jeudi 13 juillet 2017

Les Bains de Mer



Maison de l'Histoire de la Manche -archives départementales

Les Bains de Mer
Les vacances sont là et c’est la saison des bains de mer. Les voitures sont plus nombreuses à traverser notre village. Dans les rues les mollets s’exposent encore un peu blancs. Les shorts et les chapeaux fleurissent le long des trottoirs. Les caravanes se faufilent dans les rues pour rejoindre la mer après une escale chez nous. Nos nuits sont plus bruyantes car c’est bien connu on fait chez les autres ce que l’on ne ferait pas chez soi. Tout cela donne un air de fête, de remue-manège ou remue- méninges  !!
Wikimedia 1910 femme descendant d’une cabine de bains
Nos ancêtres avaient beaucoup de jours fériés mais ils ne connaissaient pas « les vacances », invention récente avec le 20ème siècle, Léo Lagrange et surtout les congés payés de Léon Blum en 1936. Richelieu disait « le peuple est un mulet qui se gâte par le repos ». Pour les catholiques, le travail est le salut, il permet d’échapper à la tentation. Nos cathédrales, nos églises célèbrent sur leurs sculptures les travaux des champs et des artisans. Six jours de labeur et un jour de repos à l’image de Dieu. Mais les semaines tout au long de l’année sont remplies d’interdits et de jours chômés: le mercredi autrefois jeuné car jour de Judas, le jeudi jour de bombances et de récréation, ce que plus tard notre école reprit, le lundi souvent chômé dans les villes ouvrières, le vendredi jour de jeûne et de deuil en souvenir de la mort du Christ, le samedi consacré à la Vierge….Plus les fêtes liturgiques, paroissiales ou des corporations.  Bref beaucoup d’occasion pour ne pas avoir de jours « oeuvrables ». Le savetier de La Fontaine nous dit : «  Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours qu’il faut chômer : on nous ruine en fêtes. L’une fait tort à l’autre, et monsieur le curé de quelque nouveau saint charge toujours son prône.. ». Ce retour sur l’Histoire nous fait penser que les « vacances » font partie naturellement de la vie de tout individu.
Et puis nos anciens avaient peur du soleil, donc pas question pour les plus fortunés de passer l’été sur les plages et encore moins de se baigner dans la mer par plaisir. Longtemps la mer sera considérée comme un monde de malheurs, terrifiant, un lieu de mystères. Pour les autochtones, c’est un monde qui apporte les tempêtes, les naufrages, peut-être des monstres ou simplement des pirates.
Le tourisme d’hiver en bord de mer sera d’abord le seul pratiqué par les Grands de ce monde dès le milieu du 19ème. Nos aristocrates avaient l’habitude des cures thermales à base d’eau de source et les bains de mer seront pendant longtemps considérés comme des médicaments. Et cela depuis le 14ème siècle. Il est fortement recommandé aux personnes mordues par une bête enragée, après cautérisation au fer rouge de prendre un bain de mer. Plus tard Henri IV envoie un valet à Dieppe pour y conduire son chien favori mordu par un animal sauvage. La méthode était de plonger neuf fois l’animal dans les vagues. Pourquoi 9 et non 8 ou 10 ? On nous dit que le chien en guérit.
Il fallait selon les médecins, prendre ce bain « avant que le venin n’ait pénétré jusqu’aux parties nobles, ce qui est d’ordinaire dans l’espace de neuf jours. » En 1671 Mme de Sévigné voit Madame de Ludre une des demoiselles d’honneur de la reine, être plongée dans la mer à Dieppe. « la mer l’a vue toute nue et sa fierté en est augmentée, j’entends la fierté de la mer, car pour la Belle, elle en était fort humiliée ».
La ville de Dieppe est relativement proche de Paris et va s’équiper pour cette spécialisation. En 1778 une maison de santé s’ouvre avec des « baigneurs-jurés » pour assister les patients. Ils les attachent à une corde et les jettent brutalement dans les vagues de la rive ou d’un bateau. Il faut les laisser immergés le temps de trois prières. L’eau est souvent glacée mais la brutalité fait partie du traitement. Pour le docteur Lieutaud, premier médecin du roi, « c’est moins le bain qui guérit que la surprise ou la terreur qu’on a l’art d’inspirer à ceux qu’on précipite brusquement dans la mer ». Et puis la ville de Dieppe déjà connue des Anglais amateurs de balnéo, est renommée pour le peu de risque de prendre de coups de soleil !
En cette fin du 18ème siècle les bains de mer vont servir aussi à « resserrer les vaisseaux et les fibres et les rétablir dans leur tonus ». Le malade est précipité le matin à jeun dans l’eau. La suffocation doit permettre de guérir le corps. Après vient le réconfort avec un petit verre d’alcool et des frictions énergiques. Jusqu’en 1820 les bains des femmes et des hommes sont séparés.
En Angleterre dès la fin du 17ème siècle la baignade en mer sur prescription médicale se développe. Mais elle va connaitre un franc succès un peu plus tard le long des littoraux anglais et gallois. Dès 1750 les jeunes nobles anglais font la fortune de quelques villes balnéaires, Margate, Scarborough, Brighton.. On y soigne tous les maux possible : constipation, dépression (comme le roi Georges III), impuissance, infertilité, troubles nerveux ou mentaux, blessures, rhumatismes, anémie, problèmes de peau…La révolution industrielle, plus précoce en Angleterre que chez nous, favorise les loisirs et les voyages dans les classes sociales aisées qui effectuent des migrations saisonnières vers les côtes. Le docteur Charles Russel conseille de boire de l’eau de mer en 1753. Parait des ouvrages comme « Les effets des bains de mer sur les glandes ». Le prince de Galles encourage la création de la station de Brighton.
Boulogne sur mer

En France Marit en 1769 publie son mémoire « sur la manière d’agir des bains de mer et leurs usages vivifiants » contre les rhumatismes. En 1785 Cléry de Bécourt ouvre à Boulogne sur Mer un des premiers établissements de bains de mer chauds.
Chez nous, les bains de mer thérapeutiques deviennent un phénomène de société. Ils sont recommandés aux élégantes dont le corps est déformé par la mode des corsets, aux enfants à la peau trop fine et trop pâle. 
Les femmes
Figaro fin 19ème siècle Gravure de Mode
bien nées doivent à tout prix se protéger du soleil, les bains de mer auront lieu d’abord en hiver. La marche sur la digue ou les terrasses est essentielle à la réussite de la thérapie. Calme, méditation, contemplation, et vie sociale sont aussi recommandés.
En 1806, la comtesse de Boigne de retour d’exil en Angleterre va défrayer les chroniques par ses bains de mer La reine Hortense va l’imiter à Dieppe : elle a une cabine spéciale où elle s’habille d’une grande blouse en laine chocolat fermant au col, des gants en fil blanc, un serre-tête en taffetas ciré pour cacher ses cheveux Deux matelots en gants blancs, la portent au-dessus des flots et lui font faire le plongeon. Mais la reine va vite préférer une baignoire remplie d’eau de mer chauffée. Puis c’est Dieppe en 1812 avec M de Paris, construction d’un établissement où la duchesse du Berry va séjourner régulièrement en été.
La duchesse de Berry en 1825, par Thomas Lawrence (collections du château de Versailles)
La Duchesse belle-fille du roi de France est excellente nageuse. « elle prend plaisir à nager » s’insurgent les bien-pensants. Elle se lance dans les flots accompagnée d’un inspecteur des bains, en habit de ville, gants blancs et bottes contre les crabes. Chacune de ses entrées dans l’eau sera au début ponctuée d’un coup de canon. Alexandre Dumas trouve hideux le spectacle des dames à la plage, mais la mode est lancée et les hôtels luxueux, les villas se construisent tout au long de la côte atlantique.

Anne de Mortemart future duchesse d'Uzès, enfant fragile dans les années 1855-56 est une adepte des bains de mer à Dieppe. Elle pique une tête dans l'eau glacée avec entrain ce qui fait dire aux spectateurs "c'est sans doute l'enfant de quelque saltimbanque!!"

Les femmes se changent dans des cabines tractées par des chevaux. Ces charrettes les amènent directement dans l’eau jusqu’à deux mètres de profondeur. Là elles descendent les marches d’escalier et soutenues par des « guides-jurés », elles sont plongées à plusieurs reprises de manière subite et de courte durée : c’est le bain à la lame. Les guides-jurés en maillot une pièce sont assermentés pour ne pas attenter à la pudeur. Le tout est surveillé par des censeurs. Le maillot des femmes va se composer de pas moins de 6 pièces.
« Il est bon que le guide sache nager, mais je n’en fais pas une condition indispensable pourvu qu’il ait le pied marin et qu’il soit prudent et ferme à la mer » Docteur J. Le Cœur, Guide médical et hygiénique du baigneur (1846)
A la fin du 19ème siècle, la plage et la mer peu à peu cesseront d’être un espace médical pour devenir un lieu de distractions. Des casinos fleurissent pour occuper la clientèle aristocratique. Bals, salons de lecture, promenades en calèche pour être vu….On se retrouve entre gens du même monde. L’automobile, le chemin de fer, la construction de palaces sur toutes les côtes de la Manche et de l’Atlantique vont faciliter le développement des bains de mer.
Les stations deviennent coquettes : fontaines, larges trottoirs pour la promenade, jardins exotiques, villas privées somptueuses… Des trains sont organisés pour se rendre directement depuis Paris jusqu’aux stations balnéaires. Deauville grâce au duc de Morny demi-frère de Napoléon III devient l’endroit où il faut être vu. Biarritz sur la côte basque a la préférence de l’Empereur Napoléon III et surtout de son épouse Eugénie. Ce site verra toute l’Europe huppée s’y retrouver.

En septembre 1858 l’impératrice Eugénie nous écrit de Biarritz : « La mer est bien froide, et il faut beaucoup de force morale pour se décider à y entrer. Cependant je n’ai pas encore manqué un seul bain depuis que je suis ici »…. Sissi, Elisabeth d’Autriche fait un séjour à Madère en 1860 et elle va prendre des bains de mer sans user de cabine en simple robe de bain, nageant sous les regards interloqués.

En juillet 1887 M Aubry installe un tramway à vapeur sur la plage ente Pouliguen et la Baule, le trait d’Union. En 1891 la ligne est prolongée jusqu’à Pornichet, il devient Mademoiselle Pornichette. François Aubry était architecte paysagiste nantais et participera activement au développement urbain de la région. La voie est posée sur le sable et fonctionne pendant les trois mois d’été. Il sera aussi appelé Déraillard du fait de ses pannes, de ses déraillements. Le bruit, la fumée incommodent mais il est aussi très apprécié. On va essayer de le remplacer par des omnibus à impériale. Mais en 1930 un nouveau train électrique celui-là, va faire la navette sur le boulevard de mer. Certainement l’ancêtre des petits trains touristiques qui circulent maintenant dans les villes pour nous faire admirer les monuments et les paysages.
 
Pornichet   et  Pouliguen






Autour des voyages une industrie de luxe se développe. Louis Vuitton va quitter son Jura natal et la menuiserie de son père pour Paris et un apprentissage chez un malletier. L’impératrice Eugénie sera sa cliente ainsi que les Grands de France, le Londres, de New-York. Son fils Georges inventera une serrure de bagages incrochetable. Des malles-lit, armoires, table pour pique-nique, pour chapeaux, pour cabine… et une malle bibliothèque pour Ernest Hemingway en 1927. Des bagages qui vont accompagner les touristes comme les aventuriers.
La Côte d’Azur à la fin du 19ème siècle, depuis peu française dans sa totalité, ne sera baptisée ainsi qu’en 1887 par le poète et sous-préfet Stéphen Liégard dont Daudet reprendra l’histoire dans son conte « M Le Sous-Préfet aux champs ». Mais les Anglais y ont déjà pris leurs habitudes malgré les six jours qu’il faut de Calais pour rejoindre Nice et un petit village qui sent bon la bouillabaisse : Canne. On traverse la rivière le Var à gué. Lord Brougham serait le découvreur de Canne. Mais c’est d’abord un tourisme d’hiver,  sans bains de mer, aristocrates anglais, russes se côtoient. La reine Victoria dans son train privé y vient chaque année. Lorsqu’on va commencer à se baigner sur la Côte d’Azur, pour éviter aussi le soleil, les dames vont s’habiller sur le sable comme en ville mais en tissus plus légers, et dans des teintes pastel. Ombrelles, parasols, chapeaux à voilette, manches longues. Un régal pour les peintres. Pour le bain, elles portent un pantalon long, une blouse en lainage, corset et marmotte sur la tête.
Les plages proposent assez rapidement des chemins de cordage auquel les baigneurs et baigneuses peuvent s’accrocher en entrant dans l’eau. La majorité ne sait pas nager.
Biarritz-Second Empire -com-plume
Les bains de soleil sont évidemment encore inconnus. Les autochtones font du commerce, location de sièges, de parasols, de cabines, de tentes. La mode de la bronzette démarrera avec les Américains dans les années 1920.Scott Fitzgerald, Rudolph Valentino… Le soleil fait moins peur, on lui reconnait des vertus thérapeutiques dans le traitement des maladies pulmonaires et des os.
Les maillots de bains vont rétrécir d’année en année jusqu’en 1964 sur la Croisette où une joueuse de ping-pong arbore un monokini. La Cour d’Appel d’Aix en Provence ne retiendra aucune charge contre elle au motif : « que la nudité du corps humain n’a rien en soi qui puisse outrager une pudeur normale, même délicate, et qu’un tel spectacle est fréquent à notre époque pour des raisons de sport, d’hygiène, ou d’esthétique ». La société de consommation et le tourisme dit de masse sont passés par là.
Ostende gravure colorée 1897







Sources diverses : Manuella Le Bohec Histoire et Histoires de Pornichet overblog 2010 - Frédérique Duneau, directrice des Trains de la Brière (petit train La Baule - Pornichet). -  L'intrusion balnéaire: Les populations littorales bretonnes et vendéennes par Johan Vincent-- Yves Perret-Gentil, Alain Lottin, Jean-Pierre Poussou, Les villes balnéaires d'Europe occidentale du XVIIIe siècle à nos jours, PUPS, 2008, p. 39. -- Jean Théodoridès, Histoire de la rage: cave canem, Masson, 1986, p. 39 - Johan Vincent, L'Intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945), Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 38 -- Rodolphe Bacquet, Normandie, Place Des Éditeurs, 2013, p. 101.-- André Rauch, Vacances et pratiques corporelles : la naissance des morales du dépaysement, Presses universitaires de France, 1988, p. 171  - Alain Corbin L'avènement des loisirs : 1850-1960, Flammarion, 2001, p. 85 -  -- La reine Hortense de Françoise Wagener - La Duchesse du Berry de Jean-Joël Brégeon – photos wikimedia et wikipedia – malles Wardrobe Louis Vuitton Gralon – Louis Vuitton The Book News  -de Olivier Saillard -  Historia l'étonnante histoire des bains de mer-  Eugénie ou Les larmes de la gloire Jean des Cars - Patrick de Gmeline  La Duchesse d'Uzès édit Perrin 1986 p38 - 




Dieppe - début 20ème siècle
 






1965 La Reine Mère d’Angleterre avec Gaston Chauvet en visite à Uzès

En arrière-plan l’Hôtel Particulier du Baron de Castille - Guide de l’Été Républicain d'Uzès 2017p6

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