vendredi 2 novembre 2018

La Révolte des Vignerons du Languedoc en 1907






  
LA RÉVOLTE DES VIGNERONS DU LANGUEDOC EN 1907



Manifestations Viticole du 5 mai 1907, le docteur Ernest Ferroul et officiels attablés en 1907.

(Suite de l'article sur la crise viticole blog du 18/10/2018- Les Prémices)
Charles Gide, notre économiste uzétien, est très critique devant la gestion de la crise viticole : « on planta tout en vigne, on arracha les mûriers, on coupa les bois, on retourna les prairies, on dessécha les marais, on laboura tous les sables de la Méditerranée où jusqu’à alors on n’avait trouvé que du sel et des coquilles…Le gouvernement non moins imprévoyant que les viticulteurs, s’associa à cette furie de plantation et l’encouragea en dégravant de l’impôt foncier pendant cinq ans toutes les plantations nouvelles et cette loi folle est encore en vigueur… ».

Gaston Doumergue député du Gard déclare en 1901 « on a planté beaucoup de vignes, on a négligé de planter en même temps assez de consommateurs ».
La distillation, soupape de sûreté contre la mévente, est freinée depuis les modifications apportées au régime des bouilleurs de cru de 1900. Les eaux de vie industrielles remplacent petit à petit les nôtres, donc notre distillation intéresse moins. Les exportations de vin vers l’étranger sont secondaires. Pendant cette période on évalue la demande de vin en France à 50 millions d’hl et l’offre nationale à 53 à 59 millions d’hl, 67 millions en 1907. Donc un excédent préjudiciable.
Le prix moyen de l’hl était de 18 f40 en 1893-99. Il s’effondre en 1900-1901 à 12,10 frs jusqu’à 5 frs.
Un sursaut en 1902-1903, 16,60 frs puis 23 frs. Mais en 1904 jusqu’en 1909, deuxième crise : prix de l’hl 6 frs, 7,50frs, 8frs, 9frs, 12 frs.


Les viticulteurs s’endettent, les  propriétés sont hypothéquées ce qui entraine une baisse du prix du foncier. Signe de la pauvreté qui s’installe dans nos campagnes : on marche pieds nus pour économiser les galoches !
(Marcellin Albert, vigneron d’Argeliers en croisade contre les fraudeurs dès 1905-«  Roi des Gueux »- Source Midi Libre)
1907, c’est la révolte « des crève-la-faim ». Explosions de colère, syndrome de désespoir et de souffrances trop longtemps accumulées ? Déjà de décembre 1903 à mars 1904, nous voyons l’émergence de mouvements ouvriers agricoles importants : 170 grèves avec  un peu plus de 45 000 grévistes. L’opinion est persuadée que la baisse des taxes sur le sucre de 1903 (60 à 25 frs), est la cause essentielle de la fabrication de vins artificiels et l’origine de la crise viticole.
D’autres enjeux en effet au niveau national, il faut écouler le sucre !... Depuis la Convention de Bruxelles, les betteraviers français n’ont plus droit aux primes à l’exportation, et le sucre de canne envahit le marché national. Le sucrage de la vendange au moment de la fermentation pour remonter le degré alcoolique est autorisé depuis 1880. C’est la chaptalisation. Théoriquement l’addition de sucre ne devait jamais dépasser 10 kg pour 3 hectolitres.
Mais certains vont en profiter, non plus pour corser un vin médiocre, mais pour fabriquer des vins de deuxième, troisième cuvée. On ajoute des colorants, des acides, des raisins secs grecs. En 1905, le jeune député Albert Sarraut rappelle que la consommation de sucre dans notre pays de 1901 à 1903 est d’environ 430 000 tonnes, elle passe en 1903 à 1904 subitement à 700 000 tonnes !!
Il est vrai que l’heure européenne est à la fraude dans tous les domaines. On falsifie tout, tampons, feuilles d’expédition, mais aussi boules de glaise pour du meilleur moka, poudre de brique dans la chicorée, fécule de pommes de terre mélangée au sulfate de quinine, fraudes sur les engrais, sur les farines, le beurre, extraits autrichiens transformant un vin en vieux bourgogne…... Allègrement nous jouons tous au petit chimiste !!
C’est à Argeliers, petit village de l’Aude que tout commence. Le combat contre les fraudeurs du vin débute grâce au courage et à la détermination des vignerons. Marcellin Albert est l’un d’eux. Il est cafetier et vigneron, « Le Rédempteur ».  Il est natif d’Argeliers (1851-1921). Dès 1900, il se lance pour la défense du vin naturel contre le vin de fraude, contre la restriction des droits des bouilleurs de cru, contre la détaxe du sucre.
Les vendanges de 1906 se vendent mal, la ruine des vignerons entraîne celle des commerçants, des artisans qui vivent de la viticulture. Le marché est saturé avec les vins d’Algérie qui arrivent dans nos ports et dont on se sert pour couper nos vins.
Le 18 février 1907 Marcellin Albert télégraphie à Georges Clemenceau : "Midi se meurt. Au nom de tous, ouvriers, commerçants, viticulteurs, maris sans espoirs, enfants sans pain, mères prêtes au déshonneur, pitié ! Pitié encore pour nobles défenseurs républicains du midi qui vont s'entre déchirer dans combat sanglant. Preuve fraude est faite. La loi du 28 janvier 1903 la favorise. Abroger cette loi, voilà l'honnêteté. Devoir gouvernement empêcher choc. S'il se produit, les clés ouvriront portes prison, pourront jamais rouvrir portes tombeaux".

Le signal de la révolte est donné le 11 mars 1907 : Marcellin Albert et Elie Bernard sont à la tête d’un groupe de vignerons d’Argeliers. Elie Bernard fonde un Comité de Défense viticole, le Comité d’Argeliers. Ils souhaitent obtenir une réelle politique de répression de la fraude.
le Comité de défense viticole d'Argeliers avec Albert Cathala, Louis Blanc et le médecin Senty

Dans un premier temps, le 11 mars, 87 vignerons du village vont à Narbonne où une commission d’enquête parlementaire essaie de comprendre la crise. Ils sont entendus semble-t-il, mais méfiants, ils décident de poursuivre le mouvement jusqu’au vote des lois contre la fraude. Tous les dimanches, des rassemblements  mobilisent ouvriers et propriétaires.
Le journal « Le Tocsin » du 21 avril donne le ton : « Nous sommes les proprios décavés ou ruinés, les ouvriers sans travail ou peu s’en faut, les commerçants dans la purée ou aux abois. Nous sommes ceux qui crèvent de faim. Nous sommes ceux qui ont du vin à vendre et qui ne trouvent pas toujours à le donner ; nous sommes ceux qui ont des bras à louer et ne peuvent guère les employer ; nous sommes ceux qui n’ont des marchandises que pour manquer d’acheteurs. Nous sommes ceux qui crèvent de faim ».


 « Le sucre au café, l’eau au canal », « vin de raisin, pain de blé », « mort aux fraudeurs »,  l’ennemi est désigné pendant tous les rassemblements de 1907.  Dès mai de grands rassemblements agitent les préfectures et les sous-préfectures devant les hôtels de ville. Le mouvement se politise le 5 mai avec Ernest Ferroul maire de Narbonne et ancien député. Il fixe un ultimatum au 10 juin avec menace de grève de l’impôt et de la démission des municipalités. C’est un appel à la désobéissance civique. Un journaliste du Figaro, bouleversé, écrit : « c’était fou, sublime, terrifiant ».
docteur Ernest Ferroul maire de Narbonne - président du Comité de Défense Viticole en 1907.


Béziers- manifestation 1907
Narbonne - le docteur Ferroul au milieu

Le 5 mai 80 000 à 100 000 personnes à Narbonne, le 2 juin 200 000 à Nîmes, 500 000, 800 000 peut être le 9 juin à Montpellier, soit plus d’un tiers de la population des quatre départements en révolte. Ce jour-là, on assiste à la plus grande manifestation de la Troisième République. Les cartes postales, les photos des événements montrent une marée humaine, signe incontestable de l’angoisse et de la colère des vignerons et des métiers annexes.

Narbonne

Des mots d’ordre en occitan, des relents régionalistes inquiètent le gouvernement. Clemenceau peu inquiet au début, qualifie Albert et Ferroul de « meneurs séparatistes ». La tension monte lorsque des membres du Comité et Ferroul sont arrêtés le 19 juin pour ce dernier à 4 h du matin à son domicile de Narbonne.




(Narbonne arrestation du docteur Ferroul)



 Ce sont les militaires du 139è régiment d’infanterie qui opèrent et le conduisent à la prison de Montpellier. Les autres membres du comité se livrent aux gendarmes d’Argeliers. Les gens se couchent devant les gendarmes pour empêcher la progression, une manifestation spontanée réclame la libération et crie vengeance. La sous-préfecture est prise d’assaut, des barricades barrent les rues…. La cavalerie tire sur la foule et l’on déplore deux morts dont un adolescent de 14 ans. Le lendemain, Perpignan s’embrase, la préfecture est pillée et incendiée. Le préfet Dautresme se réfugie sur le toit. Encore des coups de feu à Narbonne pour dégager l’inspecteur de police Grossot auteur avec d’autres de l’arrestation du maire. Cinq morts dont Julie-Cécile Bourrel 20 ans qui faisait simplement son marché ! Trente blessés, le café Paincourt mitraillé....


Montpellier 9 juin 1907


Carcassonne le 25 mai Place d'Armes

Depuis le 10 juin la plupart des municipalités ont remis leur démission. Le 17è régiment d’infanterie à Agde se mutine, pille la poudrière, refusant de tirer sur des gens de leur pays. Les soldats marchent sur Béziers. « On ne se tue pas entre Français ». Les mutins seront transférés à Gafsa en Tunisie. Le 23 juin Albert rencontre Clemenceau à Paris



(Béziers – Les mutins du 17è sur les allées Paul Riquet – 1907 – Les fusils levés en signe de refus de tirer – Midi Libre)
Clemenceau promet de réprimer la fraude si Albert retourne dans le Languedoc pour calmer les vignerons. Albert accepte de se constituer prisonnier à son retour s’il échoue. Clemenceau lui signe un sauf-conduit et lui remet 100 frs pour payer son voyage de retour. Naïvement Albert accepte le billet et les promesses. L’homme politique va évidemment en profiter pour donner sa v ersion à la presse en racontant l’histoire du billet de banque. Marcellin Albertde « rédempteur » devient le « vendu », totalement discrédité aux yeux de ses compagnons. Il doit se cacher de retour dans son village. Le 26 il se constitue prisonnier à Montpellier. Après sa libération il part s’installer en Algérie et meurt dans la misère malgré le soutien des viticulteurs de là-bas.


 la manifestation de Béziers avant le départ au Champ de Mars le 12 mai 1907.


  (Manifestation Narbonne 5-5-1907- Midi Libre)
Le 29 juin 1907 le vin est enfin légalement défini : « la loi tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus du sucrage est adoptée ». Déclaration obligatoire des récoltes et stocks, contrôle des ventes et achats des mouts, interdiction de la fabrication et vente de vins fabriqués, surtaxe sur le sucre, déclaration par les commerçants des ventes de sucre supérieure à 25 kg…..et apaisement de la révolte des vignerons. Le 2 aout le Comité d’Argeliers est libéré, les troupes évacuent notre sol. Sous la présidence Ferroul une Confédération Générale des Vignerons est fondée le 22 septembre, organisme où les ouvriers refusent d’adhérer mais qui jouera un rôle important dans la répression des fraudes. Les vignerons commencent à penser sérieusement à la création de caves coopératives viticoles.


Vendange 1910 Narbonne charrette étanche.

Le prix de l’hectolitre devient plus attractif dès 1910 : de 21 à 35 frs. Une réflexion s’engage dans tout le pays. Comment être plus forts face aux négociants, comment avoir la main sur les prix de vente ?
A la fin du 19ème siècle, Uzétien célèbre, Charles Gide, économiste brillant, devient le théoricien de "l’Ecole de Nîmes". Il s’agit d’un mouvement coopératif très actif dans le sud du pays. « Le régime du profit sans étatisme doit tomber devant une coopération émancipatrice, apprentissage de la démocratie et de l’efficacité économique ». C’est une voie entre libéralisme et marxisme. Concept repris par des sociologues, des économistes comme Emile Durkeim. On a parlé de Christianisme social. Sous cette influence, des coopératives agricoles, des mutuelles et du crédit mutuel agricoles voient le jour. « La solidarité est un fait d’une importance capitale dans les sciences naturelles puisqu’elle caractérise la vie ».
En Allemagne dès 1853, en Suisse, en Serbie, en Italie dès 1890, des caves coopératives existaient déjà. En Alsace à l’époque sous la domination du Reich à Ribeauvillé, mais en France s’est créée la première cave coopérative viticole en 1895. Dans l’Hérault, à Maraussan, en 1901 une première coopérative viticole se monte, des viticulteurs se regroupent pour vendre leur vin. « Les Vignerons libres » avec pour devise parodiant les Trois Mousquetaires de Dumas « Tous pour chacun, chacun pour tous ». Jean Jaurès visita les travaux de construction du caveau de cette cave en mai 1905. Il s’agissait dans un premier temps de mettre en commun les moyens de commercialisation des productions vinifiées chez les adhérents. La vinification en commun, viendra après, « travail de vinification qui se fera dans des conditions scientifiques » écrira Jaurès. Les vignerons de Maraussan ont des débouchés réels et le système fera vite école. Bessan, Maureilhan, Cébazan….
La cave de Marsillargues, plus moderne, très rapidement va compter 700 adhérents. Elle était équipée d’une turbine à vapeur, produisant de l’électricité, d’une cave mécanisée disposant d’une importante capacité de vinification. En 1913 ses coopérateurs reçoivent les félicitations de la Société d’Encouragement à l‘Agriculture. D’autres caves existaient aussi en Champagne, en Alsace, dans le Var.


Dans l’Uzège, les premières caves coopératives apparaissent dans les basses vallées où la replantation de la vigne après la crise du phylloxéra a été plus rapide. En 1914, sur les 79 caves existant en France, le Gard en comptait 5. De 1919 à 1929, dans les neuf cantons de l’Uzège, 19 caves sont construites, 26 de 1930 à 1939. De 1945 à 1950, on crée encore 8 caves. En 1939, on compte 750 coopératives viticoles dans toute la France, 340 dans le Languedoc-Roussillon, presque la moitié.
En 1966, dans le canton d’Uzès, sur 14 villages on compte encore 6 caves coopératives vinicoles, et sur les 659 viticulteurs, 646 sont adhérents coopérateurs. A cette date le Gard compte 152 caves coopératives. Cet élan associatif permettra une vinification et une conservation de qualité très régulière, un logement assuré pour le gérant, une surveillance et un savoir-faire, des négociations avec les acheteurs qui ont en face d’eux non plus des petits et moyens exploitants mais un seul interlocuteur. Avantages fiscaux, facilités de prêts avec le Crédit Agricole, les caves sont mieux équipées que le « petit » exploitant.
Actuellement les vignerons s’orientent vers une production de qualité et non plus de quantité. Les caves coopératives ferment ou s’associent. Les vins bio ou naturels arrivent jusqu’au consommateur. Plus chers à l’achat, peut-être aideront ils à lutter contre cette maladie très invalidante qui est l’alcoolisme, fléau que nous traînons depuis le 19ème siècle. Maladie qui détruit les individus et leur famille et coûte cher à la collectivité.
Le Vin, un produit à consommer avec modération, ne serait-ce que pour en apprécier toutes ses qualités et ne pas faire injure au travail du vigneron et du maître de chai.

Cette révolte va laisser des traces dans le monde viticole et même politique. Il semble que pendant la guerre de 1914-18, le régiment du 17ème paiera son refus de tirer sur les manifestants. (voir sur ce blog Le crime des Midis 12/11/2017)
Mutins du 17è camp des allées Paul-Riquet Béziers


Affiche Guerre 1914/18- distribution de vin aux troupes- archives communales Nîmes


Sources : wikipedia--Bernadette Voisin-Escoffier La Socicété Coopérative de Vallabrix –couradou mai 2012 site internet de Vallabrix Fonds Historique ou médiathèque—archives départementales Gard et Hérault--- Charles Gide Ecole de Nîmes Colloque 11/1993 Société d’ Histoire du Protestantisme de Nîmes et du Gard 1995—Alfred Chabaud l’Uzège et la Région Bagnolaise T- T3 édit Péladan Uzès—Félix Napo La Révolte des Vignerons 1907 édit Privay1982+Félix Napo : 1907, la révolte des vignerons, éditions E&C, mars 2007.—Jean Sagnes Le Mouvement Ouvrier du Languedoc édit Privat 1980-+ Jean Sagnes (s. dir.) : La révolte du Midi viticole cent ans après, 1907-2007, Presses universitaires de Perpignan, Perpignan, 2008.+ Jean Sagnes : Le Midi Rouge, 1982.--Maffré-Beaugé  Vendanges Amères --Christophe Deroubaix, Gérard Le Puill, Alain Raynal, Les Vendanges de la colère, midi viticole 1907/2007, Au diable vauvert, 2007--Georges Ferré : 1907, la guerre du vin. Chronique d'une désobéissance civique dans le Midi, éditions Loubatières, 1997.—photos wikipedia + midi libre + Hérodote.net +musee/vignerons + collec privée---Christian Signol roman Les Vignes de Sainte Colombe 1996 Livre de Poche ou Albin Michel---www.herodote.net/19_juin_1907-evenement-19070619.php---www.jeantosti.com/musee/vignerons.html---






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