 1502, aumônier sur un bateau qui aurait rapporté le premier du Brésil des plans ou graines de tabac et qui en cultivait dans son jardin. Il relate son voyage en 1558 dans «Les singularités de la France antartique autrement nommée Amérique» (Paris chez les héritiers de Maurice de la Porte in-4°). On l'appelle alors « herbe angoulmoisine » ou « herbe pétum ». En 1575 il fait le portrait de l’herbe Petum ou Angoulmoisine dans son livre « Cosmographie Universelle (tII livre XXI chap VIII).
A la même époque Jacques Gohory publie un traité sur le tabac considéré comme une plante médicinale « L’instruction sur l’herbe petum »(1572).
Jean Nicot
Et le nîmois Jean Nicot, ambassadeur de France au Portugal en 1559-1560 est dépêché par la reine Catherine de Médicis pour placer une de ses filles : le futur roi du Portugal cherche à se marier. Jean Nicot échoue dans sa mission mais il rapporte de Lisbonne des épices, de l’indigo, des orangers, un esclave noir et… du tabac. On peut donc dire et écrire qu’il introduit le tabac dans notre pays en 1561. Le roi de France à ce moment-là est François II premier fils de Catherine de Médicis. Il souffre de migraines insupportables. Jean Nicot envoie de la poudre de tabac à la reine en vantant les vertus curatives à cette plante. Le traitement réussit et les apothicaires vont pouvoir en vendre. La mode est lancée !
L'herbe à Nicot ou herbe "à la reine" (Catherine), se consommait à cette époque en cataplasme, en onguent, en fumigation, poudre et même en lavement !! Pour les contemporains, c’est « une espèce d’herbe de vertu admirable pour guérir toutes navrures, playes, ulcères, chancres, dartres, et autres tels accidents du corps humain ». Le pape Urbain VIII en 1642 menace d’excommunication ceux qui usent et abusent de cette plante mais rien n’y fait : la mode est là ! On parle de sorcellerie. Le duc de Guise proposa d’appeler cette plante nicotiane pour rappeler Jean Nicot. Le botaniste Jacques Daléchamps la décrit dans son Histoire générale des Plantes sous le nom de Petum ou Herbe à la Reine.
La plante reçut de très nombreux noms : « nicotiane », « médicée », « catherinaire », « herbe de Monsieur Le Prieur », « herbe sainte », « herbe à tous les maux », « panacée antarctique » et finalement « herbe à ambassadeur ». Le nom de Tabac apparait fin 16ème.
Jean Nicot sera aussi célèbre pour un premier dictionnaire en langue française, qui servira souvent de base par la suite. Le français de cette époque n'étant pas encore fixé, cet ouvrage est surtout intéressant comme référence sémantique et étude du "vieux langage". Jean Nicot mériterait une plus belle rue à Nîmes.
Le cardinal de Richelieu qui ne perdait pas le Nord, fait en 1629 un monopole royal de sa production et de son commerce avec des droits de douane sur la circulation du tabac.. Nous produisons dans l’Est et le Sud-Ouest, dans les îles des Antilles. Notre production est la plus importante d’Europe à ce moment-là.  C’était l’époque du roi Louis XIII. La guerre de Trente Ans nous a amené la pratique de la prise. Les marins propageront l’habitude de la chique et de la pipe.
feuilles de tabac au séchoir
Avec Louis XIV, Colbert prend la suite et établit le Privilège de Fabrication et Vente en 1674. Et la Compagnie du Sénégal qui va participer très activement à la traite négrière. Madame de Maintenon la maîtresse du roi, sera un des premiers particuliers à bénéficier de ce privilège. Les Manufactures des tabacs sont fondées à Morlaix, Dieppe, Paris… La Compagnie des Indes prendra la suite de la Compagnie du Sénégal. Pourtant le roi Louis XIV déteste la fumée du tabac et l’odeur. Pour lui les gens raffinés ne peuvent pas s’adonner à ce vice « vil et vulgaire ». Il tolère la prise seulement hors de sa présence. Pourtant une marque élémentaire de courtoisie sera d’offrir une prise de tabac à la personne que l’on rencontre. Tout le monde prise, même les femmes les plus intrépides ou les plus raffinées. Une querelle nous est rapportée : le chanoine Monsieur de L’Attaignant et le comte de Clermont-Tonnerre se disputent, le ton monte et le chanoine refuse une prise de tabac au comte. Une chanson du chanoine qui va passer les siècles : « J’ai du bon tabac dans ma tabatière, j’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! ».
Molière en 1665 fait dire à Dom Juan (in « Le Festin de Pierre ») « qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre, non seulement il réjouit, et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu… ». On chique, on prise, on fume dans toutes les couches sociales.

L’overdose de la Duchesse ? : Saint Simon nous raconte cet épisode dans ses Mémoires. Le 18 janvier 1712, le roi Louis XIV s’installe dans son château de Marly. La dauphine, Marie-Adélaïde,  duchesse de Bourgogne, y arrive avec « une grande fluxion sur le visage ». Elle a de très mauvaises dents avec des abcès qui provoquent un œdème au visage. Malgré tout elle tient salon. « Elle y joua en déshabillé toute embéguinée ». Après avoir visité la marquise de Maintenon qu’elle appelle gentiment sa « tante », elle soupe au lit tant elle se sent mal. Deux jours plus tard, après une médication de tabac, en fumée et à mâcher elle va mieux.
Mais une épidémie de rougeole et de petite vérole (variole) met à mal la Cour et l’entourage royal. Le 5 février la fièvre reprend. Le 7 la douleur est là, lancinante. . "Cette sorte de rage de douleur résista au tabac en fumée et à mâcher, à quantité d'opium et à deux saignées du bras", note Saint Simon. Des vertiges, une prostration intermittente avec des douleurs abdominales « pires que celles endurées à ses accouchements », des céphalées qui lui vrillent le crane ! Puis elle est au bord de l’inconscience, la famille royale ainsi que Mme de Maintenon sont à son chevet. Des plaques rouges couvrent la peau, on diagnostique une forme de rougeole. Elle dira : "Princesse aujourd'hui, demain rien, dans deux jours oubliée".  Il est plus que probable que le tabac et l’opium en surdose, plus les saignées n’ont pas aidé cette jeune femme à survivre. Septicémie ou rougeole ? Céphalées, convulsions, vertiges, diarrhées et douleurs abdominales sont plus des symptômes d’une overdose de nicotine que d’une rougeole ! Mais la nicotine et ses méfaits seront « découverts » début 19ème siècle.

Esclaves travaillant dans un atelier de production de tabac. 1670, Virginie.
En 1719, pour une meilleure maîtrise et une meilleure rentrée des taxes, cette culture est prohibée dans toute la France sauf en Franche-Comté, en Flandre et en Alsace, avec des condamnations pouvant aller jusqu'à la peine de mort.
Qui dit monopole, dit aussi contrebande qui se développe sur nos côtes bretonnes. Le tabac de Virginie moins cher que celui des Antilles françaises est bientôt très recherché, au goût du jour.

La Compagnie royale d’Afrique créée par les planteurs de Virginie va participer activement à la traite des esclaves dès 1672. Les importations françaises de tabac de Virginie vont passer de 20 à 70 % de la consommation intérieure du tabac. Au milieu du 18ème siècle ce pays contrôle le marché mondial avec le Maryland.
 Tabagie du roi Frédéric-Guillaume de Prusse 
Les « tabagies » du 18è et 19ème siècle étaient l’occasion pour les hommes d’affaires de se réunir et discuter à l’abri des oreilles indiscrètes. Le roi de Prusse en faisait autant avec ses proches conseillers en fumant les fameuses longues pipes allemandes. C’étaient les Tabakskollegium.







Machine à lavement de tabac 1750 (hitek.fr)
Apparu dans les années 1750, cet instrument était utilisé pour infuser de la fumée de tabac dans le rectum des patients. Cela avait différents buts médicaux, mais la principale était la réanimation des personnes s'étant noyées. La chaleur de la fumée était censée améliorer la respiration. 

Dès 1775, on soupçonne le tabac d’être cancérigène. Mais le pli est pris. Les prêtres interdisent que l’on fume dans les églises lors des cérémonies.
Au moment de la Révolution de 1789, les cahiers de doléances se plaignent du prix trop élevé du tabac. Dans le calendrier républicain, le tabac a son jour : le 16ème du mois de Messidor.



La cigarette arrive en France vers 1830, déjà en vogue en Espagne, au Brésil et en Crimée. Elle est peu coûteuse et va redonner un élan à la consommation. En 1868 l’Association française contre l’abus du tabac est créée suivie en 1875 par la Société Française contre l’Abus du Tabac. 
Voltaire 19ème Houdon
Tabatière Louis XVI
La pipe devient tendance, surtout celle « à tête » représentant des personnalités qui mesurent ainsi leur degré de popularité. Les usines Gambier fabriquent 30 millions de pipes par an vers 1860. Il nous faut reconnaître qu’elles montrent un grand savoir-faire, souvent de petits chefs-d’œuvre. Notre voisine St Quentin la Poterie a longtemps vécu des accessoires du tabac, pipes, papier à rouler…
James Bonsack invente en 1881 la machine à rouler les cigarettes, ce qui baissera encore considérablement les coûts de production.
Les Anglais inventent le « smoking », vêtement sans basques qui risquaient d'être brûlées par les cendres de cigarette et confortable pour s'asseoir aux tables de jeu.  C’est une variante de la veste (smoking jacket) que les Britanniques portent au fumoir. On trouve des calottes de fumeurs pour éviter que les cheveux s’imprègnent de l’odeur du tabac.
Fume-cigarette Les Noces Siciliennes in visiteaquitaine.fr
On cherche à rendre le tabac inoffensif. Apparaît le « tabac désintoxiqué » selon la méthode Gérold, mais les médecins ont des doutes sur l’efficacité du procédé. On vend aussi des pipes et fume-cigares désintoxiquants.
A Lons-le-Saunier au début du 20ème siècle le docteur Parant vend du tabac dénicotinisé en cigares et tabac à pipe et à cigarette. Mais sans grand succès.
Pendant les guerres de 14-18 et de 39-40 la consommation de la cigarette monte en flèche chez les hommes et chez les femmes symbole d’indépendance pour ces dernières. En janvier 1915, les soldats ont reçu du tabac dans leurs colis de Noël mais pas de pipes. A Poitiers on appelle la population à faire cadeau de cet instrument pour « nos braves guerriers » ! Les GI américains en 1944 distribuent des cigarettes blondes et les marques d’outre-Atlantique nous envahissent.

On sait les ravages qu’occasionne le tabac, dans les familles, chez les enfants. Ce qu’il coût à la collectivité en terme de santé. Revanche d'outre-tombe des Amérindiens pour avoir détruit leur civilisation ?!! Nous avons tous autour de nous des personnes qui souhaitent se débarrasser de ce fléau, difficilement, parfois douloureusement. Existe-t-il un remède miracle ?
























Tabatière Française 19ème sabot  avec tête de Bagnard
secouette corazo

Jeunes Femmes travaillant à l'usine de pipes de
St Quentin La Poterie















Sources : Musée du Tabac Bergerac – Les Bourbons cliannaz @free.fr2003- France-Tabac Histoire – unairnaf.org Journée Mondiale sans Tabac- Voir aussi Fichier PDF Petite histoire du tabac, réalisé par le ministère de la Santé et l'OFT-  le site info-tabac.noname.fr- Cap’culture santé, Histoire du tabac et de ses méfaits, accessible sur pointsdactu.org -Dr M. TOLEDANO, Brève histoire du tabac, version PDF - Fabrice Preyat, « Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), Duchesse de Bourgogne, enfant terrible de Versailles », Études sur le XVIIIesiècle, vol. XXXXI,‎ 2014, p. 292 (lire en ligne ) - Dominique Gaulme, François Gaulme, Les habits du pouvoir : Une histoire politique du vêtement masculin, Flammarion, 2012, 287 p. (ISBN 2081242923) - Sylvain Bouyer et Alain Gaffet, Anthropologie du tabac, Editions L’Harmattan, 1997 (lire en ligne [archive]), « Industrie pipière et guerre industrielle ». - Musée de la Terre St Quentin la Poterie (30) - photos musées-




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